Du Bois William E.B.

1868-1963

Biographie détaillée de W. E. B. Du Bois, par Magali Bessone (Les Ames du peuple noir, op.cit., pp.271-279).


William Edward Burghardt Du Bois est né le 23 février 1868 à Great Barrington, dans le Massachusetts, et mort le 27 août 1963 à Accra, au Ghana.
Du côté de son père, Alfred Du Bois, ses ancêtres sont des Français protestants, qui ont émigré aux Etats-Unis, puis aux Bahamas après la Révolution américaine. Son arrière-grand-père était un propriétaire terrien, qui possédait des esclaves, et a eu deux fils avec l'une de ses mulâtresses. Du côté maternel, Tom Burghardt avait été capturé en Afrique orientale et placé en esclavage dans le Massachusetts, puis affranchi pour ses bons et loyaux services pendant la guerre d'Indépendance américaine.
Du Bois passe une enfance heureuse à Great Barrington, où les Burghardt (la branche blanche et la branche noire) sont respectés comme l'une des plus anciennes familles de la ville. Élève brillant, il devient à quatorze ans le correspondant occasionnel des journaux The Globe et Springfield Republican. A quinze ans, il termine ses études secondaires : il est le premier élève noir à réussir l'examen final de son lycée.
Sa mère étant morte, il obtient une bourse pour aller étudier à l’Université Fisk à Nahsville dans le Tennessee. Cette Université est l'une des plus importantes Universités noires aux États-Unis ; Du Bois a toujours voulu étudier à la prestigieuse Harvard, mais son séjour à Fisk lui donne l’occasion de se trouver pour la première fois de sa vie dans un environnement majoritairement noir et lui ouvre les yeux sur la réalité de la misère et les frustrations auxquelles doivent faire face les Noirs dans le Sud.
Après l’obtention de sa licence (BA, 4e année) à Fisk, en 1888, il est admis à Harvard University, mais seulement comme étudiant de troisième année car Harvard ne pense pas que le niveau d’éducation fournie à Fisk soit équivalent à ce qui est exigé des étudiants d’Harvard. Néanmoins, il continue à exceller dans toutes les matières. Il suit les cours de William James et de Georges Santayana en philosophie, de Franck Taussig en économie et d'Albert Bushnell Art en histoire. Sur les conseils de James, il décide de travailler en thèse d’histoire sur la suppression de la traite des Noirs. En 1892, il obtient une bourse du Slater Fund pour aller étudier à Berlin où il suit des cours d’économie, de politique et d’histoire ; il a l'occasion d'assister à des conférences de Max Weber, qui participera à la conférence annuelle organisée par Du Bois en 1904 à l'Université d'Atlanta. De Berlin, il voyage dans toute l'Europe. À la fin de son troisième semestre à Berlin, sa bourse n’est pas renouvelée et il ne peut finir son doctorat en Allemagne. Il rentre donc à Harvard en 1894 pour terminer son troisième cycle.
En 1895, il est le premier Noir à obtenir un diplôme de Harvard, avec sa thèse sur "la suppression de la traité négrière africaine aux Etats-Unis 1638-1870", thèse qui fut publiée en 1896 dans le premier numéro de "Harvard Historical Studies", réédité en 1969 (New-York, Shocken). De 1894 à 1896, il enseigne le latin, le grec, l'allemand et l'anglais à l'Université de Wilberforce dans l'Ohio, après avoir été refusé par Fisk, Howard University, le Hampton Institute et surtout le Tuskegee Institute, la plus célèbre université noire, fondée et dirigée par Booker T. Washington. Il épouse Nina Gomer, une étudiante de Wilberforce, et la même année obtient un poste d'assistant en sociologie à l'Université de Pennsylvanie. Il dispose d'un fonds pour conduire une étude sociologique sur la population noire du septième « Ward » de Philadelphie. Les enquêtes aboutiront à The Philadelphia Negro, publié en 1899, remarquable travail qui utilise les méthodes les plus modernes de sociologie que Du Bois a notamment acquises à Berlin (contextualisation, usage de l’outil statistique, etc.) pour rendre compte de la situation dramatique des Noirs dans un Sud où règne la ségrégation.
L'année suivante, il s'associe avec Alexandre Crummell et d'autres intellectuels noirs pour fonder The Americain Negro Academy, le premier institut noir d'arts, de lettres et de sciences. De 1897 à 1910, il est professeur d'économie et d'histoire à l'Université d'Atlanta, où il devient directeur des "Conférences d'Atlanta", conventions annuelles en vue d'établir des données scientifiques précises sur la vie des Noirs aux Etats-Unis. Il reviendra à l'Université d'Atlanta comme chef du département de sociologie, de 1934 à 1944. Il a un fils, Burghard, qui meurt de dysenterie à l'âge de vingt mois, puis une fille, Yolande, née en 1900.
Mais Du Bois n'est pas seulement un universitaire : il s'engage fortement en faveur de l'obtention des droits civiques pour les Noirs, et milite activement pour la fin de la ségrégation. En 1900, il prépare la première conférence panafricaine qui a lieu à Londres. C'est là qu'il prononce pour la première fois son intuition célèbre : "Le problème du XXe siècle est le problème de la ligne de partage des couleurs." En 1905, il invite cinquante-neuf Noirs, des intellectuels, des savants, des universitaires, pour mettre au point une stratégie commune de lutte pour la progression des droits civiques des Noirs. Les vingt-neuf membres présents fondent le 11 juillet le mouvement Niagara, précurseur du NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) qui voit le jour en 1910. Ce mouvement biracial lutte contre l'exclusion dans l'emploi et à l'école, contre la ségrégation territoriale et contre la pratique du lynchage. Il utilise la médiatisation, la publicité et les plaintes devant les tribunaux. Du Bois est embauché comme directeur des publications et des recherches, mais il est le seul Noir élu au conseil d'administration. Il est le rédacteur en chef du journal mensuel de l'association, The Crisis. Ses audaces éditoriales, son intransigeance (il critique de manière très virulente la presse noire) et ses provocations (allant parfois jusqu'à l'appel à la haine raciale) soulèvent une controverse au sein même de la communauté noire.
En 1912, il soutient l'élection de Woodrow Wilson. Pendant la première guerre mondiale, Du Bois incite les Noirs à s'engager, comme soldats ou dans les industries de guerre, pour gagner la reconnaissance des Blancs, mais il dénonce en même temps la discrimination à leur encontre dans l'armée, ce qui lui vaut d'être menacé de poursuites par le département de la Justice.
Du Bois est considéré comme l’un des pères du panafricanisme (avec George Padmore) après le congrès de Manchester en 1945 : les deux hommes avaient organisé ensemble la conférence panafricaine de Londres en 1901, exigeant pour les colonies des "gouvernements responsables" et le respect de l’indépendance de Haïti, du Libéria et de l’Ethiopie. En 1919 il organise le premier congrès panafricain, et avec l'aide de Blaise Diagne, membre sénégalais de la Chambre des députés en France, persuade Clemenceau d'autoriser le congrès à se réunir à Paris. Cinquante-sept délégués venus des États-Unis, d'Europe, d'Afrique et des Indes orientales y assistent. En 1921 a lieu le deuxième congrès panafricain, qui se tient successivement à Londres, Bruxelles et Paris ; il est marqué par les divisions entre les délégations anglaise et américaine d'une part, belge et française de l'autre. Les premières réclament des politiques de confrontation directe, alors que les secondes cherchent à réaliser un compromis avec leurs gouvernements. Du Bois présente des résolutions à la Société des Nations à Genève et demande au Bureau International du Travail d'enquêter sur les conditions de travail dans les colonies. Il démissionne de son poste de secrétaire du mouvement panafricain. En 1927, il participe au Congrès panafricain qui a lieu à New York et en 1929 à celui qui a lieu en Tunisie. Il y rencontre notamment Kwame NKrumah
En 1933 il commence à réévaluer sa position sur la ségrégation, devenant de plus en plus pessimiste quant aux possibilités d'intégration, en particulier à cause des conséquences de la crise économique. Il est de plus en plus convaincu par le marxisme, en particulier après le voyage qu'il fait en Union Soviétique en 1926; il enseigne à Atlanta un séminaire intitulé "Marx and the Negro". Il démissionne en 1934 de son poste de rédacteur des publications et de la recherche au NAACP : c'est l'aboutissement d'une longue série de désaccords avec le NAACP, dont il dénonce la dérive à droite. Pourtant, dans le chapitre de son autobiographie où il revient sur ses convictions politiques, il écrit :
«Je n'étais pas, et je ne suis toujours pas, communiste. Je ne crois pas au dogme de l'inévitabilité de la révolution pour redresser les maux économiques.»
La relation de Du Bois au socialisme est, comme tant d'autres choses, ambiguë : elle ne repose pas, contrairement à ce que certains ont dit, sur de l'adoration, mais elle relève d'une approche pragmatique de la politique. Il est convaincu de la supériorité morale et politique du communisme sur le capitalisme, mais ni l'un ni l'autre ne sont capables par eux-mêmes de surmonter les préjugés de la race. C'est la promesse du communisme, bien plus que ses résultats, qui intéresse Du Bois; c'est la possibilité de restaurer une véritable démocratie aux États-Unis, en luttant contre l'opinion trop répandue selon laquelle l'American way of life est coextensif avec la liberté.
En avril 1950, il participe à la fondation du Peace Information Center, organisation destinée à promouvoir la paix internationale et luttant pour l'interdiction des armes nucléaires, et il en est élu président. Le mouvement est théoriquement démantelé en octobre pour avoir refusé d'être officiellement enregistré comme « agent au service de l'étranger » par le département de la Justice. En 1951 il est inculpé sous le coup du MacCarran Act, l'une des nombreuses législations de l'époque instituées pour entraver la liberté d'expression : il risque cinq ans de prison et dix mille dollars d'amende. Sa femme Nina est morte à Baltimore en 1950. Il épouse alors l'écrivain Shirley Graham, qu'il a rencontrée en 1920 quand elle n'était qu'une enfant, puis avec laquelle il a correspondu pendant dix ans, afin qu’elle puisse bénéficier d’un droit de visite en prison. Finalement, grâce au soutien de diverses organisations humanitaires, il est libéré sous caution, et lors du procès qui a lieu du 8 a 13 novembre, le juge décide son acquittement, au motif que le gouvernement n'a pas réussi à établir de lien entre le Peace Information Center et une quelconque organisation étrangère.
En 1950, Du Bois est désigné comme candidat de l'American Labor Party pour un poste de sénateur au Sénat de New York. Il obtient 4% des voix à l'échelle de l'État et 15% à Harlem. Selon Du Bois, la solution au "problème noir" est marxiste et internationale : il faut comprendre la répression du peuple noir en termes de lutte des classes ; la libération ne peut être que mondiale. Son soutien à des positions d'extrême-gauche l'éloigne de plus en plus de la pensée noire américaine traditionnelle. En 1954, surpris par l'arrêt de la Cour Suprême Brown contre Topeka, qui par décision unanime de la Cour, met un terme à la ségrégation légale dans le cadre scolaire, il écrit : «I have seen the impossible happen». En 1956, il rédige un message de soutien à Martin Luther King Jr., lors du boycott des bus à Montgomery. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il voyage continuellement, bien qu'il essuie de fréquents refus de visa (pour assister au World Youth Festival à Varsovie en 1955, pour donner des conférences en Chine populaire en 1956 ou pour participer au Premier Congrès Mondial des Écrivains et Artistes Noirs en Sorbonne, à Paris, en 1956) : il va en Jamaïque, à Trinidad et à Cuba en 1947; puis de 1958 à 1960, en Angleterre, en France, en Belgique, en Hollande, en Suisse, en Tchécoslovaquie, en Allemagne de l'Est et en Union soviétique, où il rencontre Nikita Khrouchtchev; enfin en Chine, où il est reçu par Mao Ze Dong. En 1961 il adhère officiellement au Parti Communiste américain, et devient directeur de l'Encyclopedia Africana. La même année, sur l'invitation de Nkrumah, il émigre avec sa femme au Ghana. Lorsque son visa expire en 1963, les autorités américaines refusent de le renouveler ; Du Bois renonce alors à la nationalité américaine, demande, et obtient, la nationalité ghanéenne : on a pu y voir un échec de ses positions internationalistes et le repli sur un afrocentrisme désabusé, le signe que le "problème noir" n'était pas prêt d'être résolu aux Etats-Unis. Il s'éteint le 27 août 1963, la veille de la marche pour les droits civiques des Noirs sur Washington, où Martin Luther King prononça la célèbre allocution «I have a dream».



Ouvrages principaux de W.E.B. Du Bois
The suppression of the Slave Trade to the United States of America, 1638-1870
The Philadelphia Negro (1899)
The Souls of Black Folk (1903),
John Brown (1909)
The Quest of the Silver Fleece (1911)
Black Reconstruction in America (1935),
The Gift of Black Folk
The Negroes in the making of America
Dusk of Dawn (1940)
The Black Flame (1957-1961)
Du Bois est l'architecte principal de l'Encyclopedia Africana. Ses essais et articles sont innombrables, dans des revues aussi diverses que The Crisis, Horizon, The Independant, Century, Louisiana Weekly, Phylon, National Guardian, etc.
Son ouvrage primordial reste Les Ames du peuple noir, qui a donné pour la première fois une voix au peuple noir.

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