Cooper James Fenimore
Grâce à son expérience personnelle, Cooper sut évoquer avec force la transformation de la nature inviolée et bien d’autres sujets tels la mer ou le choc entre peuples de civilisations différentes. Né dans une famille quaker, il passa son enfance dans le domaine de son père à Otsego Lake (devenu Cooperstown) dans le centre de l’État de New York. La région, relativement paisible pendant l’enfance de Cooper, avait toutefois connu un massacre d’Indiens. Le jeune Cooper passa sa jeunesse dans un milieu quasi féodal. Son père, le juge Cooper, était propriétaire terrien et notable. Enfant, à Otsego Lake, il côtoya souvent des hommes de la Frontière et des Indiens.
Natty Bumppo, le célèbre héros littéraire de Cooper, incarne sa vision jeffersonienne de l’homme de la Frontière considéré comme un « aristocrate naturel ». Au début de 1823, dans Les Pionniers, l’auteur rencontre son personnage. Natty est le premier homme de la Frontière à accéder à la célébrité dans la littérature américaine et le précurseur d’innombrables cow-bow et héros de la Forêt. C’est l’individualiste idéalisé, d’une parfaite droiture, meilleur que la société qu’il protège. Pauvre et seul, mais pur, il est la pierre de touche des valeurs éthiques et préfigure le Billy Budd de Melville et le Huck Finn de Mark Twain.
Inspiré en partie de la vie du pionnier Daniel Boone – quaker comme Cooper – Natty Bumppo, remarquable homme des bois comme son modèle, est un homme pacifique qui a été adopté par une tribu indienne. Boone et Bumppo adorent la nature et la liberté. Ils vont toujours vers l’ouest pour échapper aux nouveaux colons qu’ils ont guidés dans ce pays inconnu où ils sont devenus des légendes vivantes. En outre, Natty est chaste, de caractère élevé et profondément religieux : il est le chevalier chrétien des romans médiévaux transposé dans la forêt vierge et le sol rocheux de l’Amérique.
Le fil qui unit les cinq récits connus sous le nom de Roman de Bas-de-Cuir est la vie de Natty Bumppo. Œuvre la plus réussie de Cooper, ils constituent une vaste épopée en prose qui a pour décor le continent nord-américain, pour personnages les tribus indiennes, et pour contexte social les guerres et la migration vers l’ouest. Ces romans font revivre la vie de la Frontière de 1740 à 1804.
Cooper y décrit les vagues successives de colons : les contrées peuplées à l’origine d’Indiens; l’arrivée des premiers Blancs, éclaireurs, soldats, marchands et hommes de la Frontière suivis des premiers colons, hommes pauvres et rudes, et de leurs familles; enfin la bourgeoisie et les premières professions libérales – le juge, le médecin et le banquier. Chaque vague nouvelle repousse la précédente : les Blancs repoussent les Indiens qui se replient vers l’ouest; les classes moyennes « civilisées » qui ont bâti écoles, églises et prisons déplacent plus à l’ouest les premiers colons qui refoulent à leur tour les Indiens arrivés avant eux. Cooper évoque cette succession interminable de nouveaux venus et en perçoit les avantages comme les inconvénients.
Ses romans révèlent une tension très forte entre l’individu solitaire et la société, la nature et la culture, la spiritualité et la religion établie. Chez lui, le monde naturel et l’Indien sont essentiellement bons – comme le sont les sphères hautement civilisées où évoluent ses personnages les plus cultivés. Les personnages intermédiaires sont souvent suspects, surtout les pauvres colons blancs, avides, trop incultes ou trop frustes pour apprécier la nature ou la culture. À l’instar d’autres observateurs sensibles de l’interaction de civilisations très diverses, comme Kipling, E.M. Forster, Herman Melville, Cooper était un adepte du relativisme culturel. Il savait qu’aucune civilisation n’a le monopole de la vertu ou du raffinement.
Il acceptait la vie en Amérique contrairement à Irving qui traitait l’Américain comme aurait pu le faire un Européen – en adaptant les légendes, la civilisation et l’histoire de l’Ancien Monde. Cooper alla plus loin. Il créa un décor, des personnages et des thèmes indubitablement américains. Il fut le premier à faire retentir la note tragique qui ne devait plus disparaître du roman américain."
Kathryn VanSpanckeren, Esquisse de la littérature américaine, p. 23-24. Publié par l'Agence d'information des Etats-Unis (document du domaine public)