Zumthor Paul

5/3/1915-1/11/1995
Voici un texte de Serge Lusignan, professeur d'histoire à l'Université de Montréal et Vice-président du Fonds Paul-Zumthor:

«Après avoir dirigé pendant 20 ans l’Institut des langues et littératures romanes de l’Université d’Amsterdam, il devint en 1968 professeur à la bouillonnante université parisienne de Vincennes. Après un détour par l’Université Yale, il accepta en 1972 un poste à l’Université de Montréal, qu’il occupa jusqu’à sa retraite, en 1980. Il résida à Montréal jusqu’à son décès, survenu en 1995.
De son œuvre érudite et imposante (24 livres, dont plusieurs réimprimés ou réédités, la plupart traduits en diverses langues), on retient ce trait fondamental, déterminant ce que nous appelons l’esprit Paul Zumthor: la quête du sens de l’homme contemporain passe par un dialogue entre les civilisations, soutenu par les enquêtes historiques et ethnologiques.
Paul Zumthor fut avant tout médiéviste. Il découvrit la civilisation médiévale à l’occasion d’un cours d’histoire du droit, mais ce fut par des études littéraires qu’il se consacra à son étude. Il caractérisait le Moyen Âge comme une civilisation dont nous sommes les héritiers immédiats, mais de laquelle nous sommes définitivement coupés. Cette période s’offrait à lui comme une altérité à reconstituer indéfiniment parce que jamais définitivement saisie. Le défi est d’autant plus stimulant, ajoutait-il, que le Moyen Âge constitue peut-être le dernier moment de la civilisation occidentale qu’on peut saisir dans sa globalité. Cette volonté de scruter le sens global des choses s’imposa à lui dès sa thèse. Merlin se retrouve partout, dans des textes écrits dans toutes les langues médiévales.
Après son Histoire littéraire de la France médiévale (VIe-XIVe s.), qui n’a jamais été remplacée (1954), et une première réflexion sur les Langue et technique poétiques à l’époque romane (XI-XIIIe s.) (1963), Paul Zumthor publia son monumental Essai de poétique médiévale (1972), prolongé par Langue, texte, énigme (1975), qui révolutionna l’approche de la littérature médiévale en promouvant une nouvelle lecture des textes à la lumière des théories critiques modernes. Cette voie actualisait pour lui le dialogue toujours à reprendre entre les cultures. Dans Le masque et la lumière (1978), il appliqua ses méthodes au corpus des grands rhétoriqueurs, ces poètes de cour de l’extrême fin du Moyen Âge. Il aimait dire qu’un livre a une espérance de vie d’une vingtaine d’années, ce que dément dans son cas la réédition de son Essai de poétique médiévale, en 2000, dans la collection Points du Seuil.
Par la suite, Paul Zumthor se pencha sur cette spécificité des textes médiévaux d’émerger d’une culture dominée par l’oralité. Ne fallait-il pas revoir nos outils critiques élaborés pour la compréhension d’une esthétique littéraire du texte? Pour ce faire, il se livra à de longues enquêtes sur le terrain, à la manière d’un ethnologue, auprès des conteurs de villages, qu’il alla rencontrer en Afrique, au Brésil, voire au Japon. Il élabora une poétique générale de la littérature orale dans son Introduction à la poésie orale (1983), qu’il appliqua ensuite à un vaste corpus de textes médiévaux dans La poésie et la voix dans la civilisation médiévale (1984) et dans La lettre et la voix ou De la "littérature" médiévale (1987). Avec la notion centrale de "vocalité", il rompait avec le point de vue européen sur le fait littéraire tout en élargissant son champ à l’ensemble du Moyen Âge occidental.
Paul Zumthor nous a livré son ultime message dans deux derniers ouvrages. Dépassant les cadres de la littérature, il a interrogé toutes les formes d’expression culturelle, textes et images, pour tenter de saisir ce que fut pour le Moyen Âge l’un des grands concepts définitoires de toute civilisation: l’espace. Dans La mesure du monde: représentation de l’espace au Moyen Âge (1993), il a montré comment la conception de l’espace selon les trois dimensions au centre desquelles se situe le sujet observateur fut l’une des grandes conquêtes de la culture médiévale.
Une fois de plus, il illustrait que le sens de l’enquête historique reste la compréhension de sa propre identité. Mais cette tâche, toujours à reprendre, demeure à jamais inachevée à l’image de la tour de Babel. C’est le message ultime de son dernier livre, qu’il terminait au moment de son décès, Babel ou l’inachèvement (1997).»

Extrait du Forum de l'Université de Montréal, édition du 21 oct. 2002, vol 37, no 8.

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