Tite-Live

59 avant J.-C.-17 après J.-C.
Né à Padoue en 59 avant J.-C., mort en 17 après J.-C. Tite-Live (T. Livius), après avoir fait de bonnes études dans sa ville natale, vint à Rome à l’âge de vingt-quatre ans. Il y séjourna longtemps et devint l’un des familiers d’Auguste. Il ne remplit aucune fonction publique, mais il fut chargé de l’éducation du jeune Claude, le futur empereur. Il consacra la meilleure partie de son temps à réunir les matériaux de son œuvre. Grâce à la protection de l’empereur, il put consulter toutes les vieilles archives de Rome et y recueillir de précieux renseignements sur l’histoire de la République. Après la mort d’Auguste, Tite-Live quitta Rome. Il revint à Padoue où il mourut trois ans plus tard. Il laissait un fils et une fille. Sa fille avait épousé un rhéteur obscur, L. Magius, dont le nom nous a été conservé par Sénèque.

Tite-Live écrivit une Histoire complète de Rome, depuis la fondation de la ville jusqu’à la mort de Drusus (9 avant J.-C.). Cette œuvre se composait de 142 livres, divisés en Décades ou groupes de 10 livres. 35 livres seulement sont parvenus jusqu’à nous. Nous ne possédons aujourd’hui, en effet, que la 1ère, la 3e et la 4e décade au complet, soit 30 livres, et les cinq premiers livres de la 5e décade; quelques fragments des autres livres ont été retrouvés, mais aucun n’a une étendue considérable. Les livres qui se sont conservés renferment l’histoire des premiers siècles de Rome depuis sa fondation jusqu’en 292 avant J.-C., le récit de la seconde guerre punique et de la conquête par les armes romaines de la Gaule cisalpine, de la Grèce, de la Macédoine, d’une partie de l’Asie mineure. Le dernier événement important qui s’y trouve relaté est le triomphe de Paul-Émile. Un écrivain de basse époque avait rédigé des Epitome pour tous les livres; ces Epitome ont subsisté; ils nous donnent une idée du plan suivi par Tite-Live et de l’ordre dans lequel il racontait les événements.

On a souvent accusé Tite-Live d’inexactitude et de partialité. On lui a reproché d’avoir accordé trop de faveur aux légendes créées par la vanité du peuple romain ou des grandes familles romaines, et d’avoir dissimulé volontairement les faits historiques qui pouvaient être humiliants pour sa patrie. Il importe de n’exagérer dans aucun sens. Certes Tite-Live n’a pas appliqué aux sources dont il a disposé toutes les règles de la critique moderne, et son patriotisme l’a parfois induit en erreur; mais il paraît certain qu’il s’est efforcé de découvrir la vérité et de recueillir les renseignements à la fois les plus abondants et les plus authentiques. Il faut d’ailleurs distinguer dans l’histoire de la République romaine deux périodes : la période des origines, jusqu’à la prise de Rome par les Gaulois, et la période postérieure à la prise de Rome. Les plus anciens documents sur l’histoire romaine avaient été détruits dans l’incendie qui consuma Rome en 390 avant J.-C.; quand la cité fut reconstruite, les pontifes essayèrent de reconstituer les vieilles annales disparues; forcément de nombreuses légendes se glissèrent alors dans ce travail et Tite-Live les a reproduites; mais il serait injuste de l’en rendre responsable. Il a utilisé de son mieux les seuls documents qui existaient de son temps; et l’on peut se demander si les hypothèses souvent forcées ou arbitraires des érudits modernes ont plus de valeur que ces documents antiques si décriés. Pour les temps qui suivent l’année 390, Tite-Live a consulté de nombreux annalistes et historiens qu’il cite fréquemment. Non seulement il les cite, mais même, lorsque deux d’entre eux se trouvent en désaccord, il lui arrive de discuter leurs assertions et d’indiquer les raisons pour lesquelles il suit l’avis de l’un plutôt que l’opinion de l’autre. Il est toutefois aisé de distinguer chez Tite-Live deux tendances qui ont pu faire légèrement dévier ses jugements. Tite-Live se rappelle trop, lorsqu’il doit choisir entre deux documents, qu’il est Romain et qu’il est un homme de lettres. Le patriotisme et le sens littéraire ont souvent déterminé ses choix. Par exemple, l’antiquité n’ignorait pas que Rome avait été prise par les Étrusques peu d’années après l’expulsion de Tarquin le Superbe; quelques auteurs citent même une des clauses de la capitulation qui fut alors imposée aux Romains. Tite-Live, au contraire, nous a rapporté les légendes de Mucius Scaevola, d’Horatius Coclès, de Clélie; certes il ne les a pas inventées; il les a trouvées sans doute dans les archives de l’État ou dans celle de quelque gens patricienne, mais il les a préférées aux autres versions, parce qu’elles flattaient la vanité romaine au lieu de l’humilier. Et, d’autre part, entre deux renseignements différents, Tite-Live a souvent choisi celui qui lui fournissait la matière d’un beau récit ou l’occasion d’un discours éloquent. L’historien, chez Tite-Live, n’a pas assez dépouillé le Romain et le littérateur. Mais on ne saurait, sans injustice, incriminer sa conscience ni sa bonne foi. N’oublions pas enfin, que, sans Tite-Live, nous en serions réduits pour l’histoire des origines romaines et des premiers siècles de l’État romain aux longues dissertations de Denys d’Halicarnasse ou aux indications éparses, vraiment trop fragmentaires, que l’on peut recueillir dans Cicéron et dans quelques autres écrivains latins ou grecs. Avec ses défauts et ses lacunes, ce que nous possédons de l’œuvre de Tite-Live est encore la source la plus abondante à laquelle il nous soit donné de puiser pour l’histoire de plusieurs siècles de Rome.

Tite-Live est à la fois un conteur et un orateur. Comme conteur, on l’a souvent comparé à Hérodote. Il est certain que, chez les deux écrivains, le récit a la même allure vive, rapide, entraînante; le lecteur se croit reporté en présence des faits; les personnages semblent pris sur le vif; on les voit agir, on les entend parler. Toujours la narration est intéressante et animée; parfois elle inspire une vive émotion. Tite-Live ne reste pas insensible aux événements qu’il raconte : « Il sent, écrit Nisard, les passions qu’il dépeint. Cette sensibilité le rend heureux comme un contemporain des victoires de son pays, malheureux de ses défaites; il y a, dans sa partialité même, soit l’illusion d’un témoin qui a grossi les choses par l’espérance ou par la crainte, soit le dépit d’un fier Romain battu, qui nie sa défaite. Après la bataille de Cannes, comme un Romain de ce temps-là que la douleur eût suffoqué : ‘Je n’essaierai pas, dit-il, de peindre le désordre et la terreur dans les murs de Rome; je succomberais à la tâche.’ » Mais, de plus, Tite-Live est orateur, ce que n’était pas Hérodote. Il ne laisse échapper aucune occasion de placer dans la bouche des principaux personnages de Rome quelque harangue d’une belle ordonnance, au style ample et majestueux. Il fait parler les premiers rois et les plus anciens consuls, comme Cicéron, Hortensius et les orateurs du siècle d’Auguste parlaient sur le Forum et dans les tribunaux romains. Au jugement de Quintilien, les harangues de Tite-Live sont d’une éloquence au-dessus de toute expression: « Tout y est parfaitement adapté aux personnes et aux circonstances. Il excelle surtout à exprimer les sentiments doux et touchants : nul historien, en un mot, n’est plus pathétique. Voilà comment il a balancé l’immortelle rapidité de Salluste. » Sans doute, il y a là une préoccupation purement littéraire qui n’a rien de commun avec notre conception moderne de l’histoire; mais, en vérité, nous ne pouvons pas reprocher à Tite-Live ce qui a été le caractère commun des historiens antiques, même des plus grands, comme Thucydide et Tacite.

Le style et la langue de Tite-Live provoquaient, dès l’antiquité, une vive admiration. Quelques puristes du siècle d’Auguste lui reprochaient, dit-on, sa patavinité. Ils entendaient probablement par là l’usage de locutions ou de tournures provinciales originaires de Padoue (Patavium), la ville natale de l’écrivain. Il nous serait difficile aujourd’hui de retrouver ces locutions ou ces tournures; il est même vraisemblable qu’au IIe et au IIIe siècle de l’empire, alors que la grande majorité des écrivains étaient des provinciaux, Espagnols, Africains, Gaulois, la prétendue patavinité de Tite-Live n’était plus distinguée par personne. Quintilien n’adresse aucune critique ni au style ni à la langue de Tite-Live. En tout cas, ce reproche formulé par quelques Romains raffinés du siècle d’Auguste n’empêcha pas les contemporains de Tite-Live de voir en lui l’un des plus grands écrivains de Rome. Pline le Jeune raconte qu’un habitant de Gadès fit le voyage de Rome uniquement pour voir Tite-Live, et, qu’après l’avoir vu, il reprit immédiatement le chemin de l’Espagne. La célébrité de Tite-Live se maintint pendant toute l’antiquité. Les Pères de l’Église chrétienne, comme saint Jérôme, la mentionnent à plusieurs reprises.

J. Toutain, article «Tite-Live» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, [191-?]. Tome trente et unième (Thermophyle-Zyrmi), p. 126-127.

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