Essentiel
«Le sens de Pâques? Peut-être est-ce exagéré de le penser, mais je le trouve déjà dans cette cérémonie traditionnelle, pratiquement oubliée aujourd'hui, alors que de bon matin la famille partait à la rivière la plus proche de la maison pour y aller chercher ce qu'on appelait l'eau de Pâques. Il fallait le faire avant le lever du soleil, recueillir l'eau à contre courant pour qu'elle soit plus pure et surtout ne boire de cette eau qu'avec respect et dans des circonstances particulières. Le jour de Pâques par exemple, ou à cause d'un mal de gorge, ou pour frotter un membre malade. Eau magique, eau curative, eau miraculeuse si l'on veut!
Nous pourrions toujours dire qu'il s'agit d'une cérémonie païenne qui encourage la superstition. Cette interprétation livresque ne correspond pas à la réalité vécue. Comme toujours les livres ne disent pas tout de l'âme du peuple. Ici, il est évident qu'il s'agit de la glorification cosmique du matin de Pâques. Cette idée de se rendre à la source avant le lever du soleil est peut-être venue de la lecture de quelque écrit antique de la résurrection. Nous n'oublions pas que le soleil levant a été considéré comme un symbole de la résurrection et que dimanche est aussi la fête du soleil. Sunday!
Un point reste à noter. Même si à l'église et depuis le samedi saint l'eau bénite attendait les fidèles, même si la cérémonie familiale à la rivière ne paraît pas recommandée par les prêtres, même si le rituel n'en parle jamais, il faut se réjouir que le clergé local n'ait jamais condamné cette pratique ni jamais à ce que je sache mis en doute la bonne foi de nos gens rendus à la source. C'est qu'il y a peut-être un sens profond dans ce geste antique: Pâques n'est-elle pas la fête qui renouvelle la vie, comme la source renouvelle l'eau qui la fait couler? L'eau qui coule après le froid hiver n'est-elle pas une belle image de la vie ressuscitée?»
Source: Benoît Lacroix, "Sources sacrées", Le Devoir, 30 mars 2002
Enjeux
«Notre tâche n'est pas la préservation du passé, mais la rédemption des espoirs du passé.» (Adorno et Horkheimer, La dialectique des lumières)
Oeuf manipulé, eau gaspillée et polluée, les symboles de Pâques et de la Vie sont menacés...et redécouverts.
Pâques, fête païenne, fête chrétienne, fête du printemps, fête de la vie, symbolisée par l’oeuf, lequel est au centre du mythe de l’origine du monde dans un grand nombre de cultures.
Entendons par oeuf le nouvel être résultant de la fécondation de l’élément femelle de la vie par l’élément mâle. Il y a un siècle, l’oeuf était encore intact. Sa membrane protectrice marquait les limites de la science. De la vie à l’extérieur de l’oeuf et aux diverses étapes du développement du vivant, on savait déjà beaucoup de choses. À l’intérieur c’était le mystère, le mystère éternel dont on s’inspirait à Éleusis pour initier les fidèles à l’immortalité : mort de la graine dans le sol, résurrection sous la forme d’une plante. «Si le grain ne meurt...» dira l’Évangile.
Vers le milieu du XIXe siècle, Mendel, un moine, avait proposé une explication de l’hérédité faisant apparaître la nécessité d’éléments distincts – les futurs gènes – dans l’héritage transmis d’une génération à l’autre. Il fallut cinquante autres années de tâtonnements à l’extérieur de l’oeuf avant qu’on ait l’idée d’ouvrir la brèche pratiquée par Mendel et de braquer les microscopes sur l’intérieur de l’oeuf. Avec celle de l’atome, que l’on peut considérer comme l’oeuf de la matière inanimée, l’exploration de cet oeuf sera la grande entreprise du XXe siècle. Gène, ADN, protéine, autant de mots qui marquent les étapes d’une conquête qui devait permettre de percer le mystère de l’oeuf, de modidier les règles naturelles de la reproduction, de rendre possibles les OGM et les clones. Dans le même mouvement, pour expliquer l’origine du monde, la science a remplacé la métaphore de l’oeuf et de son éclosion, par celle du Big Bang qui est une explosion à l’intérieur de la matière inanimée.
L’oeuf n’est plus dans l’oeuf! L’origine de la vie a perdu son mystère. Peut-être serait-il plus juste de dire que le mystère s’est réfugié dans un second oeuf à l’intérieur de celui qu’on vient d’explorer. Quoiqu’il en soit, en tant que symbole l’oeuf a perdu la plus grande partie de sa force, il est devenu une coquille vide et commerciale, la seule vie qu’il possède encore s’étant réfugiée à sa surface sous forme de couleurs attrayantes.
L’eau perd aussi de sa force en tant que symbole de Pâques et de la Vie en raison de l’usage inconsidéré qui en est fait . Rien ne nous empêche cependant de revenir par un choix libre à ces symboles qui nous avaient été donnés par la nature et par la tradition. Parmi tous ceux qui en ce moment s’inquiètent de la manipulation des gènes, comme parmi ceux qui se soucient de protéger l’eau et de la répartir avec plus de justice – ce sont souvent les mêmes– plusieurs, la majorité sans doute, sont attachés au symbole autant qu’à la chose. Certes un symbole second, choisi, redécouvert n’a pas la puissance magique d’un symbole donné, d’un symbole premier, mais il peut être associé à la plus pure des compassions pour ce qui est faible, fragile, souffrant, menacé, en nous et dans l’univers. (J.D.)
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«La foi commune en la résurrection unit les chrétiens d'Orient et d'Occident; souvent, cependant, les dates différentes auxquelles ils célèbrent Pâques les séparent. La raison de cette différence tient au fait qu'ils suivent deux calendriers différents: le calendrier grégorien, qui remonte au 16e siècle, principalement utilisé par les Eglises occidentales, et le calendrier julien, plus ancien, qui sert de base avant tout aux Églises orthodoxes pour fixer la date de Pâques. À l'heure actuelle, le calendrier julien a treize jours de différence avec le calendrier grégorien; en 2100, la différence sera de 14 jours.
Précisément dans les régions où les chrétiens des traditions d'Orient et d'Occident se côtoient tous les jours et, dans bien des cas, constituent une minorité religieuse, cette situation de différence est ressentie comme particulièrement douloureuse.
Le colloque tenu à Alep (Syrie) en mars 1997 sous les auspices du COE et du Conseil des Eglises du Moyen-Orient dans le but de progresser vers l'établissement d'une date commune de Pâques constitue sans nul doute un jalon marquant dans les efforts faits pour aplanir les obstacles existants. Dans ce contexte, il est important qu'on ait reconnu que les différences dans les méthodes de calcul de la date de Pâques n'étaient pas dues à des divergences théologiques fondamentales.
En outre, le colloque a formulé plusieurs recommandations en vue de parvenir à une date commune de Pâques. Ainsi par exemple, on devrait s'en tenir à la méthode de calcul reconnue par les Eglises d'Orient et d'Occident, fixée par le Concile de Nicée en 325. Selon cette méthode, on fête Pâques le dimanche qui suit la première pleine lune de printemps. Toujours selon ces recommandations, on devrait calculer les données astronomiques relatives à l'équinoxe de printemps «par les moyens scientifiques les plus exacts possibles». Pour cela, on prendra comme base de calcul «le méridien de Jérusalem, lieu de la mort et de la résurrection de Jésus». Mais cela signifie un changement tant pour l'Orient que pour l'Occident, puisque les deux calendriers sont imprécis du point de vue astronomique. Pour les Eglises qui utilisent le calendrier grégorien, un écart de date interviendrait pour la première fois en 2019: sur la base du calcul purement scientifique, Pâques tomberait alors le 24 mars, alors que le calendrier grégorien fixerait la date au 21 avril et le julien au 28 avril.
Le colloque d'Alep a vu dans la coïncidence des deux dates de Pâques au début du nouveau millénaire une chance de reprendre et d'intensifier la recherche d'une date commune. "Fêter Pâques/Pascha à la même date ne devrait plus être l'exception, mais la règle."»
Conseil oecuménique des Églises, Réflexions sur la recherche d'une date commune de Pâques, communiqué de presse, 9 avril 2001.