Langue française et diplomatie

«Chacun se rappelle que depuis l'ordonnance royale de Villers-Cotteret qui avait imposé par la volonté politique la langue française comme langue d'unification de la France, le français s'était peu à peu imposé comme la langue mondiale des échanges, et en particulier des discussions et décisions politiques en substitution du latin.

Ainsi au cours des siècles le français s'était imposé comme la langue diplomatique mondiale.

A l'issue de la première guerre mondiale qui avait fragilisé les anciennes puissances européennes et montré l'émergence politique des Etats-Unis d'Amérique, le traité de paix signé à Versailles en 1919, marqua la cessation du privilège du français comme langue diplomatique: il fut rédigé à la fois en anglais et en français. L'après-guerre entraîna de profonds changements sociaux. Les classes sociales s'interpénétrèrent et démocratisèrent la langue.

Certes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, naissait l'organisation-mère, c'est-à-dire l'organisation-modèle de tout le système international contemporain: l'Organisation des Nations unies en remplacement de la Société des Nations.

L'Assemblée générale de l'ONU, lors de sa première session, le 1er février 1946, adopta la résolution no 2 portant approbation du Règlement concernant les langues. Celui-ci précise, dans son article 1er:  « Dans tous les organismes des Nations-Unies autres que la cour internationale de Justice, le chinois, l'anglais, le français, le russe et l'espagnol sont les langues officielles ». Cette internationalisation de l'expression devait néanmoins être immédiatement nuancée dans le même texte par cette précision capitale : « L'anglais et le français sont les langues de travail ».

Plus tard, s'y greffa l'arabe. La distinction entre langue officielle et langue de travail n'est pas, à vrai dire, clairement établie sur le plan juridique et fait, aujourd'hui encore, l'objet de controverses. On retiendra, en prenant l'ONU pour modèle, que le statut de langue officielle implique que toute réunion officielle soit pourvue de l'interprétation simultanée de et vers la langue qui bénéficie de ce statut, que les documents préparatoires et les projets de résolution soient disponibles dans cette langue en temps voulu, que les comptes rendus et les rapports le soient également. 

Le statut de langue de travail implique, quant à lui, que le travail des fonctionnaires internationaux interne à l'organisation puisse être effectué, verbalement et par écrit, dans une des deux langues de travail, d'où la nécessité pour ces fonctionnaires de connaître l'une de ces deux langues pour être recrutés et, si possible, de connaître, au moins passivement, l'autre langue, ou à défaut, d'être mis en mesure, par la traduction ou l'interprétation, de la comprendre. En outre, tout délégué doit pouvoir également s'exprimer, verbalement et par écrit, dans l'une des deux langues de travail, dans ses relations avec le secrétariat de l'Organisation, toute activité linguistique officielle du secrétariat (affiches, brochures, inscriptions de tout ordre, menus des restaurants, explications des guides, etc.) devant s'effectuer dans ces deux langues. 

Dans les organisations rattachées à l'ONU, on ne fait pas la différence entre le statut de langue officielle et celui de langue de travail. Dans la plupart des cas, le statut unique de langue officielle ou, pour quelques organisations, selon une terminologie approximative, de "langue de travail" donne à la langue qui en bénéficie les droits cumulés des deux statuts. Cependant, certaines organisations interprètent ce statut comme ne conférant qu'à la seule langue officielle la plus utilisée (et c'est, en général l'anglais, mais parfois le français) le statut juridique de langue de travail.

À ces exceptions près, le français bénéficie juridiquement, dans la quasi-totalité des organisations internationales du système des Nations unies, du statut maximum. Tel est le cas, non seulement, en application de la résolution de 1946, à l'ONU proprement dite (Assemblée générale, Conseil de sécurité économique et social, Conseil de tutelle, Secrétariat et, en application de son règlement particulier, Cour internationale de Justice) et dans les organismes qui en dépendent directement3(*), mais aussi, conformément au paragraphe b) de la résolution de 1946 dans les institutions spécialisées et rattachées4(*)

Les organisations indépendantes du système des Nations unies se recensent par centaines si l'on tient compte notamment non seulement des institutions et organismes centraux mais également de leurs comités, offices, bureaux décentralisés. Or, la situation du français y est importante et particulière.

Le français se voit reconnaître dans la plupart d'entre elles le statut de langue officielle sans qu'il ne soit fait mention de langue de travail. Tel est le cas à la Commission des Communautés européennes (neuf langues officielles: français, allemand, anglais, danois, espagnol, grec, italien, néerlandais, portugais), à l' Organisation du Traité de l'atlantique Nord (OTAN), à l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), au Conseil de l'Europe, à l'Union de l'Europe occidentale (UEO), à la Commission du Pacifique Sud, à l' Organisation internationale de police criminelle (OIPC-INTERPOL), à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), à l'Organisation des Etats américains (OEA), à l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) devenue Union africaine. Dans toutes ces organisations, le statut de langue officielle entraîne, juridiquement parlant, le statut de langue de travail au sens indiqué ci-dessus. À l'Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OCTI), le français est dit langue de travail, ce qui correspond au double statut. À l'inverse, à le programme international de satellites de télécommunication (INTELSAT) et le programme international de satellites maritimes (INMARSAT) le français est langue officielle mais n'est pas admis, comme à l' Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et à la Banque interaméricaine de développement, au titre de langue de travail.

Tel est, dans ses grandes lignes, le statut juridique du français dans le plus grand nombre, et les plus importantes, des organisations internationales. On ne saurait, encore une fois, être exhaustif dans ce domaine. Presque toutes les organisations débattent et légifèrent périodiquement sur le statut et l'emploi de langues, ce qui relativise le statut des langues en la matière.»
http://www.senat.fr/ga/ga68/ga68_mono.html

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