Johann Winckelmann
«[Toutefois] l'homme qui fit une véritable révolution en Allemagne dans la manière de considérer les arts, et par les arts la littérature, c'est Winckelmann. [...] la beauté de son style est telle qu'il doit être mis au premier rang des écrivains allemands.
Cet homme, qui n'avait connu d'abord l'antiquité que par les livres, voulut aller considérer ses nobles restes; il se sentit attiré vers le midi avec ardeur. On retrouve encore souvent dans les imaginations allemandes quelques traces de cet amour du soleil, de cette fatigue du nord qui entraîna les peuples septentrionaux dans les contrées méridionales. Un beau ciel fait naître des sentiments semblables à l'amour de la patrie. Quand Winckelmann, après un long séjour en Italie, revint en Allemagne, l'aspect de la neige, des toits pointus qu'elle couvre, et des maisons enfumées le remplissait de tristesse. Il lui semblait qu'il ne pouvait plus goûter les arts, quand il ne respirait plus l'air qui les a fait naître. Quelle éloquence contemplative dans ce qu'il écrit sur l'Apollon du Belvédère, sur le Laocoon! Son style est calme et majestueux comme l'objet qu'il considère. Il donne à l'art d'écrire l'imposante dignité des monuments, et sa description produit la même sensation que la statue. Nul avant lui n'avait réuni des observations exactes et profondes à une admiration si pleine de vie; c'est ainsi seulement qu'on peut comprendre les beaux-arts. Il faut que l'attention qu'ils excitent vienne de l'amour, et qu'on découvre dans les chefs-d'œuvre du talent, comme dans les traits d'un être chéri, mille charmes révélés par les sentiments qu'ils inspirent.
[...]
L'imagination et l'érudition prêtaient également à Winckelmann leurs différentes lumières; on était persuadé jusqu'à lui qu'elles s'excluaient mutuellement. Il a fait voir que, pour deviner les Anciens, l'une était aussi nécessaire que l'autre.
[...]
Winckelmann sut appliquer à l'examen des monuments des arts l'esprit de jugement qui sert à la connaissance des hommes; il étudie la physionomie d'une statue comme celle d'un être vivant. Il saisit avec une grande justesse les moindres observations, dont il sait tirer des conclusions frappantes.»
MME DE STAËL, De l'Allemagne, chapitre VI: "Lessing et Winckelmann", in Œuvres complètes, Paris, Firmin Didot, 1871. Texte intégral