Capitalisme naturel

Andrée Mathieu

Première version de cet article en 2001. La notion de capitalisme naturel a été développée par Paul Hawken, Amory Lovins et son épouse L. Hunter Lovins dans un livre intitulé Natural Capitalism, publié en 1999. Ce terme désigne un modèle économique qui tente de diminuer notre impact sur l'environnement, de restaurer les écosystèmes et d'augmenter la productivité des ressources naturelles que nous utilisons.

Selon la théorie économique actuelle, héritée d’Adam Smith, l’homo economicus doit tendre vers la plus grande productivité de trois facteurs: le travail, le capital et les matières premières. Mais une brève analyse de l’enseignement dans les départements d’économie et des pratiques dans les entreprises suffit pour constater que les sociétés industrielles ne mettent présentement l’accent que sur les deux premiers facteurs et négligent le troisième. En effet, elles recherchent avidement une plus grande productivité de la main d’oeuvre (produire plus avec une force de travail réduite) et une plus grande productivité du capital (obtenir un plus grand retour sur investissement à moindre risque), mais font très peu d’efforts pour améliorer la productivité des matières premières. Peut-être est-ce dû au fait que les notions de productivité, de travail et de capital sont surtout l’objet d’étude des facultés d’économie, alors que l’utilisation (et non la productivité) des matières premières relève plutôt des facultés de génie? En somme, le modèle économique présentement en vigueur ne semble pas savoir comment répondre aux besoins de la population mondiale croissante avec les ressources disponibles, parce qu’il n’applique même pas les principes de sa propre théorie.

Alors que toutes les sciences ont évolué vers une approche systémique, les économistes demeurent étonnamment attachés à leur vision linéaire, surtout au niveau micro-économique des sciences de la gestion. Leur influence est même étonnante dans notre monde économique occidental qu’on se plaît à nommer «économie du savoir». Si nous voulons relever les défis de taille auxquels nous devons faire face, il est urgent de comprendre les systèmes complexes et d’adopter une approche éco-systémique, i.e. en harmonie avec les cycles naturels dont nous dépendons. En d’autres termes, il est temps de nous concentrer sur la productivité de notre capital naturel tout en cherchant à le faire fructifier.

Présentement, nous exploitons les ressources de la planète comme si elles étaient gratuites, infinies et en perpétuel renouvellement. Mais les taux actuels d’érosion des ressources et de production des déchets épuisent la nature plus vite qu’elle ne peut se régénérer. Que pensez-vous des gens qui dilapident leur capital sans se préoccuper d’assurer leur retraite et sans avoir la moindre intention d’en faire profiter leurs descendants? C’est exactement ce que nous faisons avec notre capital naturel...

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Essentiel

L’humanité a hérité d’un capital naturel accumulé pendant 3,8 milliards d’années. Ce capital comprend toutes les ressources naturelles que nous utilisons: le sol, les minéraux, les métaux, le pétrole, les arbres, l’eau, les poissons, l’air, etc. Ces ressources se trouvent dans toutes sortes d’écosystèmes: prairies, savannes, marécages, estuaires, océans, terrains riverains, toundras ou forêts, qui abritent diverses communautés d’êtres vivants: humus, champignons, bactéries, amphibiens, fougères, arbres, insectes, oiseaux, étoiles de mer ou fleurs, qui rendent possible la vie sur terre et la rendent agréable. Plus nous imposerons de contraintes à ces systèmes vivants, plus notre prospérité sera liée à l’état de notre capital naturel plutôt qu’à nos prouesses industrielles.

Actuellement, les matières premières semblent peu coûteuses parce que leur coût de production ne tient pas compte des conséquences de leur exploitation et de leur transformation: destruction des forêts, déchets toxiques déversés dans les cours d’eau, pluies acides, smogs urbains, érosion et nitrification des sols, eutrophisation des lacs, disparition des cultures indigènes, appauvrissement des communautés, etc. De plus, un environnement sain ne fournit pas seulement de l’air pur et de l’eau claire, il accomplit des tâches beaucoup plus complexes et moins valorisées, comme le traitement des déchets, la protection contre les conditions climatiques extrêmes et la regénération de l’atmosphère. Ainsi, une forêt n’est pas simplement qu’une réserve de bois, elle offre aussi des services de stockage de l’eau, prévenant les inondations, elle utilise le gaz carbonique, principal gaz à effet de serre, et produit de l’oxygène, etc. Le physicien Amory Lovins aime bien commenter l’expérience de Biosphère II (1992), réalisée dans le désert de l’Arizona et qui consistait à créer un écosystème viable à l’intérieur d’un immense dôme fermé. Malgré un budget de 200 millions de dollars américains et beaucoup de technologies de pointe, les scientifiques n’ont même pas réussi à produire de l’air, de l’eau et de la nourriture pour huit personnes pendant trois ans. Notre «Biosphère I» en fournit chaque jour gratuitement à six milliards d’individus... Quand les scientifiques essaient d’attribuer une valeur pécuniaire à tous les services rendus par la biosphère, ils aboutissent à un chiffre qui approche le produit mondial brut.

Notre modèle économique néglige de comptabiliser les plus grands stocks que nous utilisons: les ressources naturelles et les écosystèmes, aussi bien que les systèmes sociaux et culturels qui constituent la base du capital humain. Nous liquidons notre capital naturel en l’inscrivant dans la colonne des «revenus». Mais cette «erreur comptable» ne peut être corrigée simplement en assignant une valeur pécuniaire au capital naturel, car plusieurs des services que nous recevons des systèmes vivants n’ont pas de substituts connus. L’évaluation des services rendus par la biosphère est, au mieux, un exercice difficile et imprécis, car tout ce qui nous est essentiel pour vivre et que nous ne pouvons remplacer à aucun prix devrait avoir une valeur infinie. Soulignons, en outre, que le mot «services» doit être utilisé avec prudence puisque les écosystèmes effectuent leur travail naturellement et non pour servir l’humanité. Si nous voulons déterminer les coûts réels de la production industrielle, il nous faudra donc trouver un moyen de tenir compte du capital naturel et des services écosystémiques, notamment en appliquant progressivement une fiscalité verte.

Dans Natural Capitalism, Paul Hawken, Amory Lovins et son épouse L. Hunter proposent une stratégie en quatre volets pour fonder le capitalisme naturel:

1. Accroître radicalement la productivité des matières premières : L’utilisation plus efficace des ressources présente trois bénéfices importants: elle ralentit l’appauvrissement des ressources à un bout de la chaîne, diminue la pollution à l’autre bout, et peut abaisser le niveau mondial du chômage en offrant des emplois significatifs.

2. Pratiquer le biomimétisme : En imitant la nature, on peut éliminer jusqu’à l’idée même de déchet. Il suffit d’inventer des matériaux, des procédés et des produits qui permettront de former des boucles s’intégrant dans les grands cycles naturels et favorisant la constante réutilisation des matières premières et l’élimination des matières toxiques.

3. Instituer une économie de services et de location : Le capitalisme naturel appelle un changement fondamental dans les relations entre le producteur et le consommateur, un déplacement d’une économie de biens et d’achats en une économie de services et de location. Dans le capitalisme conventionnel, l’acquisition des biens donne une mesure de la richesse; dans le capitalisme naturel, la jouissance continue de la qualité, de l’utilité et de la performance des produits donne une mesure du bien-être.

4. Investir dans le capital naturel : Il est urgent de réinvestir dans la restauration, le maintien et l’accroissement de notre plus importante forme de capital - notre propre habitat naturel et les bases physiques de la productivité et de la diversité naturelles.

En 1998 seulement, le mauvais temps a déplacé 300 millions de personnes et causé plus de $90 milliards de dommages, ce qui représente plus de destruction reliée à la température que tout ce qui a été rapporté pendant toute la décennie des années 80. Les réassureurs européens essaient de diminuer les pertes dues aux tempêtes en faisant des pressions en faveur de l’adoption de politiques internationales pour protéger le climat et en investissant dans des technologies qui, tout en étant profitables, sont sans danger pour le climat.

Sans un réinvestissement immédiat dans notre capital naturel, la pénurie dans les services rendus pas la biosphère deviendra le principal facteur limitant la prospérité au cours du prochain siècle. Le monde des affaires ne réalise pas encore qu’un important réseau écologique sous-tend la survie et le succès des entreprises. L’enrichissement du capital naturel ne sert pas seulement le bien public, il est vital pour la longévité de chaque organisation.

Enjeux

Selon la théorie économique actuelle, héritée d’Adam Smith, l’homo economicus doit tendre vers la plus grande productivité de trois facteurs: le travail, le capital et les matières premières. Mais une brève analyse de l’enseignement dans les départements d’économie et des pratiques dans les entreprises suffit pour constater que les sociétés industrielles ne mettent présentement l’accent que sur les deux premiers facteurs et négligent le troisième. En effet, elles recherchent avidement une plus grande productivité de la main d’oeuvre (produire plus avec une force de travail réduite) et une plus grande productivité du capital (obtenir un plus grand retour sur investissement à moindre risque), mais font très peu d’efforts pour améliorer la productivité des matières premières. Peut-être est-ce dû au fait que les notions de productivité, de travail et de capital sont surtout l’objet d’étude des facultés d’économie, alors que l’utilisation (et non la productivité) des matières premières relève plutôt des facultés de génie? En somme, le modèle économique présentement en vigueur ne semble pas savoir comment répondre aux besoins de la population mondiale croissante avec les ressources disponibles, parce qu’il n’applique même pas les principes de sa propre théorie.

Alors que toutes les sciences ont évolué vers une approche systémique, les économistes demeurent étonnamment attachés à leur vision linéaire, surtout au niveau micro-économique des sciences de la gestion. Leur influence est même étonnante dans notre monde économique occidental qu’on se plaît à nommer «économie du savoir». Si nous voulons relever les défis de taille auxquels nous devons faire face, il est urgent de comprendre les systèmes complexes et d’adopter une approche éco-systémique, i.e. en harmonie avec les cycles naturels dont nous dépendons. En d’autres termes, il est temps de nous concentrer sur la productivité de notre capital naturel tout en cherchant à le faire fructifier.

Présentement, nous exploitons les ressources de la planète comme si elles étaient gratuites, infinies et en perpétuel renouvellement. Mais les taux actuels d’érosion des ressources et de production des déchets épuisent la nature plus vite qu’elle ne peut se régénérer. Que pensez-vous des gens qui dilapident leur capital sans se préoccuper d’assurer leur retraite et sans avoir la moindre intention d’en faire profiter leurs descendants? C’est exactement ce que nous faisons avec notre capital naturel...

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