Droits de l'homme

"Les droits de l'homme sont littéralement les droits que chacun détient en tant qu'être humain. Cette idée, simple en apparence, produit des effets sociaux et politiques considérables.

Parce qu'ils ont pour seul fondement d'être inhérents à la nature humaine, les droits de l'homme sont universels, identiques pour tous et inaliénables. Ils sont l'apanage universel de tous les êtres humains.

Et aucun d'entre nous ne peut perdre ces droits, pas plus qu'il ne peut cesser d'appartenir à l'espèce humaine - quel que soit le traitement inhumain qu'il se voit infliger. Toute personne est investie des droits de l'homme et habilitée à les exercer.

Les droits de l'homme, que chaque individu détient pour se protéger contre l'État et la société, servent de cadre de référence aux organisations sociales et de critère à toute légitimité politique. Là où ces droits sont bafoués d'une manière systématique, l'aspiration aux droits de l'homme peut revêtir un caractère véritablement révolutionnaire. Même au sein des sociétés où ils sont, dans l'ensemble, convenablement respectés, les droits de l'homme permettent d'exercer une pression constante sur les gouvernements pour que ceux-ci s'y conforment.

Les origines des droits de l'homme

Dans toutes les sociétés existent les notions de justice, d'équité, de dignité et de respect. Pourtant la protection des droits de l'homme n'est qu'une façon parmi d'autres de mettre en pratique une conception particulière de la justice sociale. En fait, l'idée des droits de l'homme - la notion selon laquelle tous les êtres humains possèdent certains droits inaliénables - était étrangère à toutes les grandes sociétés occidentales et non occidentales avant les temps modernes.

Quasiment toutes les sociétés prémodernes considéraient que les souverains avaient l'obligation de gouverner avec sagesse et dans le souci du bien commun. Toutefois, leur mandat émanait d'un commandement divin, du droit naturel, de la tradition ou d'arrangements politiques. Il ne répondait pas au droit (ou aux exigences) de tous les êtres humains d'être gouvernés en toute justice. Dans une société bien organisée, les sujets étaient censés être les bénéficiaires des obligations politiques que remplissaient les souverains. Mais les citoyens n'avaient aucun droit naturel ou inhérent à la personne humaine qu'ils auraient pu exercer à l'encontre de souverains injustes.

Les droits de l'homme firent leur apparition en Europe, au XVIIe siècle. Le Deuxième traité du gouvernement de John Locke (publié dans le sillage de la Glorieuse Révolution britannique de 1688, qui avait renversé le roi Jacques II) exposait pour la première fois une théorie pleinement développée sur les droits naturels. La théorie de Locke prend pour point de départ un état de nature présocial où des individus égaux ont un droit naturel à la vie, à la liberté et à la propriété.

Toutefois, en l'absence de gouvernement, de tels droits n'ont guère de valeur. Il est quasiment impossible de les garantir par une action individuelle, et les litiges surgis à leur propos sont à leur tour source de graves conflits. Par conséquent, les individus s'organisent en sociétés, et les sociétés se donnent des gouvernements pour que ceux-ci leur fournissent le moyen d'exercer leurs droits naturels.

Selon Locke, le gouvernement repose sur un contrat social entre gouvernants et gouvernés. Les citoyens ne sont contraints d'obéir que si le gouvernement garantit à chacun les droits de l'homme, lesquels sont moralement antérieurs et supérieurs aux impératifs et aux intérêts du gouvernement. Ce dernier trouve sa légitimité dans la mesure où il protège et élargit systématiquement la jouissance des droits de l'homme au profit des citoyens. À l'origine, l'idée des droits de l'homme était liée à l'essor des classes moyennes. À l'aube de l'Europe moderne, la bourgeoisie, prompte à condamner les privilèges liés à la naissance ou à la tradition, présenta des revendications politiques fondées sur l'égalité et les droits naturels inaliénables. Pourtant, cette révolution politique bourgeoise avait encore des limites étroites. Ainsi, malgré l'universalisme apparent de son apologie des droits naturels, Locke développait en fait une théorie destinée à protéger les droits des Européens de sexe masculin et propriétaires de biens.

Les femmes, de même que les «sauvages», les domestiques et les employés à gages des deux sexes, n'étaient pas considérées comme détenteurs de droits. Mais à partir du moment où apparut la notion de droits égaux et inaliénables pour tous, la charge de la preuve incomba à ceux qui voulaient refuser ces droits à autrui. La revendication d'un privilège pouvait s'appuyer, par exemple, sur une prétention à quelque supériorité raciale ou sur des élucubrations relatives à la transmission de qualités acquises. Les privilèges pouvaient être et furent effectivement défendus par le recours à la force. Mais après avoir admis la notion de droits inhérents à la personne humaine, les élites dominantes découvrirent qu'il leur était de plus en plus difficile d'échapper à la logique des droits de l'homme.

Nombre des grandes luttes politiques qui ont eu lieu au cours des deux derniers siècles portaient sur l'élargissement des droits de l'homme. Les tentatives visant à étendre le droit de vote au-delà d'une petite élite de propriétaires fonciers provoquèrent de vives controverses dans la plupart des pays européens au XIXe siècle. Les revendications ouvrières pour l'obtention de salaires plus justes, pour le droit de se syndiquer, ou encore pour l'amélioration des conditions d'hygiène et de sécurité dans le travail entraînèrent d'innombrables conflits politiques, souvent violents, jusqu'à la Première Guerre mondiale, un peu partout en Europe - et beaucoup plus longtemps encore aux États-Unis.

Le besoin de mettre un terme au refus systématique des droits de l'homme, inhérent au colonialisme, constitua une importante question politique mondiale au cours des années 1950, 1960 et 1970. Et les combats destinés à éliminer toute discrimination fondée sur la race et le sexe ont joué un rôle capital dans beaucoup de pays au cours des trente dernières années. Dans chacune de ces situations, certains groupes, victimes d'abus, ont fait usage des droits qui leur étaient accordés pour obtenir la reconnaissance légale de droits qui leur étaient encore refusés.

Ainsi, les travailleurs ont utilisé leurs bulletins de vote, tout comme les garanties que leur offraient la liberté de la presse et la liberté d'association, pour obtenir la fin des discriminations légales fondées sur la richesse ou la propriété. Ils ont également exigé de nouveaux droits destinés à garantir aux travailleurs (et ultérieurement aux femmes) un accès véritable à la liberté, à l'égalité et à la sécurité. Les minorités raciales, ethniques et religieuses, les femmes et les peuples soumis au joug du colonialisme ont eux aussi utilisé les droits qui leur étaient octroyés pour être pleinement reconnus, en toute égalité, comme membres à part entière de la société.

Dans chaque cas, l'argument invoqué était que chacun de nous est un être humain au même titre que les autres. Et que nous pouvons donc tous prétendre aux mêmes droits fondamentaux qu'autrui, ainsi qu'à l'attention et au respect de l'État, à égalité avec le voisin. Dans chaque cas, le simple fait d'admettre ce genre d'argument a entraîné des changements sociaux et politiques radicaux. Au cours des deux dernières décennies, la puissance révolutionnaire des revendications en faveur des droits de l'homme s'est imposée avec une exceptionnelle évidence.

Sur toute la surface du globe, des régimes qui avaient cyniquement dénaturé le vocabulaire des droits de l'homme ont été renvoyés avec armes et bagages par une population qui voulait voir prendre ces droits au sérieux. Une des causes importantes de l'effondrement de l'empire soviétique a été le refus croissant opposé par les citoyens du bloc communiste à des régimes qui leur déniaient systématiquement les droits de l'homme. En Amérique du Sud et en Amérique centrale, des gouvernements militaires répressifs ont été renversés pendant les années 1980. En Asie et en Afrique, les progrès de la libéralisation et de la démocratisation ont été moins réguliers mais néanmoins réels et, dans certains pays (Corée du Sud et Afrique du Sud, par exemple), tout à fait frappants.

Pourtant la propagation des droits de l'homme n'est ni naturelle ni inévitable. Une régression est possible, voire probable dans certains cas. Les dernières dictatures répressives peuvent se révéler capables de survivre encore longtemps. Mais la leçon qu'il faut tirer du passé récent semble être que partout où les peuples ont eu l'occasion de faire un choix, ils ont choisi les droits de l'homme. Et quelles que soient les imperfections de la réalité présente, les gouvernements semblent moins nombreux que jamais à pouvoir refuser ce choix à leur peuple."

Jack Donnelly, Qu'est-ce que les droits de l'homme? (Introduction aux droits de l'homme, Agence d'information des États-Unis, sept. 1996; mis à jour: sept. 1998)

Essentiel

"Dans la vie morale, il ne suffit pas d'indiquer un but à atteindre, il faut aussi donner accès à des sources d'énergie spirituelle qui rendent possible le mouvement vers le but. En principe, l'éthique et l'esthétique sont deux aspects complémentaires d'une même idée du Bien et du Beau. L'éthique indique les buts atteindre de même que les impasses à éviter; l'esthétique donne l'énergie spirituelle qui permettra d'atteindre le but. (...) Comme dans la meilleure des hypothèses les sources les plus pures ne sont pas suffisantes, il faut aussi des contraintes. En Europe, jusqu'à la Renaissance et même après, c'est la religion chrétienne qui a imposé les contraintes, en plus d'indiquer les buts et les sources.

Cette religion chrétienne se mit à tomber en discrédit au XVIe siècle, à cause notamment des guerres qu'elle suscita. On commença alors à élaborer une morale indépendante de la religion, fondée sur ce qu'on appelait le droit naturel. L'expression droits de l'homme, "human rights" est apparue dans ce contexte. C'est le philosophe anglais John Locke qui la fit passer au premier plan. La déclaration universelle de 1789 sera le premier exemple d'une morale entièrement fondée sur la Raison humaine. La question des sources d'énergie spirituelle permettant d'atteindre les buts indiqués ne se pose pas alors. On est persuadé que cette énergie se trouve dans cette nature humaine, sur laquelle la Déclaration est fondée, et que la Révolution vient de libérer. Dans de nombreuses cultures et religions, (...) non seulement l'esthétique correspondait-elle à l'éthique, mais l'une et l'autre trouvaient leur achèvement dans la cosmologie, la vision du monde. (...) Le monde lui-même était une source d'énergie spirituelle. Les hommes de 1789 n'auront même pas ce recours. À ce moment, le pacte entre l'homme et la nature est rompu depuis longtemps. Il y a l'esprit d'un côté et la matière de l'autre. Seule la nature humaine est spirituelle. La nature extérieure est matérielle. Ses parties ne sont pas unies par une âme, elles sont entre elles comme les pièces d'une machine. Peut-être est-ce la raison pour laquelle, au même moment, le romantisme apparut-il. On a tenté, par un rapport sentimental avec la nature, de trouver un substitut au pacte métaphysique qui avait ses racines dans la Grèce ancienne.

La Déclaration universelle n'a pas empêché les catastrophes du XXe siècle. On aurait pu la juger mauvaise ou inopérante; on l'a plutôt reconduite. Après la guerre de 1939-45, quand on a voulu par un acte solennel prévenir les maux dont le monde venait d'être témoin, on en a été réduit à rééditer la Déclaration de 1789. À quelques nuances près, la Déclaration de 1948 est un document tout aussi abstrait et rationnel, tout aussi coupé de l'esthétique et du cosmos que pouvait l'être la Déclaration de 1789.

Cette Déclaration mérite néanmoins le plus grand respect parce qu'elle est le seul instrument dont nous disposons, à l'échelle de l'humanité, pour mobiliser l'opinion contre les régimes oppressifs. Pour rendre un tel document acceptable dans l'humanité entière, il a fallu hélas! l'amputer de tout ce qui pouvait heurter les consciences, dans telle ou telle région du monde, ce qui impliquait qu'on utilise un langage neutre et qu'on se limite à la condamnation, dans les termes les plus généraux, des comportements les plus manifestement criminels ou oppressifs."

Jacques Dufresne, Le toléré intolérable. Vers une charte des responsabilités dans les communications

Enjeux

Droits humains: une conquête inachevée (dossier du Courrier de l'Unesco, octobre 1998)

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