Décroisssance
Ce texte fait partie d'une série d'articles regroupés sous le titre général de Quatre articles convergeant vers la critique du narcissisme.
Aux origines de la décroissance, collectif, aux Éditions L’Échappée, Le pas de côté, Paris, et Écosociété, Québec, 2017.
Dans ce livre, résultat d’une collaboration entre trois éditeurs, en France, L’Échappée et Le pas de côté, au Québec, Écosociété, on a rassemblé des témoignages sur cinquante auteurs qui sont, soit les premiers définisseurs du concept de décroissance, tel Nicholas Georgescu-Roegen, soit des critiques de la technique, tels J.Ellul, L.Mumford, I.Illich, H.Arendt, G.Anders, soit enfin des maîtres de la critique sociale, tel C.Lasch, lequel est à l’origine de la notion de narcissisme dans le sens qu’on lui donne généralement aujourd’hui.
Le développement des nanotechnologies est un bel exemple de démesure. Dans le sens d’abord que lui donne Jacques Ellul, quand il l’associe à l’autonomie du système technicien. La technique forme en effet à ses yeux un système qui évolue selon ses propres lois, sans attendre l’approbation des populations auxquelles ses innovations sont destinées. À elles de s’adapter aux innovations. Il y a là démesure parce que l’échelle humaine est subordonnée à celle du système technicien.
L’expression « échelle humaine » revient souvent dans le livre, notamment dans l’article sur Schumacher l’auteur de Small is beautiful et dans l’article sur Léopold Kohr, plus précisément dans ce commentaire d’Olivier Rey :
« Il est hors de doute qu'à l'heure actuelle, dans un monde en proie aux excroissances monstrueuses, à la mondialisation compulsive, à une babélisation effrénée, le sens des proportions réclame, à peu près partout, une réduction d’échelle. Mais cet aspect conjoncturel ne doit pas faire oublier le principe fondamental: non pas l'apologie du petit en tant que tel mais la recherche, en toutes choses, de la taille la plus appropriée à l'épanouissement et à la fécondité des existences. Alors la critique du gigantisme ambiant ouvre sur un horizon constructif. »(189)
« La taille la plus appropriée à la fécondité des existences. » Voilà l’idée de proportion, voisine de celles d’harmonie et de limite. Présente au cœur de la beauté…et de l’art qui conserve un lien avec la beauté, ces idées sont aussi au cœur de la vie sociale et du rapport avec la nature. Elles sont toutefois incompatibles avec le narcissisme. Dans son article sur C. Lash, Renaud Garcia situe bien la question :
« Or, si l'individu en devenir se trouve livré à ses seules pulsions de gratification, désormais constamment stimulées, sans aucun site pour les canaliser et les rendre constructives, il y a de fortes chances qu'il les retourne contre lui-même, sous une version bien plus agressive et culpabilisatrice. Pour le dire en termes psychanalytiques : le déclin de l'autorité dans une culture de la transgression / institutionnalisée ne produit pas tant un déclin du surmoi qu'une altération profonde de son contenu, lequel se charge du potentiel destructeur propre au ça.
« Il s'agit là du berceau de la personnalité narcissique, que Lasch voyait dans les années 1970 se répandre parmi les classes moyennes américaines et même au-delà, et qui constitue selon nous un type psychologique dont il est difficile de ne pas relever la pertinence dans le monde actuel. Narcisse, en effet, n'est pas l'égoïste qui affirme son caractère face et contre les autres. Conformément à la signification mythologique, Narcisse tombe amoureux de sa propre image. En réalité, il l'hallucine et projette en elle ses angoisses pour combler, sur un plan qu'il pense pouvoir maîtriser, son vide intérieur. En ce sens, Narcisse ne peut pas vivre sans instrumentaliser les autres afin qu'ils lui renvoient une image d'individu performant, adapté, fluide, etc. En retour, il devient nécessairement entrepreneur de sa propre existence, dans une perspective temporelle inévitablement courte, puisque toute relation pérenne l'exposerait à dévoiler des failles, à endurer des résistances de la part des autres ou du réel, et à différer son appétit de gratification. » (201)