Pantélégraphe


Christophe, dans La Famille Fenouillard, écrit en 1893, tout comme Jules Verne, dans son manuscrit récemment retrouvé, Paris au XXe siècle, qui date de 1862, mentionnent un procédé permettant de transmettre à distance des dessins, des idéogrammes ou des fac-similés: le pantélégraphe Caselli.

Son inventeur, Giovanni Caselli, né en 1815 à Sienne, est titulaire d'un bénéfice ecclésiastique. Alors qu'il enseigne la physique à l'Université de Florence, il consacre ses recherches à faire avancer le problème de la transmission télégraphique des images sur lequel, depuis plusieurs années, achoppent plusieurs chercheurs, dont les Anglais Bain et Bakewell, faute d'obtenir une parfaite synchronisation des appareils émetteurs et récepteurs.

En 1856, les résultats sont assez concluants pour que le grand-duc de Toscane s'intéresse à l'invention de Caselli qui, l'année suivante, se rend à Paris pour bénéficier de l'aide décisive du célèbre inventeur et mécanicien Paul Gustave Froment, auquel il est recommandé par Foucault qui lui a déjà confié la réalisation de son pendule. Dès l'achèvement de l'appareil définitif, l'enthousiasme des milieux scientifiques parisiens est sans équivoque et une Société du Pantélégraphe se crée pour en préparer la mise en exploitation.

Qui plus est, l'empereur Napoléon III lui-même, féru de mécanique et de modernité, se rend dans les ateliers de Froment, le 10 mai 1860, pour assister à une démonstration de l'appareil. Enthousiasmé, l'empereur fait mettre à la disposition de Caselli les lignes nécessaires pour poursuivre l'expérimentation à Paris, des ateliers de Froment jusqu'à l'Observatoire. Puis, en novembre de la même année, une ligne télégraphique est également attribuée à Caselli entre Paris et Amiens pour une véritable expérimentation de ville à ville, dont le succès semble avoir été complet. Caselli était en effet parvenu à supprimer le dernier défaut de sa machine en rendant les horloges de synchronisation indépendantes du courant véhiculé par la ligne télégraphique elle-même, trop sensible aux perturbations atmosphériques.

La presse française regorge d'articles élogieux sur le pantélégraphe tandis que les édiles mondaines, scientifiques et administratives se précipitent vers les ateliers de Froment pour faire connaissance avec ce nouveau procédé. En septembre 1861, le roi Victor-Emmanuel invite Caselli et ses machines à une série de démonstrations triomphales à l'occasion de l'Exposition de Florence. En 1863, enfin, en France, le Corps législatif et le Conseil d'État adoptent les textes autorisant l'exploitation officielle d'une première ligne entre Paris et Marseille tandis que, outre Manche, Caselli obtient l'autorisation d'une exploitation expérimentale de quatre mois entre Londres et Liverpool.

Mais la Société du Pantélégraphe n'est pas à la hauteur du marché qui semble s'ouvrir et elle se contente d'attendre passivement la rémunération de ses capitaux par les flots de commandes supposées affluer du monde entier, sans entreprendre une promotion énergique de l'appareil.

En Italie, après l'euphorie de l'accueil initial, les pesanteurs administratives et la morgue des ministères amènent Caselli à renoncer à tout développement de son invention. En France, Caselli se heurte à l'administration des Télégraphes qui, craignant une concurrence avec son réseau télégraphique ordinaire, refuse l'abaissement du tarif des dépêches autographes, pourtant prohibitif, et conseille même de taxer ces dépêches à un prix plus élevé que les dépêches ordinaires.

En fait, lorsque le pantélégraphe apparaît, la France est en train de se doter d'un réseau télégraphique complet, utilisant les systèmes Hugues, Morse, puis Baudot, qui remplace l'ancien télégraphe optique Chappe, expérimenté dès 1792. Plus qu'un simple progrès technique, c'est une mutation qualitative dans l'utilisation du télégraphe qui est en cours. Jusqu'alors instrument du pouvoir administratif et de la Bourse, le télégraphe va s'imposer comme moyen de communication relativement banalisé, porteur d'urgences diverses mais anodines, tels que les naissances, les décès et les mariages, ou les réservations d'hôtels de tourisme. Parce que son usage s'était jusque là limité à deux pouvoirs ayant besoin d'une extrême rapidité et d'un parfait secret, l'État et la Finance, le télégraphe Chappe était devenu très vite un mythe dans la société française. La littérature populaire magnifiait d'ailleurs cette vocation inquiétante et impériale du télégraphe comme dans Le Comte de Monte-Cristo, d'Alexandre Dumas ou dans la chronique du rimailleur Barthélemy.

Ce mythe de l'instantanéité au seul service du pouvoir ou de la banque est en voie d'être dépassé au moment où Caselli croit toucher au but. Conçu pour transmettre des images, le pantélégraphe pouvait parfaitement, comme le fax d'aujourd'hui, transmettre du texte dans de bonnes conditions. Or, consciemment ou non, on s'est refusé à lui trouver d'autre créneau que la transmission d'une signature bancaire ou d'une marque de fabrique, puisque lui seul était capable de le faire, et les administrations se sont chargées de l'étrangler ensuite en douceur.

Les stratégies d'innovations contiennent de multiples pièges, dont le moindre n'est pas, justement, de se laisser fasciner, jusqu'à l'enfermement, par l'innovation que recèle une invention et qui la distingue des autres procédés en vigueur, au détriment de sa flexibilité d'exploitation et de ses possibilités réelles de développement.

L'aventure du pantélégraphe, à cet égard, est d'autant plus remarquable qu'un prodigieux raccourci de l'histoire des télécommunications avait failli être pris au moment où son destin se jouait à Paris. En 1863, en effet, deux hauts fonctionnaires de l'Empire chinois demandèrent une démonstration aux ateliers Froment, et ne purent cacher leur stupéfaction et leur admiration devant une invention qui résolvait d'un coup le problème épineux de la transmission télégraphique des idéogrammes. En 1884, des tractations assez poussées semblent avoir été faites entre la Chine et l'Italie dans le but de réaliser une expérimentation du pantélégraphe Caselli à Pékin mais elles restèrent sans suite. Pourtant cette utilisation, prévue très tôt par Caselli, a été reprise plus tard par les Japonais à qui l'on doit la diffusion massive du fax.

Aujourd'hui, les pantélégraphes sommeillent dans de rares musées. Ceux du Musée national des techniques ont pu à nouveau prouver leur fiabilité en 1961, entre Paris et Marseille, lors de la commémoration des premiers essais et en 1982, au Musée postal de Riquewihr, en fonctionnant sans failles, six heures par jour, pendant plusieurs mois.

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