Hémon Louis
«En août 1907, Louis Hémon envoyait au Temps une longue nouvelle, Lizzie Blakeston, qui parut du 3 au 8 mars 1908, et qui fut ensuite recueillie dans La Belle que voilà.
Ce livre fut publié dans la collection des « Cahiers verts », comme aussi Colin-Maillard, roman londonien. Le Temps avait reçu le manuscrit, flatteusement apprécié par son lecteur, mais qui fut retourné pour des raisons d’opportunité.
Jusque là Louis Hémon avait résidé à Londres. Il partit pour le Canada dont il parcourut en chemineau les villes, villages et moindres bourgades, se mêlant, comme il en avait coutume, aux ouvriers, aux paysans. Il se « loua » chez un habitant qui possédait une terre dans la région du lac Saint-Jean, pour y vivre de cette vie qui a conservé le goût de l’inconnu et de l’aventure. Il en rapporta Maria Chapdelaine, son chef-d’œuvre. C’est de Montréal où il habitait 201, rue Saint-Christophe, qu’il l’envoya au Temps dans les premiers jours de juillet 1913.
Maria Chapdelaine parut en feuilleton du 27 janvier au 19 février 1914. Le journal avait prévenu l’auteur, en août 1913, que son œuvre était acceptée, et la lettre était revenue avec la mention « décédé ».
Le succès de Maria Chapdelaine, lors de sa publication dans Le Temps, fut considérable à Montréal et à Québec. Une première édition du livre fut faite […].
La première édition française parut chez Grasset qui en avait acquis la propriété de la maison Payot. Ce fut le premier et le plus recherché des « Cahiers verts ». Inutile d’insister sur le succès de cet ouvrage dont le tirage a atteint, paraît-il, les chiffres les plus élevés que l’on ait connus en librairie.»
«Louis Hémon», Chronique des lettres françaises, troisième année, no 17, septembre-octobre 1925, p. 596-597 (publication du domaine public).
Louis Hémon au Québec
«Après avoir passé huit ans en Angleterre, Louis Hémon s’embarqua à Liverpool pour Québec, au mois d’octobre 1911. Il sentit très vivement le charme particulier que cette ville peut faire éprouver à un Français, et son journal garde des traces fort émouvantes de cette impression. De Québec, Hémon se rendit à Montréal, puis il partit en décembre pour le lac Saint-Jean et ses environs. Il passa le printemps de 1912 à Montréal, et remonta ensuite vers le lac. C’est alors qu’il rencontra le fermier Samuel Bédard, que plusieurs critiques identifient avec le père Samuel Chapdelaine, à qui il proposa de le prendre à son service comme journalier.
La ferme était située en pleine forêt, à trois milles de Péribonka et tout près de la rivière. C’était une simple cabane, avec une seule pièce au rez-de-chaussée, divisée par un rideau en deux chambres. Louis Hémon vécut plusieurs mois dans ce pauvre logis avec les époux Bédard et leurs deux fils adoptifs.
Dans une ferme voisine habitait le père de Mme Bédard, un « colon migrateur » nommé Bouchard. Il avait auprès de lui sa fille Eva, que les gens du lac Saint-Jean appellent aujourd’hui Maria Chapdelaine. Eva Bouchard, elle, avait étudié pendant cinq ans chez les Ursulines de Roberval, avait été institutrice plusieurs années, et les différences qu’elle présente avec Maria Chapdelaine sont profondes. Elle apprit à Louis Hémon des histoires et des contes qui passèrent dans le roman. C’est elle qui lui fit comprendre la vieille âme française, rurale, religieuse et familiale des Canadiens de notre race.
Tous les autres personnages du roman ont aussi leurs prototypes approximatifs dans d’autres Canadiens, que Louis Hémon eut l’occasion de connaître pendant les journées de travail ou pendant les veillées d’hiver. Il était fort apprécié de tous. C’est le dimanche seulement qu’il écrivait, dans sa petite chambre.
Au printemps de 1913, il quitta Péribonka et alla s’installer au bord du lac Saint-Jean, à Saint-Gédéon, pour coordonner ses notes et rédiger son récit. Puis il se rendit par étapes à Montréal, où il s’engagea comme traducteur dans une maison de commerce. Le matin, il arrivait à son bureau une heure avant les autres employés, et copiait à la machine le manuscrit de son roman. Ce travail fini, il partit à la fin de juin pour voyager dans l’Ouest. On sait que, le 8 juillet, le malheureux Hémon fut écrasé par un train à la gare de Chapleau, dans l’Ontario.»
«Louis Hémon», Chronique des lettres françaises, troisième année, no 17, septembre-octobre 1925, p. 597-598 (publication du domaine public).