Goût

Article à l'état d'ébauche

Le goût selon le philosophe Étienne Gilson

On est en droit de s'attendre à ce qu'un philosophe ait le respect du goût. Le verbe latin sapere, d'où viennent les mots français savoir et sapience, a pour premier sens avoir du goût et pour second sens avoir de l'intelligence, du jugement.

Quand un philosophe parle du goût, on est tenté de deviner à travers ses propos la conception qu'il a des rapports de l'âme et du corps. Que nous apprend donc Étienne Gilson sur ce point, lorsqu'il commente une dégustation de vin de Bourgogne?

« On peut boire parce que l'on a soif, et rien n'est plus louable. On peut boire pour s'enivrer, ce qui l'est infiniment moins. Mais ce n'est ni pour l'un ni pour l'autre que nous avons tourné et retourné ce «Beaune» dans nos verres, humé son parfum, essayé de capter la diversité des messages qu'il adressait à notre goût. Non, ce que nous demandions à ce vin était tout autre chose

Que cherchions-nous en buvant de vin de Beaune, que lui demandions-nous ? «Du plaisir? Assurément, mais plus encore, la connaissance de ce même plaisir. Nous lui demandions: qui es-tu? En quoi te distingues-tu des autres qui sont nés sur d'autres terres, ou même issus du même sol, n'ont pourtant pas mûri la même année sous le même soleil? Je voudrais te connaître, lui disions-nous, c'est-à-dire discerner exactement en quoi ton éphémère perfection qui ne se révèle à moi qu'en périssant, est vraiment tienne et n'appartient qu'à toi?»

Je voudrais te connaître, dit le philosophe au vin! Les sens, à commencer par le goûter, nous permettraient donc de connaître la réalité, même s'ils nous éloignent de l'objectivité et du nombre qui en est le signe? Tout français qu'il semble être, il est impossible que ce philosophe soit cartésien, il faut qu'il appartienne à une école où l'on estime davantage les sens. Serait-il donc un sensualiste? La suite de son discours nous conduit sur une autre piste:

Ainsi, exerçant notre jugement sur l'harmonie des vins et des mets qu'avait assortis pour nous l'infaillible goût de nos hôtes, nous apprenions à donner au mot «cuisine» son sens le plus noble, qui est aussi le plus vrai. Car tous les pays mangent, mais peu ont une cuisine. Cuisiner n'est pas, comme l'on dit «faire à manger»; c'est introduire l'intelligence jusque dans les sensations gustatives. Le plaisant cérémonial dont vous entourez vos agapes ne signifierait-il pas justement qu'une grande civilisation sait associer l'esprit au moindre geste de l'homme, et qu'elle ennoblit tous ses actes, jusqu'à celui de boire en le spiritualisant?»

De toute évidence Étienne Gilson appartient a une tradition, comme celle d'Aristote, où l'on croit que l'âme et le corps sont intimement unis.

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«Nous savons construire des machines parlantes, nous ne savons pas construire des robots qui boivent ni qui aient du goût. La langue peut devenir artificielle, l'intelligence le devient souvent, jamais la sapience.» MIchel Serres

 

 

 

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