Décroyance
«La plupart de ces mea culpa furent signés, en effet, par ceux qui incarnaient – et incarnent toujours – le meilleur de l’intelligence occidentale. Grands historiens, philosophes, sociologues, prélats, politiciens, journalistes, universitaires de premier plan ou maîtres à penser : bien rares sont en Europe les intellectuels de plus de cinquante ans qui n’aient pas à confesser tel aveuglement ou telle compromission intellectuelle passés.
De Paul Veyne à François Furet, d’Edgar Morin à Maurice Agulhon ou Régis Debray, d’Annie Kriegel à Michel Foucault, Benny Lévy, Jean-Paul Sartre, Jean-Toussaint Desanti, Alain Besançon, Jean-Pierre Vernant, Jeannette Colombel, Étiemble, pour ne citer que quelques noms français : nombre de ceux qui comptent aujourd’hui ont du effectivement sacrifier au « détour » de l’autocritique. »1
Il en est résulté dans le milieu intellectuel des lésions dont la cicatrisation est très lente.
«C’est sans doute en Europe, cependant, que le phénomène de décroyance paraît à la fois le plus divers et le plus massif. La contrition n’y concerna pas seulement la gauche. Les encombrants souvenirs de la collaboration et de l’antisémitisme, les ivresses répressives liées aux guerres d’indépendance des anciennes colonies : tout cela assigne à l’autre camp un même devoir d’abjuration. Des gens ont cru ce qu’il était fou de croire... Nous sommes donc conviés, pour reprendre une expression devenue cliché, à regarder notre passé en face. Chez nous, l’effet systémique de cet interminable retour sur soi ne peut être sous-estimé. Il est à la source de la mélancolie générale qui domine notre rapport à l’Histoire en général et à la nôtre en particulier. Nous vivons depuis plus d’un demi-siècle, dans un contexte général d’autocritique et de contrition. De la gauche à la droite, le temps est à la décroyance généralisée.»2
1. Jean-Claude Guillebaud, La force de conviction, Paris, Seuil 2005, p.31
2. Ibid. p. 35