Vasto Lanza del
« Lanza del Vasto naquit en Pouilles, région du sud-est de l'Italie, en 1901. Il reçut une éducation soignée et poursuivit ses études jusqu'au doctorat en philosophie qu'il obtient de l'Université de Pise, pour une thèse connue sous le titre d'Approches de la Trinité spirituelle. Mais Lanza continue de chercher et de se chercher: "La Vérité, écrit-il, n'est pas une quelconque combinaison verbale et mentale. Elle est dans le dense silence intérieur, elle est dans la conformité du Dedans et du Dehors".
Il vit dans plusieurs capitales et pratique divers métiers, négligeant le gain et refusant partout de se fixer. À trente ans et pendant cinq ans, il vagabonde à travers le sud de l'Europe, visitant les îles grecques, la Terre Sainte et la Turquie. Il connaît la pauvreté et la faim et s'initie progressivement à l'art de vivre: "Fille de poésie et soeur de délivrance, dit-il, que notre pauvreté soit exquise en toutes choses".
En 1936, il part pour l'Inde afin d'interroger Gandhi sur sa doctrine non-violente. Il apprend qu'elle est une manière d'être d'où procède une manière de faire. Pour le Mahatma: "l'homme se fait en faisant quelque chose, nul n'est dispensé du travail de ses mains". Cette réponse rejoint une longue quête personnelle, celle de ne pas séparer mais d'unir: le corps et l'esprit, l'action et la contemplation. Rentré en Europe, il résolut de s'établir en France mais se sentit impuissant à communiquer le message à l'Occident qui se préparait à la guerre. Il partit donc sur les routes, vers la Terre Sainte, où il arriva à Bethléem (la maison du pain) à Noël 1938. Rentré de nouveau en France, il commença à édifier une communauté d'hommes et de femmes, vivant du travail de leurs mains qui seul permet de n'abuser de personne et d'échapper soi-même à la servitude.
Nous sommes durant l'hiver 1939-40; à Paris, deux ateliers s'ouvrent, celui des ciseleurs et des tisseuses, pendant qu'en banlieue on cultive un lopin de terre. Puis, cinq ans plus tard, c'est la communauté rurale de Tournier, en Saintonge. Puis ensuite, la fondation de Saint-Pierre de Bollène que les compagnons durent encore quitter quand le gouvernement construisit l'usine atomique de Marcoule, l'endroit ne convenant plus au silence recherché. Enfin, depuis 1964, la communauté de l'Arche (il nous faut tous monter dans l'Arche, comme Noé, pour traverser les eaux tumultueuses du siècle) s'est fixée à la Borie Noble, sur un mont rocheux des Cévennes, dans le département de l'Héraut, au sud de la France.
C'est là que je me suis rendu, en août 1969, pour découvrir par moi-même cette communauté insolite. Ils sont actuellement une centaine: des célibataires, des couples avec leurs enfants, travaillant la terre (ils sont végétariens), tissant et coupant leurs vêtements, fabriquant leurs meubles. Ils pratiquent la non-violence appliquée à tous les plans de la vie, aux travaux "intérieurs" ou spirituels, comme aux travaux "extérieurs" ou manuels, ceux-ci venant prolonger ceux-là. "S'il est un aspect de l'Ordre laborieux qui fait songer au passé, écrit Shantidas dans Présentation de l'Arche, c'est bien la forme et le sens qu'on y donne au travail. L'outillage, les méthodes, les secrets des métiers conservés ou retrouvés, la forme et le style des objets produits, tout fait penser au Moyen Âge". Cette rapide évocation de l'homme et de l'oeuvre prépare, me semble-t-il, à comprendre la position de Lanza del Vasto sur la culture technologique. »
MAURICE DA SILVA, « Lanza del Vasto et la culture technologique », Critère, février 1970.