Essentiel
"Le lien entre émancipation et intégration s'est distandu. L'individu n'arrive plus à penser son émancipation sur le mode de l'intégration, car celle-ci ne lui est plus garantie, et encore moins par l'État. Plus encore, il en arrive à penser et à croire que son émancipation ne peut se gagner que contre «l'État», identifié au travers de la police, du fisc ou de l'école."
Zaki Laïdi, Le sacre du présent. Pourquoi vivons-nous dans l'urgence? Paris, Flammarion, 2000, p. 150.
Enjeux
"UNE ÉVOLUTION PRÉOCCUPANTE
La délinquance des mineurs a toujours existé. La situation actuelle est cependant préoccupante par le caractère massif qu'elle revêt aujourd'hui.
A. UN PHÉNOMÈNE ÉTERNEL ?
Au VIIIème siècle avant J.-C.,
Hésiode écrivait, dans
Les travaux et les jours : «
Je n'ai plus aucun espoir pour l'avenir de notre pays si la jeunesse d'aujourd'hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible. Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents ».
C'est donc à bon droit que le sociologue M. Sébastian Roché, lors de son audition par la commission d'enquête, a constaté à titre liminaire que «
Structurellement, la délinquance des jeunes a toujours existé ».
Plus précisément, M. Laurent Mucchielli, également sociologue, a souhaité rappeler que le vingtième siècle avait été marqué par trois périodes de forte délinquance juvénile :
- «
La première période, c'est celle des années 1900-1914. Les jeunes délinquants avaient alors la figure des « apaches » et l'existence de bandes de jeunes délinquants réputés très violents devenait un élément majeur du débat politique et médiatique de l'époque, au point qu'un journaliste pouvait écrire, en 1907, à la une d'un des principaux quotidiens, La Petite République : « L'insécurité est à la mode, c'est un fait. » ;
- « (...)
lors de l'été 1959 surgissait dans la presse une nouvelle figure du jeune délinquant dangereux, le « blouson noir ». Or, lorsque l'on fait la comparaison systématique entre les sources et les travaux de cette époque et de la nôtre, on est frappé de constater que les (...)
reproches qui étaient faits aux blousons noirs sont encore au coeur du débat sur la délinquance juvénile » ; de fait, les « blousons noirs » étaient responsables d'affrontements entre bandes, se voyaient reprocher des viols collectifs, des vols d'usage immédiat, enfin des actes de vandalisme contre les institutions ;
- depuis la fin des années 1970, la délinquance juvénile a de nouveau augmenté, régulièrement, jusqu'en 1996, puis de manière brutale.
On pourrait être tenté, dans ce contexte, de relativiser la situation présente, qui ne serait qu'un énième avatar d'un phénomène aussi vieux que le monde.
Une telle conclusion serait pourtant hâtive.
B. UNE DÉLINQUANCE QUI AUGMENTE ET SE MODIFIE
Aucun des spécialistes interrogés par la commission n'a récusé le fait que la délinquance des mineurs ait évolué. Ainsi, après avoir montré que la délinquance des mineurs constituait un phénomène ancien dans la société française, M. Laurent Mucchielli a reconnu que si «
les actes se ressemblaient en nature [...], ils ne [...] semblaient pas avoir le même niveau d'intensité. Il y a incontestablement eu un durcissement sur le plan quantitatif ».
Il apparaît que la délinquance des mineurs a fait l'objet de
cinq modifications fondamentales qui pourraient être résumées de la manière suivante :
- progression de la délinquance des mineurs (mesurée par l'identification des auteurs) en nombre mais également en taux ;
- rajeunissement de l'âge d'entrée dans la délinquance ;
- aggravation des actes de délinquance ;
- développement d'une délinquance d'exclusion, territorialisée et accompagnée de trafics ;
- explosion des incivilités."
Sénat français – Rapport (n° 340) de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 12 février 2002. Tome I : Rapport. Session ordinaire de 2001-2002. Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 26 juin 2002 ; annexe au procès-verbal de la séance du 27 juin 2002. Président : Jean-Pierre Schosteck. Rapporteur : Jean-Claude Carle (site du Sénat de la République française)