Motoneige

Paradoxale motononeige

Outil de convivialité et de prédation

par Jacques Dufresne

Rien de plus facile que de trouver sur Internet de l’information 1 sur la motoneige. Mais que penser du sport dont elle est l’outil, un sport paradoxal où la vie sociale la plus authentique gravite autour de la machine la plus prédatrice et la plus dépassée sur le plan technologique.

La machine d’abord. Le 21 janvier 2020, un accident de motoneige a causé la mort de six personnes dont 5 touristes français, à Alma au Lac St-Jean, au terme d’une excursion qui avait commencé à La Tuque, 180 kilomètres plus bas.  Pendant plusieurs jours, ce fut le sujet principal dans les médias québécois. C’était une belle occasion de lancer un débat sur le sens et la pertinence de ce sport dans le contexte mondial actuel. Personne, à ma connaissance, pas même parmi les ténors de l’écologie ne s’y est risqué.  À croire que la liberté d’expression est désormais suspendue au Québec quand ce symbole national est en cause.( Espoir: on m'apprend que le 28 janvier dernier le parti Québec solidaire a signalé le problème de la pollution par la motoneige et que la compagnie BRP a réagi à cette prise de position.)

« Une motoneige pollue autant en une journée de 8 heures qu'une automobile en un an. » Cette information, trouvée sur notre site, remonte à 2003. J’ai cru que nous avions fait une erreur tant ce fait m’a troublé, mais voici ce qu’une source fiable m’apprend aujourd’hui : « L'Agence de la Protection de l'Environnement des États-Unis, l'EPA, estime que l'utilisation d'un moteur deux temps de 70 chevaux, pendant une heure, émet la même quantité de pollution par les hydrocarbures imbrûlés qu'une automobile moderne roulant sur une distance de 5000 milles (8046,72 kilomètres). » 2 Pourquoi? Parce que les moteurs à deux temps, dont sont équipés les motoneiges et bien d’autres véhicules récréatifs, relèvent d’une technologie complètement dépassée. Notre symbole national serait-il aussi le symbole de notre ignorance ? Le Québec veut tout électrifier, sauf, semble-t-il la motoneige. Faux ! Il existe depuis 2015 une motoneige électrique, la Taiga, mais entre La Tuque et Alma, les bornes de recharge semblent rares.


De La Tuque au Lac St-Jean, c’était le trajet de François Paradis, le héros du roman Maria Chapdelaine. Ce coureur des bois quichottesque, monté sur des raquettes, allait rejoindre sa Dulcinée. Notre dur hiver a eu raison de lui. La motoneige permet à ses descendants de prendre leur revanche sur cet hiver. Quand elle ne les attend pas dans un gîte, Dulcinée les suit ou les précède sur sa propre chenille mécanique, après avoir longtemps été assise derrière eux sur l’unique engin conjugal.

Je vis dans une région où il y a plus de sentiers de motoneiges que de pistes de ski de fond. Le mot sentier évoque bien le paradoxe de ce sport : il rappelle la sinuosité et l’étroitesse des trajets naturels, ceux des chevreuils et des lièvres, mais il désigne en réalité une autoroute qui bulldoze ces trajets, tout en malmenant les réseaux souterrains de racines et de champignons. Le coucher de soleil sur le grand lac, aperçu du haut de la colline, est si beau qu’il semble justifier le bruit et la fureur du voyage. Pétarader pour enfin contempler!

J’ai l’âge des motoneiges, mais mon mariage avec elles a commencé par un divorce, car à mes yeux, mes oreilles et mes narines elles dépoétisaient le paysage où j’avais choisi de vivre il y a cinquante ans. Décennie 1970 : nous sommes, ma femme et moi, les seuls à faire du ski de fond dans notre région, mais l’avenir nous appartient. Un jeune ouvrier du village voisin ose défier la pression sociale de son entourage pour participer à nos excursions. Il devient à nos yeux une promesse d’avenir. Bientôt les motoneiges ne serviront qu’à tracer des pistes pour les skieurs! Nous ne voyons plus de skieurs, mais nous entendons de plus en plus les deux temps des motoneiges.

Les explications se bousculent dans mon esprit. Le ski de fond, comme la marche, serait-il donc un sport pour solitaires, par là privé de l’attrait qu’exercent les motoneiges et les motocyclettes sur des êtres ayant la nostalgie de la convivialité d’autrefois, du temps des fêtes et des danses carrées? Mais pourquoi cette convivialité gravite-t-elle autour de ces machines? Parce qu’elles sont elles-mêmes folkloriques? Parce que les humains ont besoin pour être heureux avec leurs semblables de renforcer leur sentiment de puissance, leur estime d’eux-mêmes, leur virilité ou leur néo-féminité, aux commandes d’un engin qui leur obéit inconditionnellement ? Serait-ce là une médecine préventive contre la violence dans les rapports interpersonnels, une thérapie par la machine, instrument de transfert? Sport paradoxal ai-je dit. Faut-il exclure que l’habitude de commander à des cylindres puisse se transposer dans les rapports à l’autre?

On atteint le sommet du paradoxe quand on découvre que les clubs de motoneigistes sont des foyers de solidarité et de responsabilité qui pourraient servir de modèles à l’ensemble de la société. Chaque année, j’ai le bonheur de voir des voisins s’affairer bénévolement à l’entretien des sentiers. Leurs ancêtres avaient entretenu leurs routes dans le même esprit. Ne serait-ce pas pour retrouver cet esprit que les motoneigistes s’adonnent à un sport dont ils savent très bien qu’il est un luxe que l’État ne doit ni financer ni contrôler comme il finance et contrôle ces sports olympiques où le prestige national est en cause ? D’où le tort que l’État ferait à la société, et à lui-même ultimement, s’il introduisait dans ce sport très bien autorégulé ses tentacules technocratiques, ses diplômes, ses règlements et ses inspecteurs. S’il tient à intervenir, ne devrait-il pas d’abord le faire en interdisant les moteurs à deux temps?

Vivement la motoneige électrique en attendant le jour où les humains, en permanence assis désormais, comprendront que la marche, le premier des sports dans leur évolution,devrait aussi être le premier dans leur vie quotidienne actuelle.

Notes

1-https://www.aventuresnouvellefrance.com/blog/histoire-motoneige/

https://www.lecourrierdusud.ca/la-motoneige-une-industrie-florissante-au-quebec/

2- www.lacbowker.org/deuxtemps_fichiers/deuxtemps.html

 

 

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