Piano

Essentiel

"De tous les membres de l’harmonieux empire des instruments de musique, les pianos tiennent aujourd’hui le premier rang, autant par les ressources qu’ils offrent aux musiciens en permettant une réduction satisfaisante de l’orchestre, que par la nature de leurs sons défectueux au point de vue de la prolongation, froids quoique nobles, brillants, rapides et toujours bien remplis.

Je m’explique, car ici les termes semblent contredire la pensée.

Dans mon opinion, c’est grâce à ses défauts même de sonorité relevés par les avantages que nous venons d’énumérer, que le piano doit surtout son immense popularité.

De toutes les voix instrumentales, celle du piano, par cela même qu’elle est la plus monotone, la moins expressive, la plus courte, est aussi la moins énervante et la plus propre à l’interprétation de la musique. Tous les instruments à sons prolongés et expressifs vivent par le charme de leurs accents, bien plus que par le mérite des œuvres dont ils sont les interprètes égoïstes, les modifiant à leur nature, les appropriant à leur génie, sans grand souci du compositeur, n’ayant d’autre but que de plaire un moment par leurs seules ressources. Le piano, lui, n’a pas cette ambition: c’est un interprète, voilà tout. Mais que ce rôle, modeste en apparence, est précieux! Grâce à ses défauts, à ses vibrations sans prolongement indéfini, il indique les accents bien plutôt qu’il ne les rend, et s’adresse à l’âme par l’émotion de la pensée beaucoup plus qu’à l’oreille par la magie du timbre. L’oreille n’est ici qu’un véhicule de l’âme, et sur le piano on écoute les œuvres des maîtres, les nerfs tranquilles, sans autres émotions que celles provoquées par le génie même du compositeur.

Aussi le piano a-t-il toujours été, dès son apparition, le confident, l’ami des compositeurs, comme il restera leur plus discret et leur plus fidèle interprètre.

Le violon est un orateur qui passionne par la richesse, la spontanéité, la variété, la profondeur de ses accents; le piano est une imprimerie sonore dont le rôle doit se borner à retracer fidèlement à l’esprit et au cœur, par le moyen de l’oreille, la pensée musicale par laquelle seule il veut plaire ou émouvoir.

Quand le piano, sous les doigts d’un exécutant trop rempli de lui-même, cherche à briller par les avantages de son mécanisme et s’écarte d’une juste interprétation, il peut étonner un moment, bientôt il fatigue et l’on sent qu’il s’est fourvoyé."

source: Oscar Comettant, La musique, les musiciens et les instruments de musique chez les différents peuples du monde..., Paris, M. Lévy frères, 1869, p. 665-666

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