Swedenborg Emmanuel
Dans l’ensemble de l’univers, dont les savants prétendent déterminer les lois, Swedenborg enseigne qu’un immense domaine échappe à la vue restreinte de l’homme. En dehors et au-dessus du monde matériel, où se poursuivent les recherches de la science profane, il décrit un monde spirituel, qui est, comme le monde entrevu déjà par Platon, un monde des causes, et qui n’est pas moins substantiel, ni moins réel, que celui que nous observons. Dans l’univers, dont une partie reste invisible, tout se tient; et chaque homme est en relations avec des esprits bons ou mauvais, anges ou démons. Suivant qu’il écoute les uns ou les autres, il s’améliore ou se déprave. S’il n’a point toujours connaissance des ces relations, c’est faute d’attention ou de réflexion. L’âme humaine a la forme du corps; elle devient de plus en plus immatérielle, à mesure que l’homme se purifie. – Le monde n’a point été créé de rien, mais il résulte d’une émanation de la substance divine, de Dieu, qui a fait de l’univers visible le dépositaire et le représentant de sa sagesse et de son amour : de sa sagesse, dans l’homme; de son amour, dans la femme. – Le caractère des livres qui contiennent la parole de Dieu est de renfermer, sous l’enveloppe de la signification littérale, un sens spirituel, accessible seulement aux régénérés. La lettre reflète les opinions particulières et les erreurs des époques où elle a été écrite, mais l’inspiration divine qui a présidé à la rédaction des livres, a inséré sous cette grossière enveloppe une révélation continue sur les sujets relatifs au développement de l’être spirituel et moral, soit comme individu, soit comme Église. Le but principal des Arcana caelestia est d’exposer le sens spirituel de la Genèse et de l’Exode. – Dieu est amour et sagesse. Sa providence veille sur toutes ses créatures. Pendant leur existence terrestre, il les entoure de tout ce qui peut préparer pour elles la meilleure éternité; mais il s’abstient de violer leur liberté. Il ne damne aucune d’elles, et il cherche jusque dans l’enfer à adoucir le sort qu’elles se sont fait. Toutefois, les lois de l’ordre divin ne permettent l’entrée du ciel qu’à l’âme repentante et plus ou moins accessible à l’influence céleste. Le germe du salut peut se développer dans l’autre vie; mais si l’homme est confirmé dans le mal, au moment où se termine son épreuve terrestre, le séjour du ciel serait pour lui une cause d’indicibles tortures. – Dieu est descendu sur la terre, en la personne du Sauveur. Il a pris dans le sein d’une vierge une humanité pécheresse; et toute sa carrière a eu pour but de purifier cette humanité, en remplaçant les éléments mondains par une humanité glorifiée. Les tentations qu’il a subies, et dont il a toujours triomphé, ont été le moyen ordinaire de cette purification; mais le plus grand et le dernier a été le supplice de la croix. La mort de Jésus n’est point une expiation; elle est, au contraire, le triomphe définitif de la lumière sur les ténèbres, et l’écrasement de la puissance du mal. Dans cet ordre d’idées, la foi n’est plus cette immolation de la raison humaine devant l’incompréhensible, dont on a voulu faire le centre de la religion. C’est un état de croyance basé sur l’amour, qui porte l’âme vers un sauveur accessible à sa pensée et à ses sentiments.
Swedenborg ne rompit jamais les liens extérieurs qui l’attachaient à l’Église luthérienne, à laquelle il appartenait par sa naissance. Tout en tenant des réunions chez lui, il resta membre de cette Église, conservant les deux sacrements : baptême et sainte Cène, et n’innovant en rien pour le culte et les cérémonies. Pour les termes et même, jusqu’à un certain point, pour le fond, sa doctrine pouvait s’accommoder avec les professions de foi officielles, puisqu’elle enseigne comme elles, l’inspiration de la Bible, la déchéance résultant du péché, la divinité de Jésus-Christ et l’action de Dieu sur les âmes, par le Saint-Esprit. Ce qui constitue le caractère le plus distinctif de ses conceptions, de ses révélations, c’est l’interprétation divergente donnée aux doctrines reçues, et les vues très particulières, très personnelles, ses visions sur le monde, sur les rapports de Dieu avec le monde, sur les anges, sur les bons et sur les mauvais esprits. – Quoique Swedenborg n’ait jamais fait acte de chef de secte, il avait prédit la formation d’une Église nouvelle, composée de ceux qui accepteraient intérieurement ses principales doctrines. En fait, il est jusqu’à aujourd’hui le seul des théosophes dont l’action ait été assez puissante et assez populaire pour produire des communautés religieuses se recommandant de son nom. Dès 1647, il s’était démis de toutes ses fonctions officielles; il se retira avec une demi-pension, refusa tous les honneurs nouveaux qui lui furent offerts, et séjourna tour à tour à Londres, où il avait de nombreux disciples; à Amsterdam, où il publia plusieurs écrits; à Stockholm, où il avait des amis dévoués et puissants, parmi lesquels le duc de Södermanland et le prince qui devint Charles XIII. Ses qualités de cœur et d’esprit, le charme et la noblesse de sa personne, et la haute position de ses protecteurs le défendirent contre les attaques qu’une partie du clergé aurait voulu diriger contre lui. En Suède, ses disciples, tout en demeurant dans l’Église luthérienne, instituèrent des agrégations swedenborgiennes. En Angleterre, le succès fut plus grand encore, favorisé par l’approbation de hauts dignitaires ecclésiastiques. Les livres se vendirent par centaines de mille; et les adhérents se comptèrent par milliers. Ils donnèrent le nom d’Église de la Nouvelle Jérusalem à l’édifice spirituel formé par leur accession à la doctrine de Swedenborg. En 1788, c’est-à-dire seize années après la mort du théosophe vénéré, une première chapelle fut construite à Great Eastcheap (Londres). Il y en a aujourd’hui dans plus de cinquante villes [à la fin du XIXe siècle – note de L’Enc. de l’Ag.], les principales du royaume, avec écoles, sociétés de missionnaires et sociétés des livres religieux.
Situation à la fin du XIXe siècle: Aux Etats-Unis, soixante-dix congrégations. On en trouve aussi aux Indes, dans l’Afrique du Sud, dans le Wurtemberg, où la doctrine de Swedenborg trouva un zélateur ardent et puissant, chez Tafel, bibliothécaire de l’université de Tubingue; en Hollande, et même en France, où l’Église de la Nouvelle Jérusalem possède une chapelle à Paris, rue Thouin. Dans l’ensemble des pays où elle est établie, elle a plus de dix journaux et plusieurs séminaires.
Traductions en français de quelques ouvrages de Swedenborg : De Coelo et inferno ex auditis et visis, par Pernety (Berlin, 1782); De nova Hierosolyma, par Chastenier (1784); Sapientia angelica de divino amore, par Leboys des Guays (1843). Un Abrégé des ouvrages de Swedenborg a été publié par Daland de La Touche (Stockholm, 1788)."
E.-H. Vollet, article «Swedenborg» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Tome trentième (Sigillateur-Thermopole). Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?], p. 738-739.