César Jules

100 avant J.-C.-44 avant J.-C.

Portrait physique (Suétone, "Vie de César", "XLV. Son portrait. Son tempérament, ses habitudes", tirée des Vies des douze Césars)

«Il avait, dit-on, une haute stature, le teint blanc, les membres bien faits, le visage un peu trop plein, les yeux noirs et vifs, une santé robuste, si ce n'est que, dans les derniers temps de sa vie, il était sujet à des syncopes subites, et à des terreurs nocturnes qui troublaient son sommeil.

Deux fois aussi, il fut atteint d'épilepsie dans l'exercice de ses devoirs publics.

Il attachait trop d'importance au soin de son corps; et, non content de se faire tondre et raser de près, il se faisait encore épiler, comme on le lui reprocha. Il supportait très péniblement le désagrément d'être chauve, qui l'exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis.

Aussi ramenait-il habituellement sur son front ses rares cheveux de derrière; et de tous les honneurs que lui décernèrent le peuple et le sénat, aucun ne lui fut plus agréable que le droit de porter toujours une couronne de laurier.

On dit aussi que sa mise était recherchée, et son laticlave garni de franges qui lui descendaient sur les mains. C'était toujours par-dessus ce vêtement qu'il mettait sa ceinture, et il la portait fort lâche; habitude qui fit dire souvent à Sylla, en s'adressant aux grands: "Méfiez-vous de ce jeune homme, qui met si mal sa ceinture."»

Traduction en français, publiée sous la direction de M. Nisard (Paris, 1855, p. 1-31 (Collection des auteurs latins)). Remaniée et modernisée (Bibliotheca Classica Selecta, Université de Louvain)


L'âme de César (Lucain, La Pharsale, livre 1)

«Au nom, à la gloire d'un grand capitaine, César joignait une valeur qui ne souffrait ni repos, ni relâche, et qui ne voyait de honte qu'à ne pas vaincre dans les combats. Ardent, infatigable, où l'ambition, où le ressentiment l'appelle, c'est là qu'il vole le fer à la main. Jamais le sang ne lui coûte à répandre. Mater ses succès, les poursuivre, saisir et presser la fortune, abattre tout ce qui s'oppose à son élévation, et s'applaudir de s'être ouvert un chemin à travers des ruines : telle était l'âme de César.»

LUCAIN, La Pharsale. Traduction de Marmontel, complétée par M. H. Durand, précédée d'une étude sur la Pharsale par M. Charpentier. Paris, Garnier frères Libraires éditeurs, 1865. On trouve une édition numérique intégrale de cet ouvrage sur le site remacle.org


Portrait de Jules César (Theodor Mommsen, Histoire des Romains)

«Grand orateur et écrivain, grand général d'armée, il est devenu tout cela parce qu'il était homme d'État accompli. Le soldat, chez lui, ne joue qu'un rôle secondaire; et l'un des traits principaux par où il se sépare d'Alexandre, d'Annibal et de Napoléon, c'est qu'au début de sa carrière politique il est sorti de la démagogie, non de l'armée. Dans ses projets premiers, il avait espéré parvenir, comme Périclès, comme Gaius Gracchus, sans passer par la guerre: dix-huit ans durant, à la tête du parti populaire, il n'avait pas quitté les sentiers tortueux des cabales politiques: à l'âge de quarante ans, se convainquant, non sans peine, de la nécessité d'un point d'appui militaire, il prit enfin le commandement d'une armée. Aussi bien, même après, demeura-t-il homme d'État, plus encore que général: ainsi Cromwell, simple chef d'opposition d'abord, se fit successivement capitaine et roi des démocrates, Cromwell, de tous les grands hommes d'État, le plus voisin de César et par le mouvement de sa carrière et par le but atteint, si tant est que la comparaison soit permise entre le rude héros puritain et le Romain fait d'un métal moins compact.

Jusque dans sa manière de conduire la guerre, on reconnaît en César le général improvisé; Quand Napoléon prépare ses descentes en Égypte et en Angleterre, il manifeste le grand capitaine façonné à l'école du lieutenant d'artillerie; chez César, de même, perce le démagogue transformé en chef d'armée. Quel tacticien de profession, pour des raisons simplement politiques et non toujours absolument impérieuses, aurait pu jamais se résoudre à négliger, comme César l'a fait souvent, et surtout lors de son débarquement en Épire, les enseignements prudents de la science militaire? A ce point de vue, il est plus d'une de ses opérations que l'on pourrait critiquer, mais ce que perd le chef d'armée, l'homme d'État aussitôt le regagne. La mission de celui-ci est universelle de sa nature, et tel était le génie de César: si multiples, si distantes l'une de l'autre que fussent ses entreprises, elles tendaient toutes vers un seul grand but, auquel il demeura inébranlablement fidèle, et qu'il poursuivit sans dévier dans l'immense mouvement d'une activité tournée vers toutes les directions, jamais il ne sacrifia un détail à un autre. Quoique passé maître dans la stratégie, il fit tout au monde, obéissant à des considérations purement politiques, pour détourner l'explosion de la guerre civile; et quand il la fallut commencer, il fit tout aussi pour que ses lauriers ne fussent point ensanglantés. Quoique fondateur d'une monarchie militaire, il ne laissa s'élever, s'y appliquant avec une énergie sans exemple dans l'histoire, ni une hiérarchie de maréchaux, ni un régime de prétoriens. Enfin, dernier et principal service envers la société civile, il préféra toujours les sciences et les arts de la paix à la science militaire. Dans son rôle politique, le caractère qui domine, c'est une puissante et parfaite harmonie. L'harmonie, sans doute, est la plus difficile de toutes les manifestations humaines: en la personne de César, toutes les conditions se réunissaient pour la produire. Positif et ami du réel, il ne se laissa jamais prendre aux images du passé, à la superstition de la tradition: dans les choses de la politique, rien ne lui était que le présent vivant, que la loi motivée en raison: de même, dans ses études de grammairien, il repoussait bien loin l'érudition historique de l'antiquaire, et ne reconnaissait d'autre langue que la langue actuelle et usuelle, d'autre règle que l'uniformité. Il était né souverain, et commandait aux cœurs comme le vent commande aux nuages, gagnant à soi, bon gré mal gré, les plus dissemblables natures, le simple citoyen et le rude sous-officier, les nobles dames de Rome et les belles princesses de l'Égypte et de la Mauritanie, le brillant chef de cavalerie et le banquier calculateur. Son talent d'organisateur était merveilleux. Jamais homme d'État pour l'arrangement de ses alliances, jamais capitaine; pour son armée, n'eut affaire à des éléments plus insociables et plus disparates: César les sut tous amalgamer quand il noua la coalition ou forma ses légions. Jamais souverain ne jugea ses instruments d'un coup d'œil plus pénétrant. Nul, mieux que lui, ne sut mettre chacun à sa place. Il était le vrai monarque: il n'a jamais joué au roi. Devenu le maître absolu dans Rome, il garde tous les dehors du chef de parti: parfaitement souple et facile, commode d'accès et affable, allant au-devant de tous, il sembla ne rien vouloir être que le premier entre ses égaux.» (Voir ce texte)

Résumé de son oeuvre
«Quand César a détruit, il a exécuté la sentence de l'histoire qui décrète le progrès: partout où il les a trouvés, il a donné protection aux germes de l'avenir, dans son propre pays et dans le pays frère des Hellènes. Il a préservé et renouvelé la société romaine; et non seulement il a épargné la société grecque, mais il s'est appliqué à régénérer les Hellènes, y apportant les mêmes vues, la même sûreté de génie qu'à la reconstruction de Rome, il a repris enfin la grande œuvre interrompue d'Alexandre de qui, tout porte à le croire, il avait sans cesse l'image devant les yeux de l'esprit. Il n'a pas seulement accompli ses deux tâches l'une à côté de l'autre, mais l'une par l'autre. Les deux facteurs essentiels de l'humanité, progrès général et progrès individuel, État et civilisation, unis en germe chez les Gréco-Italiens primitifs, ce peuple pasteur qui vécut d'abord loin des côtes et des îles méditerranées, ces grands facteurs, dis-je, s'étaient séparés un jour, quand la souche mère se divisa en Italiques et en Hellènes; et depuis bien des siècles, la séparation s'était continuée. Mais voici venir le petit-fils du prince troyen, et de la fille du roi latin: d'un État sans culture propre, et d'une civilisation toute cosmopolite, il saura faire sortir un ensemble nouveau, où état et culture se retrouveront et s'uniront encore sur les sommets, de la vie humaine, dans la maturité féconde d'un heureux âge, et rempliront dignement l'immense cadre mesuré à un tel épanouissement.

[...] César n'a régné que cinq ans et demi, moitié moins de temps que le grand Alexandre: il n'a pu séjourner que 15 mois en tout dans la capitale, durant les intervalles de ses sept grandes campagnes; et pendant ce court délai, il a su organiser les destins présents et à venir du monde, posant ici les frontières entre la civilisation et la barbarie, là ordonnant la suppression des gouttières donnant sur les rues de la capitale, trouvant assez de loisir et de liberté d'esprit pour suivre les concours poétiques du théâtre, et pour remettre en personne la couronne au vainqueur, avec son compliment improvisé en vers. La rapidité, la sûreté de l'exécution, témoignent d'un plan longuement médité, complet et ordonné dans tous ses détails, et même ainsi, l'exécution ne nous étonne pas moins que le plan. Les fondements en place, le nouvel état appelait l'avenir: l'avenir seul, et sans limites, le pouvait achever. En ce sens, César était fondé à se dire qu'il avait atteint son but; et peut-être était-ce là sa pensée, quand parfois on entendit ces mots tomber de sa bouche: «J'ai assez vécu!» Mais comme l'édifice était sans fin, le maître, tant qu'il eut vie, ne cessa d'y apporter pierre sur pierre, toujours égal dans la souplesse et dans l'effort, ne précipitant rien, mais ne remettant rien, comme si pour lui l'aujourd'hui n'avait pas de lendemain. Il a travaillé, il a bâti plus qu'aucun mortel avant et après lui: homme d'action et créateur, après tantôt deux mille ans, il vit dans la mémoire des peuples, il est le premier, l'unique «César Imperator!». (voir les réformes césariennes)

THEODOR MOMMSEN, Histoire des Romains, tome VIII, Paris, Librairie Franck, 1872, livre V, chap. XI.


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Jules César, champion de la cause populaire à Rome

«Depuis plus d'un siècle, Rome se trouvait dans la même situation que la Grèce d'avant Solon. Les arrivages massifs d'esclaves avaient permis aux grands propriétaires d'Italie d'accroître leurs propriétés et de chasser les petits paysans du domaine agricole. Les prêts usuraires là encore eurent des effets catastrophiques.
(...)

César épousa la cause du peuple à sa manière, c'est-à-dire efficacement, au moyen d'un mélange de ruse et de force sans égal dans l'histoire. Il a bien vite compris qu'il lui fallait soumettre le Sénat. Pour cela, il avait besoin de la force militaire; il l'acquit en faisant la conquête des Gaules.

Il avait aussi compris que l'autorité du Sénat tenait en partie au fait que ses délibérations étaient tenues secrètes. Il eut l'idée de les faire transcrire et de les afficher chaque matin sur les murs du forum. Il appela ces transcriptions
Acta DiurnaLe premier journal était fondé et il était gratuit. Ce fut un dur coup pour les oligarques. Le peuple romain avait enfin accès à l'information.

César fut bientôt en mesure de faire appliquer la
lex iulia agraria. Et comme les Gracques, pour les mêmes raisons, il fut assassiné par des sénateurs. César avait toutefois prévu cette éventualité. Par testament, il avait confié ses pouvoirs impériaux à un certain Octave (le futur empereur Auguste) qui aura sa force, mais non sa magnanimité. César avait en effet l'habitude d'accorder son pardon à ses plus irréductibles adversaires. Auguste montra moins de magnanimité.

Il sera toujours permis de penser que César rêvait d'une république idéale plutôt que d'un pouvoir personnel qu'il semble avoir dédaigné dès qu'il l'eût acquis. On croirait en effet qu'il a été complice du complot de Brutus, tant il a été indifférent aux rumeurs qui l'en avaient averti.


JACQUES DUFRESNE, Neuf grands moments dans l'histoire de la démocratie


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Jugement sur César

THEODOR MOMMSEN
«Si après vingt siècles nous nous inclinons respectueux devant la pensée de César et devant son œuvre, ce n'est point certes parce qu'il a convoité et pris la couronne: l'entreprise ne vaudrait que ce que vaut la couronne elle-même, c'est-à-dire bien peu de chose. Nous nous inclinons parce qu'il a porté en lui jusqu'au bout le puissant idéal d'un gouvernement libre sous la direction d'un prince, parce que cette pensée, il l'a gardée sur le trône et qu'il n'est point tombé dans l'ornière commune des rois.» (Histoire romaine)

CHARLES BAUDELAIRE
«Jules César ! quelle splendeur de soleil couché le nom de cet homme jette dans l’imagination ! Si jamais homme sur la terre a ressemblé à la Divinité, ce fut César. Puissant et séduisant ! brave, savant et généreux ! Toutes les forces, toutes les gloires et toutes les élégances ! Celui dont la grandeur dépassait toujours la victoire, et qui a grandi jusque dans la mort ; celui dont la poitrine, traversée par le couteau, ne donnait passage qu’au cri de l’amour paternel, et qui trouvait la blessure du fer moins cruelle que la blessure de l’ingratitude !» ("Le Salon de 1859" - VI. Religion, histoire, fantaisie (suite))

JOSÉ ORTEGA Y GASSET
«Cas exemplaire d’acuité intellectuelle, voilà ce qu’est César. Tandis que personne autour de lui n’aperçoit que problèmes sans solutions, lui voit la solution, claire, lumineuse, féconde, surgir tout simplement de la rigoureuse compréhension de ce qu’était la société romaine d’alors, ce qu’elle pouvait et ne pouvait être. Comme presque toutes les grandes solutions, celle-là avait un air de paradoxe. Les maux de Rome – tout le monde en convenait – tiraient leur origine de la fabuleuse expansion qu’avait atteinte la puissance romaine. C’est pourquoi les conservateurs s’opposaient à tout nouvel accroissement de cette puissance. La solution de César – une expérience millénaire l’a corroboré – était exactement l’inverse : l’extension sans borne […].» (Le spectateur tenté. Traduction de M. Pomès. Paris, Plon, 1958, p. 274-275)

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