Dansereau Pierre

1911-29 septembre

Disciple de Marie-Victorin, comme René Pomerleau et Jacques Rousseau, Pierre Dansereau s'est d'abord consacré à la biogéographie. Le mot même de biogéographie, discipline à laquelle Marie-Victorin regretta de ne pouvoir consacrer plus de temps, suggère l'idée d'un lien très étroit entre les trois grands règnes: le règne minéral, le règne végétal, le règne animal. Marie-Victorin aimait situer les petites fleurs sauvages dans ce vaste ensemble de rochers, de lacs, de forêts, de serres, dont les éléments lui paraissaient indissociables.

La biogéographie et l'écologie

Voici un extrait d'un article de Pierre Dansereau dans l'Encyclopédie Universalis. «La biogéographie embrasse tous les aspects de l'adaptation des êtres vivants à leur milieu. Elle doit considérer tour à tour leur origine, leurs migrations et leurs associations, ou biocénoses. L'issue des conflits entre l'hérédité et le milieu ne devient compréhensible qu'en intégrant la génétique des populations dans le contexte des milieux naturels.

Un tel propos réclame une synthèse, qui se veut toujours actuelle, des données de la géologie, de la géomorphologie et de la météorologie, d'une part, de la taxonomie, de la génétique et de la physiologie, d'autre part. C'est la tâche de l'écologie. L'autécologie tente de dégager un être vivant de son milieu pour mieux l'éprouver et l'analyser tout en faisant, de façon indépendante, des mesures sur le milieu lui-même. Les ressorts les plus fondamentaux de l'adaptation pourront ainsi être appréciés, mais cela laissera dans l'ombre l'aspect sociologique. La synécologie, quant à elle, donnera une description satisfaisante des biocénoses et de leur substratum. L'objet de l'investigation ne sera plus l'individu, ni l'espèce, ni même la population, mais l'écosystème, c'est-à-dire l'ensemble des populations vivantes et la matrice non vivante dans laquelle elles puisent leur subsistance. Enfin, la dynécologie évalue et mesure le potentiel de changement et d'interaction mutuelle des unités écologiques (populations, communautés, écosystèmes), et les situe dans la dynamique du paysage».

Pierre Dansereau s'engagea dans cette voie qui convenait parfaitement à ses intérêts profonds. Ce choix comportait certains risques. A partir de 1950, les écologistes qui étaient et qui sont encore les généralistes de la biologie, furent rélégués au enième plan par les spécialistes de la biologie moléculaire. Comment tel ou tel acide aminé s'associe-t-il à tel ou tel autre pour former une protéine? Entre 1950 et 1970, une question de ce genre paraissait infiniment plus importante qu'une autre comme celle-ci: comment éviter que la pollution de la mer ne détruise les microorganismes qui, depuis des centaines de millions d'années, maintiennent le niveau d'oxygène constant dans l'atmosphère?

Or, non seulement Pierre Dansereau était-il porté par la pente naturelle de son esprit vers des questions de ce genre, mais encore, il lui a longtemps paru absurde d'exclure l'homme et sa dimension spirituelle des vastes ensembles dont il étudiait les interactions. Un tel généraliste devait paraître suspect à bien des biologistes, résolus a réduire leur objet, la vie, à son aspect quantifiable et manipulable.

C'était l'époque où, se faisant un point d'honneur d'inverser la célèbre pensée de Dubos, l'on pensait localement et l'on agissait globalement: y a-t-il des actions plus globales que celles de la bombe à hydrogène, des pluies acides ou des atteintes diverses aux grands équilibres? La pensée par contre était si locale que nul ne songeait à prendre l'ensemble de la planète et l'homme en considération.

Penser globalement, agir localement.
Selon Pierre Dansereau, ce qui a ouvert l'ère écologique aux États-Unis vers le milieu de la décennie 1960, ce fut une émission de télévision où René Dubos expliqua «que dans ses efforts pour limiter les méfaits des émanations corrosives, l'industrie automobile dépensait plus d'argent dans la recherche de techniques pour améliorer l'émail des carrosseries que pour protéger les poumons humains».

Pierre Dansereau fait aussi état du programme biologique international, lancé après la deuxième guerre mondiale auquel le Canada et de nombreux autres pays riches contribuèrent généreusement. Dans ce programme, on étudiait les ressources naturelles vivantes sans tenir compte de leur rapport à l'homme. Au début de la décennie 1960 le programme Man and the biosphere fut lancé. Il eut beaucoup moins de succès que le précédent. L'homme était de trop.

On comprend l'importance que pouvait avoir la pensée globale dans ce contexte. Sans elle, l'inconscience dans l'action sur la nature aurait duré 10 ou 20 ans de plus, ce qui aurait peut-être suffi à faire disparaître tout espoir de renverser certains processus catastrophiques.

Quelle conception Pierre Dansereau se fait-il de la vie? La pensée de Teilhard de Chardin à laquelle Marie-Victorin l'avait initié semble avoir été l'un des fils conducteurs de sa réflexion sur ce sujet. En 1957, il a prononcé à l'Université Fordham de New-York, une conférence sur Teilhard dans laquelle il ne cacha pas son admiration pour le célèbre jésuite, à la fois savant, philosophe, théologien et poète, qui était persuadé que l'esprit imprègne la vie et en dirige de l'intérieur l'évolution, depuis le point alpha où tout était chaos au point omega où tout sera caractérisé par l'ordre et la complexité.

Pierre Dansereau est toutefois demeuré très discret sur ses sources teilhardiennes d'inspiration. Il n'ignorait pas qu'une telle philosophie, outre qu'elle ne peut rendre compte du mal et des échecs, exclut totalement une catastrophe finale que l'écologie fait apparaître comme possible, sinon comme probable.

Parfois même sa conception de la nature et de la vie semble être celle d'un darwiniste orthodoxe: «Les fameux équilibres naturels que certains savants puristes voudraient nous imposer comme modèle résultent du libre jeu de l'hérédité et du milieu. Au cours d'innombrables siècles, l'érablière de la plaine de Montréal et la colonie de margaulx sur les falaises de l'Ile Bonaventure dans le Golf St-Laurent ont résolu de nombreux conflits entre leur potentiel héréditaire et les adaptations permises par le climat, le sol et les autres êtres vivants. Ces adaptations successives ont présidé à des patrons de partage des ressources non abusifs qui assuraient la survivance des partenaires. La survie, la sélection naturelle, c'est bien connu, a favorisé les plus forts, il vaut mieux dire les mieux adaptés».

Après un acte de foi en ce darwinisme qui dépoétise l'idée de nature, Pierre Dansereau s'empresse toutefois d'indiquer son adhésion à des valeurs spirituelles grâce auxquelles l'humanité évolue de façon plus douce. «Si l'on s'en remettait (Humilité? Réaliste? Masochisme? Fataliste?) à ce libre jeu dans le cas de l'homme, on n'aurait cherché à éliminer ni le typhus ni la tuberculose; on aurait compté sur la survivance des individus et des populations capables de s'adapter (héréditairement) et de survivre. Et pourquoi ne pas miser, dans cette logique, sur la résistance éventuelle d'une petite fraction de l'espèce humaine à toutes les formes de pollution et à tous les agents cancérigènes?».

De toute évidence cependant, l'auteur de ces lignes n'a pas eu comme premier but d'expliciter sa pensée sur des questions comme celles des rapports entre la vie, la matière et l'esprit. Il a plutôt voulu communiquer au grand public un sens de la globalité et de la complexité qui puisse lui inspirer le désir de poser les actes nécessaires au redressement des équilibres menaçés.

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