Révolution française

Qu'est-ce que la Révolution?
« Quelque radicale qu'ait été la Révolution, elle a cependant beaucoup moins innové qu'on ne le suppose généralement: je le montrerai plus tard. Ce qu'il est vrai de dire d'elle, c'est qu'elle a entièrement détruit ou est en train de détruire (car elle dure encore) tout ce qui, dans l'ancienne société, découlait des institutions aristocratiques et féodales, tout ce qui s'y rattachait en quelque manière, tout ce qui en portait, à quelque degré que ce fût, la moindre empreinte. Elle n'a conservé de l'ancien monde que ce qui avait toujours été étranger à ces institutions ou pouvait exister sans elles. Ce que la Révolution a été moins que toute autre chose, c'est un événement fortuit. Elle a pris, il est vrai, le monde à l'improviste, et cependant elle n'était que le complément du plus long travail, la terminaison soudaine et violente d'une oeuvre à laquelle dix générations d'hommes avaient travaillé. Si elle n'eût pas eu lieu, le vieil édifice social n'en serait pas moins tombé partout, ici plus tôt, là plus tard; seulement il aurait continué à tomber pièce à pièce au lieu de s'effondrer tout à coup. La Révolution a achevé soudainement, par un effort convulsif et douloureux, sans transition, sans précaution, sans égards, ce qui se serait achevé peu à peu de soi-même à la longue. Telle fut son oeuvre. »

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, L'ancien régime et la Révolution, p.80-81

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Enjeux

Continuité entre l'ancien régime et la Révolution
« Le livre que je publie en ce moment n'est point une histoire de la Révolution, histoire qui a été faite avec trop d'éclat pour que je songe à la refaire; c'est une étude sur cette Révolution.

Les Français ont fait en 1789 le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple, afin de couper pour ainsi dire en deux leur destinée, et de séparer par un abîme ce qu'ils avaient été jusque-là de ce qu'ils voulaient être désormais. Dans ce but, ils ont pris toutes sortes de précautions pour ne rien emporter du passé dans leur condition nouvelle; ils se sont imposé toutes sortes de contraintes pour se façonner autrement que leurs pères; ils n'ont rien oublié enfin pour se rendre méconnaissables.

J'avais toujours pensé qu'ils avaient beaucoup moins réussi dans cette singulière entreprise qu'on ne l'avait cru au dehors et qu'ils ne l'avaient cru d'abord eux-mêmes. J'étais convaincu qu'à leur insu ils avaient retenu de l'ancien régime la plupart des sentiments, des habitudes, des idées mêmes à l'aide desquelles ils avaient conduit la Révolution qui le détruisit et que, sans le vouloir, ils s'étaient servis de ses débris pour construire l'édifice de la société nouvelle; de telle sorte que, pour bien comprendre et la Révolution et son oeuvre, il fallait oublier un moment la France que nous voyons, et aller interroger dans son tombeau la France qui n'est plus. C'est ce que j'ai cherché à faire ici; mais j'ai eu plus de peine à y réussir que je n'aurais pu le croire. »

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, L'ancien régime et la Révolution, avant-propos, p.43-44



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La Révolution et la question de l'éducation (Gabriel Compayré, 1843-1913)
«Un historien de l'éducation en France s'est oublié jusqu'à dire, à propos des essais pédagogiques de la Révolution: «On n'étudie pas le vide, on n'analyse pas le néant 1.» Jamais époque, au contraire, ne fut plus active et plus féconde; jamais assemblées politiques ne remuèrent plus d'idées, ne firent plus de tentatives pour régler l'éducation. Il est vrai que ces projets, fiévreusement conçus, avortèrent pour la plupart. Le temps fit défaut, les circonstances ne furent point propices, quand on essaya de les mettre à exécution. Improvisations brillantes, décrets portés coup sur coup et quelquefois rapportés avant d'être appliqués, telle fut l'œuvre hâtive des assemblées révolutionnaires. La Révolution manqua parfois de patience. Ce qui lui manqua encore plus, ce fut le grand facteur des couvres durables, le temps. Qu'importe? les principes restent, et méritent d'être recueillis.

Les hommes de 89 et leurs successeurs auraient donné une grande preuve d'inintelligence, s'ils n'avaient pas mis l'éducation publique au premier rang de leurs préoccupations 2. Ils fondaient un ordre de choses nouveau; il fallait, pour le maintenir, pour lui assurer la force et la durée, organiser une éducation nouvelle. Un régime politique n'est stable que lorsqu'il est conforme aux mœurs et aux habitudes générales du pays. Or les mœurs ne s'improvisent pas: des lois, des décrets ne suffisent pas à les créer. Pour mettre les consciences d'accord avec les institutions, il faut l'action prolongée d'une éducation appropriée à ces institutions. C'est ce que Montesquieu a montré avec force, dans le livre IV de l'Esprit des lois, où il est dit que les lois de l'éducation doivent être relatives aux principes du gouvernement.
[...]

Au fond de tout système pédagogique, il y a toujours une pensée dominante et essentielle. Au Moyen Âge, — et le Moyen Âge s'est continué dans les écoles des jésuites, — c'est la pensée du salut, c'est la préparation de l'âme à la vie future. Au dix-septième siècle, c'est la conception d'une justesse parfaite d'esprit jointe à la droiture du cœur: tel fut l'idéal des solitaires de Port-Royal. En 1792, la politique est devenue la préoccupation presque exclusive des éducateurs de la jeunesse. Tout le reste, religion, finesse du jugement, noblesse du cœur, est relégué au second plan. L'homme n'est plus qu'un animal politique, venu au monde pour connaître, aimer et servir la constitution. Ainsi, dans l'histoire de l'éducation, comme ailleurs, nous voyons que l'humanité procède par une succession de points de vue exclusifs, mettant tour à tour en saillie les différentes faces du problème, comme si elle était incapable de les saisir et de les embrasser à la fois.

La déclaration des droits de l'homme devient, dans le système de Talleyrand, le catéchisme de l'enfance. Il faut d'abord que le futur citoyen apprenne à connaître la constitution; il faut ensuite qu'on lui enseigne à l'aimer et à la défendre, enfin à la perfectionner. «Nous n'avons pas, en la jurant, renoncé à l'améliorer.» Connaître, aimer, perfectionner la constitution, voilà trois choses essentielles. Il y en a une quatrième, c'est l'étude de la morale; mais la constitution vient en première ligne..» (Voir ce texte)

GABRIEL COMPAYRÉ, Histoire critique des doctrines de l'éducation en France depuis le XVIe siècle, Paris, Hachette, tome 2, 7e édition

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Droits de l'homme: point de vue de Lévi-Strauss

Jacques Dufresne
Distinction simple et claire entre une société dominée par la règle de droit et une société fondée sur la tradition et les genres de vie.

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