Mesure

Mesure est d'abord synonyme de limite, comme dans l'expression sens de la mesure; ce mot désigne aussi la norme servant à prendre la mesure des choses, comme dans l'expression l'homme mesure de toutes choses. Cette norme peut être réduite à la dimension quantitative. Il s'agit alors d'une grandeur étalon, objet d'une convention, dont on se sert pour fabriquer des instruments pour mesurer les choses.

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Essentiel

La mesure des choses est l'une des conditions du progrès des sciences et des techniques...qui sont à l'origine de nos désirs démesurés. Pour retrouver le sens de la mesure, il faudra réhabiliter la mesure en tant que norme qualitative et réapprendre à considérer les choses dans ce qu'elles ont d'essentiel, plutôt que de n'y voir qu'une matière à mesurer et à manipuler.

Hugo:

«La constellation que l'astronome atteint,
Devient chiffre, et, livide, entre dans sa formule.
L'amas des sphères d'or en zéros s'accumule.
Tout se démontre ici. Le chiffre, dur scalpel,
Comme un ventre effrayant ouvre et fouille le ciel.
Dans cette atmosphère âpre, impitoyable, épaisse,
La preuve règne. Calme, elle compte, dépèce,
Dissèque, étreint, mesure, examine, et ne sait
Rien hors de la balance et rien hors du creuset;»
(Le calcul)

Hugo encore: «Au-dessus de la balance, il y a la lyre.»


Enjeux

La pantométrie
Dans The Measure of Reality, Quantification and Western Society, Alfred W. Crosby fait le point sur ce qui, dans l’évolution des mentalités en Europe, entre 1250 et 1600, a préparé le règne du chiffre et de la mesure. L’oxygène et le combustible, rappelle-t-il, sont des causes nécessaires du feu, mais non des causes suffisantes. Il faut aussi une allumette. Parmi les causes nécessaires, mais non suffisantes du triomphe de la mesure, il range des choses aussi différentes que la croissance démographique et le progrès du commerce, mais selon lui, l’élément déterminant, c’est l’œil, lequel s’était imposé comme sens principal au cours des siècles précédents. L’un des premiers signes de son émergence, précise Crosby, c’est l’apparition, à partir du XIIe siècle, de l’écriture et de la lecture silencieuse. Auparavant, le texte était à ce point associé à la parole que le scribe aussi bien que le lecteur énonçaient à haute voix ce qu’ils écrivaient ou lisaient.

Ainsi libéré de l’auditif au cœur de l’activité intellectuelle par excellence, le visuel s’associa de plus en plus fréquemment au quantitatif, dans tous les domaines, depuis la tenue de livre jusqu’à la peinture et la musique. Un mot résume à lui seul cette époque de transition : pantométrie, littéralement, la mesure de tout :

« Saint Bonaventure, savant et supérieur général des Franciscains, affirma solennellement que Dieu est lumière au sens le plus littéral du terme ; ipso facto il fonctionnait uniformément à travers l’espace et le temps. La conséquence lumineuse-numineuse était qu’une lieue, si elle était mesurée avec précision, serait la même partout et en tout temps. Les Occidentaux, monothéistes, fascinés par la lumière, se sont épanouis dans la pantométrie. (1) »
En termes pratiques, la nouvelle approche était la suivante : réduire ce à quoi vous pensez au minimum requis par sa définition ; le rendre visible sur papier ou tout au moins dans votre esprit, qu’il s’agisse de la trajectoire de Mars dans le ciel ou des fluctuations du prix de la laine dans les foires de Champagne ; en réalité, ou en imagination, le réduire en quantas égaux. Il vous sera alors loisible de mesurer, c’est-à-dire de compter les quantas. L’engouement pour la mesure fut tel qu’au XIVe siècle, des savants d’Oxford, de Merton College plus précisément, songèrent à mesurer non seulement des qualités telles que la chaleur et la couleur, mais aussi des idées telles que la certitude, la vertu et la grâce.

« Si l’on pouvait envisager de mesurer la chaleur avant l’invention du thermomètre, pourquoi aurait-on hésité au seuil de la certitude, de la vertu et de la grâce » L’homme qui, à cette époque, commençait à rêver d’être la mesure de toute chose, allait-il devoir se résigner à n’être que celui qui mesure toute chose ?

1-Alfred W. Crosby, The Measure of Reality, Cambridge, University Press, 1997, p. 228..
2-Ibidem, p. 14..

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