Nostalgie

Appelée "vulgairement maladie du pays; état moral caractérisé par la tristesse que cause l'éloignement du pays natal et le désir d'y revenir". (M.-N. Bouillet, Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts..., Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1857)

Un sens plus vague existe de nos jours. On parlera alors d’une douleur dont la cause n’est pas nécessairement l'éloignement d’un lieu géographique, mais celui d’un "ailleurs", quel qu'il soit (spatial, temporel et même abstrait ou indéfini), qui peut à la limite se confondre avec l'origine: "Désir de ce que l'on n'a pas encore connu, ou de ce qu'on ne peut atteindre"; ou encore "mélancolie mêlée de désir et d'insatisfaction et sans objet précis" (Pouvoirs des mots: nostalgie). Exemples: nostalgie de mes années de jeunesse; nostalgie de la période romantique (qu'on n'aura connu qu'"abstraitement", à travers des ouvrages et des oeuvres picturales et musicales).

Au XIXe siècle, la nostalgie était considérée comme une maladie en bonne et due forme, plus exactement une névrose:

"La nostalgie est classée parmi les névroses cérébrales: c'est une sorte de monomanie qui est commune chez les soldats et les marins nouvellement incorporés. Les habitants de la Suisse, de la Bretagne, de tout l'ouest de la France, des rives du Rhin, en sont souvent affectés, tandis qu'elle est plus rare chez les Savoyards et les Auvergnats. Cette maladie, que la certitude seule de pouvoir bientôt retourner au pays a souvent guérie instantanément, peut quelquefois cependant entraîner la mort; son traitement est tout moral: on prescrit au malade de l'exercice, de l'occupation, des distractions de tout genre; en cas d'insuccès, le seul remède vraiment efficace, le retour au foyer natal. Un ordre ministériel a prescrit récemment aux chefs de corps d'accorder des congés à tous les militaires atteints de nostalgie." (M.-N. Bouillet, Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts..., Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1857)

Marquant une évolution dans l'appréciation de la nature de la nostalgie, le Larousse du XXe siècle en six volumes (éd. 1932) précise: "La nostalgie répond à un défaut d'adaptation de l'individu transplanté, aux conditions nouvelles, matérielles et morales, qui lui sont faites. C'est pourquoi elle a été jadis considérée comme une sorte de névrose, d'autant qu'elle apparaissait surtout chez les personnes sensibles et les névropathes, mais pouvait atteindre aussi profondément les paysans n'ayant jamais auparavant quitté leur village. Ses symptômes sont la tristesse, le découragement, la rêverie éveillée; puis à une période plus avancée, des troubles nerveux, la diarrhée, un amaigrissement progressif pouvant conduire à la mort. Tous ces accidents disparaissent d'eux-mêmes si l'individu est assez résistant pour réaliser une nouvelle adaption; s'il ne le peut pas, il n'y a qu'un remède: le rapatriement."

Enjeux


Dans le discours idéologique de notre époque, on constate fréquemment une identification de la nostalgie avec l'inadaptation, le passéisme, la régression et la réaction. Selon cette façon de voir, serait nostalgique toute attitude, pensée ou politique qui n'irait pas dans le sens de l'histoire, qui ne serait pas conforme au progrès du monde et au procès de modernisation.

Certains récusent aujourd'hui cette identification et revendiquent plutôt la nostalgie comme posture critique. Ainsi, pour Paul-Marie Coûteaux, « (...) toute résistance est une nostalgie, comme le montrent l'appel du 18 juin ou même la référence constante des premiers républicains à la Rome antique. Quand Chevènement écrit: "La nostalgie peut être le ressort de l'invention", il est dans cette logique. C'est le "Je me souviens" souverainiste du Québec: quand on ne se souvient pas, on ne se rebelle pas; la nostalgie est souvent créatrice.» (Paul-Marie Coûteaux, royaliste - "Les Français souhaitent un nouveau légitimisme (entretien). Propos recueillis par Christophe Barbier, L'Express, 21 janvier 2002)

Articles





Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?