Illusion

Jacques Dufresne

Premièere version 2002

L'illusion, tant en politique que dans la vie en général, est vue négativement à notre époque. On l'oppose purement et simplement à la réalité, on l'associe au mensonge, sinon à l'erreur. Ce n'est pas totalement faux. L'écrivain Remy de Gourmont, qui écrit à la fin du XIXe siècle, en propose pourtant une évaluation plus nuancée et l'associe au dépassement de soi-même :

"Il faut reconnaître que, si cette illusion d'amour-propre a de grands inconvénients, si elle fausse notre jugement critique, non seulement sur nous-mêmes, mais sur les autres, si elle nous entraîne à des estimations fausses, elle a, en contre-partie, de grands avantages. « L'illusion qui accompagne l'homme au cours de la vie, dit M. Cornetz, est une condition nécessaire d'existence, un produit précieux de l'instinct vital. » L'homme qui se surestime est aussi celui qui est capable de se surmonter. Il est nécessaire, au grand jeu de la vie, d’avoir confiance en soi-même. Si l'on ne s'estimait qu'à sa juste valeur, on ne s'estimerait pas assez. Si l'on ne s'accordait pas une force supérieure à sa force réelle, on n'oserait jamais entreprendre l'impossible : or il n'y a peut-être que l'impossible qui soit digne d'être entrepris. Au pur point de vue pratique, si le but à atteindre n'était pas embelli par l'illusion, se mettrait-on jamais en marche? Il est bon qu'après un échec l'homme puisse se dire, en toute naïveté : « J'aurais pu agir autrement. » Ce n'est pas vrai, sans doute; mais cela peut créer dans l'avenir une grande vérité. L'erreur est une grande génératrice de vérités. La vérité d'aujourd'hui a sa racine dans l'erreur d'hier. Les illusions ont souvent créé des forces réelles. « Vous pouviez faire mieux, » dit l'éducateur à son élève. Il met ainsi dans l'esprit de l'enfant une croyance, une idée qui engendrera immédiatement un espoir et, dans le futur, une force." (Remy de Gourmont, « L’illusion du joueur », dans l’ouvrage du même auteur : Promenades philosophiques. [Deuxième série], Paris, Mercure de France, plusieurs éditions jusqu’à nos jours. Texte du domaine public)

Un siècle plus tard, dans le Voile et le Masque, Gustave Thibon défend la même idée avec un argument plus profond:«Le déterminisme matérialiste, même à supposer qu'il réponde à la réalité, présente cette lacune qu'il réduit les possibilités de la matière. On se décourage d'autant plus vite qu'on s'imagine que le courage dépend de la physiologie. « Je suis vieux » ou « Je suis malade » — Ce constat dégénère aussi en démission. Mais si je dis : « Je dois » au lieu de « Je ne peux pas », dès cet instant, je peux davantage. En d'autres termes, il faut croire à l'âme pour tirer un meilleur parti du corps.: Illusion, dira le matérialiste. Mais peut-on honnêtement prononcer ce mot-là où l'illusion élargit le champ du réel? ''L'illusion féconde habite dans mon sein.''(André Chénier).1»

Mise en contexte du vers de Chénier:«L'illusion féconde habite dans mon sein ; D'une prison sur moi les murs pèsent en vain, J'ai les ailes de l'espérance, [Chénier, Jeune captive.]

1- Gustave Thibon, Le voile et le masque, Paris Fayard 1985, p.58

Essentiel

Un siècle plus tard, dans le Voile et le Masque, Gustave Thibon défend la même idée avec un argument plus profond:«Le déterminisme matérialiste, même à supposer qu'il réponde à la réalité, présente cette lacune qu'il réduit les possibilités de la matière. On se décourage d'autant plus vite qu'on s'imagine que le courage dépend de la physiologie. « Je suis vieux » ou « Je suis malade » — Ce constat dégénère aussi en démission. Mais si je dis : « Je dois » au lieu de « Je ne peux pas », dès cet instant, je peux davantage. En d'autres termes, il faut croire à l'âme pour tirer un meilleur parti du corps.: Illusion, dira le matérialiste. Mais peut-on honnêtement prononcer ce mot-là où l'illusion élargit le champ du réel? ''L'illusion féconde habite dans mon sein.''(André Chénier).1»

Mise en contexte du vers de Chénier:«L'illusion féconde habite dans mon sein ; D'une prison sur moi les murs pèsent en vain, J'ai les ailes de l'espérance, [Chénier, Jeune captive.]

1- Gustave Thibon, Le voile et le masque, Paris Fayard 1985, p.58

Enjeux

L'illusion, tant en politique que dans la vie en général, est vue négativement à notre époque. On l'oppose purement et simplement à la réalité, on l'associe au mensonge, sinon à l'erreur. Ce n'est pas totalement faux. L'écrivain Remy de Gourmont, qui écrit à la fin du XIXe siècle, en propose pourtant une évaluation plus nuancée et l'associe au dépassement de soi-même :

"Il faut reconnaître que, si cette illusion d'amour-propre a de grands inconvénients, si elle fausse notre jugement critique, non seulement sur nous-mêmes, mais sur les autres, si elle nous entraîne à des estimations fausses, elle a, en contre-partie, de grands avantages. « L'illusion qui accompagne l'homme au cours de la vie, dit M. Cornetz, est une condition nécessaire d'existence, un produit précieux de l'instinct vital. » L'homme qui se surestime est aussi celui qui est capable de se surmonter. Il est nécessaire, au grand jeu de la vie, d’avoir confiance en soi-même. Si l'on ne s'estimait qu'à sa juste valeur, on ne s'estimerait pas assez. Si l'on ne s'accordait pas une force supérieure à sa force réelle, on n'oserait jamais entreprendre l'impossible : or il n'y a peut-être que l'impossible qui soit digne d'être entrepris. Au pur point de vue pratique, si le but à atteindre n'était pas embelli par l'illusion, se mettrait-on jamais en marche? Il est bon qu'après un échec l'homme puisse se dire, en toute naïveté : « J'aurais pu agir autrement. » Ce n'est pas vrai, sans doute; mais cela peut créer dans l'avenir une grande vérité. L'erreur est une grande génératrice de vérités. La vérité d'aujourd'hui a sa racine dans l'erreur d'hier. Les illusions ont souvent créé des forces réelles. « Vous pouviez faire mieux, » dit l'éducateur à son élève. Il met ainsi dans l'esprit de l'enfant une croyance, une idée qui engendrera immédiatement un espoir et, dans le futur, une force." (Remy de Gourmont, « L’illusion du joueur », dans l’ouvrage du même auteur : Promenades philosophiques. [Deuxième série], Paris, Mercure de France, plusieurs éditions jusqu’à nos jours. Texte du domaine public)

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