Enjeux
"1. L'importance des forêts
(...) Au cours des années 1980, le débat international sur la gestion durable a mis au premier plan l'intérêt de la conservation des forêts; les plus grands forums internationaux s'y sont intéressés, qu'il s'agisse de la convention mondiale sur la biodiversité, de celle sur les changements climatiques ou des conférences ministérielles sur la forêt en Europe. Plus récemment, la mise en oeuvre de la directive communautaire «Habitats» (réseau Natura 2000) a fait prendre conscience que la politique communautaire de l'environnement s'applique aussi au territoire forestier.
Il s'agit donc pour la politique forestière actuelle de prendre en compte deux contraintes peut-être contradictoires: d'une part, celle de l'écologie, qui impose une vision planétaire, d'autre part, celle de l'économie, dont la globalisation est intervenue. Ainsi, le domaine de la filière bois peut être soumis à des exigences contradictoires. En effet, une bonne gestion des forêts suppose l'exploitation de celles-ci qui, à son tour, exige la possibilité de renouveler cette richesse.
Quelle est donc l'importance de la ressource en bois?
Par rapport à la surface du globe, les forêts occupent 3,4 milliards d'hectares, soit 26 % des continents; la Russie, le Canada et les Etats-Unis d'Amérique en représentant à eux seuls la moitié. Depuis 1980, la surface boisée a diminué de 135 millions d'hectares (31), notamment en raison de la déforestation en zone tropicale que la progression de la forêt en zone tempérée ne parvient pas à compenser.
Sur l'ensemble de la planète plus de la moitié de la production est destinée au bois de chauffage. Quant à la répartition de ces forêts sur l'ensemble du globe, près de la moitié de celles-ci sont situées en zone boréale (Amérique du Nord, ex-URSS), 40 % en zone tropicale et 5 % en Europe. Il est envisagé que la consommation de bois augmente d'environ 2 à 2,5 % par an d'ici à 2010. Quant à la consommation par habitant dans chaque pays, elle ne représente en Europe que la moitié de la consommation américaine ou de celle des pays nordiques.
Sur le marché mondial du bois, la France est le dixième producteur mondial et le cinquième exportateur de bois brut derrière les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, la Malaisie et l'Australie.
Dans l'utilisation du bois, l'ameublement et l'emballage absorbent plus de la moitié des sciages feuillus en France, tandis que le secteur du bâtiment représente 50 % des débouchés des sciages résineux.
Quant à la construction, le rôle du bois sera évoqué plus loin dans un développement relatif à l'habitat et aux gaz à effet de serre.
Après avoir envisagé le bois comme matériau de construction ou matériau de chauffage, il est essentiel de resituer ces deux utilisations dans une gestion durable de la forêt. La définition même d'un tel concept a donné lieu à de nombreux débats. D'une manière très simplifiée, il est aujourd'hui admis qu'il s'agit de gérer et d'utiliser les forêts de manière à maintenir leur diversité biologique, leur productivité, leurs capacités de regénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire actuellement et pour le futur les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes au niveau local, national et mondial. Il s'agit aussi de s'assurer que des préjudices ne sont pas portés par la forêt aux autres écosystèmes.
La diversité biologique comprend donc la variété des essences forestières, même si elle est plus vaste que cette notion. (...)
Au-delà des essences, le rôle des forêts dans le cycle de l'eau est essentiel car la couverture forestière est le mode d'occupation des sols qui assure le meilleur impact sur la qualité des eaux. Cela est d'autant plus vrai au moment où les prairies et les haies reculent - même si ce mouvement s'est ralenti -, où les zones humides se dégradent et où l'irrigation et le drainage se développent (32).
Par ailleurs, le rôle des forêts dans la protection des sols et la lutte contre l'érosion est largement attesté par les catastrophes naturelles survenant fréquemment après la disparition du manteau forestier : coulées de boues, avalanches... Enfin, la forêt recueille des poussières en suspension et joue par là même le rôle d'un piège à particules épurant l'air ambiant. Cela a joué notamment lors de l'accident de Tchernobyl.
2. Le bilan carbone des forêts
Là encore, un état des lieux des bilans de carbone s'impose. Contrairement à ce qui vient d'abord à l'esprit, la seule possibilité de stockage de carbone dans les forêts ne réside pas dans la biomasse végétale, mais également dans la matière organique du sol.
Depuis 1996, dans le cadre du projet européen «
Euroflux» et avec le soutien du programme «
Agriges», deux écosystèmes forestiers tempérés français sont étudiés : une hêtraie en Moselle et une pinède atlantique en Gironde. Seize autres sites, situés dans le nord de l'Europe, la France et l'Italie complètent cette étude.
Sans décrire les techniques de mesure du flux net de carbone et les mesures des composants du flux, non plus que l'estimation des stocks de biomasse, il a été observé sur les dix-huit sites opérationnels que la plus forte immobilisation de carbone était observée sur deux sites recevant les plus fortes précipitations annuelles (un couvert de hêtres de 90 ans de moyenne montagne en Italie, une plantation de jeunes épicéas de sitka en Ecosse). A l'inverse, une émission nette de CO
2 a été observée au-dessus d'un peuplement mélangé de conifères en Suède, d'âge équivalent (100 ans). Mais là, la pluviométrie était très faible.
Ce simple aperçu met en évidence la forte variabilité du bilan de carbone des forêts européennes. Le bilan de carbone est en effet très sensible à la température, et un léger changement des conditions climatiques peut suffire à en inverser le résultat. Mais, en forêt tempérée le bilan global de carbone constitue toujours une séquestration de celui-ci. En forêt boréale, les flux d'assimilation et de respiration s'équilibrent.
Il suffit de retenir que le flux net de carbone d'un écosystème forestier résulte de la somme de deux termes de signes opposés. D'une part la production brute, et d'autre part la respiration (autotrophe et hétérotrophe). Ces distinctions sont utiles dans la mesure où ces composantes n'ont pas la même sensibilité climatique et biologique, ce qui explique les fortes variations interannuelles observées sur les six sites étudiés, et également la forte variabilité spatiale en fonction de la pluviométrie annuelle. De plus, il n'existe pas de relation directe univoque entre la reproduction ligneuse et le bilan de carbone d'une forêt puisque, au-delà du feuillage, le sol et le sous-bois jouent un rôle important."
Notes
(31) Soit neuf fois la superficie de la forêt française.
(32) D'après le rapport Bianco, 3 millions d'hectares de prairies et plus de 500.000 hectares de haies ont disparu entre 1960 et 1994, 84 % des zones humides ont été dégradées, 30.000 hectares de plus sont irrigués et 50.000 drainés chaque année.
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (France).
Rapport sur l'évaluation de l'ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact prévisible sur la géographie de la France à l'horizon 2025, 2050 et 2100.
Tome 1. Session ordinaire de 2001-2002. Annexe au procès-verbal de la séance du 13 février 2002. Rapporteur: Marcel Deneux, sénateur (site du Sénat de la République française)