Avant-garde

«Au lieu d’attaquer la réalité, ils la flattent, même s’ils se dépeignent en rebelles.»
Luchino Visconti, à propos du jeune cinéma italien

Enjeux

L'esthétique terroriste

Paul Valéry disait que la référence à la date est ce qui reste quand tous les autres critères ont disparu, ce qui expliquait à ses yeux pourquoi tant de critiques se cramponnent à cette bouée. Grâce à elle, ils peuvent camoufler leur pauvreté intérieure sous l’objectivité de la science. Il ne leur est plus nécessaire de se distinguer pour distinguer. La date est aussi incontestable que le degré centigrade, et n’importe qui peut la repérer. Une fois qu’on a occupé ce haut lieu avec oeuvres et bagages, on peut facilement y faire régner la terreur. Le mot «rétrograde» tombe alors comme une guillotine sur tous ceux qui ne font pas preuve de conformisme et de servilité face à la mode du jour.

Alberto Moravia a consacré à cette question un article définitif que bien des amateurs éclairés mais sans prétention appelaient depuis longtemps de leurs voeux. Il s’intitule «L'esthétique terroriste» (Harper’s, juin 1987).

«À bas la tradition! Ce cri résume la terreur dans le domaine artistique: un autre cri, «Pas d'ennemi à gauche!», résume la terreur dans le domaine politique. La terreur n'admet pas qu'il puisse exister des choses telles que des valeurs stables. Elle est liée à l’idée de progrès; un progrès, il convient de le noter, qui n’a toutefois rien à voir avec le concept d'amélioration, mais seulement avec celui du déplacement dans le temps. Une idée, un homme, un groupe sont en progrès dans la mesure où ils sont en mouvement, et non dans la mesure où ils s'élèvent vers la perfection. Il s'agit donc d'un progrès au sens le plus étroit du terme: et il importe peu que ce progrès soit vers le bas ou vers le haut, vers la décadence ou vers une régénérescence.»

Les finalités en art, y compris en architecture, coïncident avec celles de la philosophie d'une époque, d'un lieu ou d'un individu. À une philosophie qui consiste à déblatérer contre les étoiles et les phares, correspond un art à la dérive. Faute de repères dans l'espace intérieur, il ne reste plus qu'à se raccrocher au temps et à compenser par de la terreur l'absence de conviction fondée et communicable. (Voir Architecture et archétypes)

C'est ce que Christian Authier, après Bernard Duteurtre, appelle l'académisme d'avant-garde; «l’académisme d’avant-garde, c’est-à-dire une "transgression transformée en système et constituant la double négation de la tradition ancienne et de l’aventure subversive moderne". Résultat: un "art" hermétique et inaudible transformé en dogme pour une poignée de fidèles.»


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Portrait de l'avant gardiste, par Philippe Muray (revue Commentaire, no 73, printemps 1996. Repris dans Exorcismes Spirituels I, Paris, Les Belles Lettres, 1997): à propos de l'essai de Benoît Duteurtre, Requiem pour une avant-garde (Paris, Robert Laffont, 1995)

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