Newton Isaac

1642-1727
"L’un des plus grands génies des temps modernes, né à Whoolstrope, dans le Lincolnshire, le 25 décembre 1642, mort à Kensington, Londres, 20 mars 1727.

I. Biographie

Son père, John Newton, d’origine probablement écossaise, cultivait la terre de Whoolstorpe, qui était, depuis près de trois siècles, la propriété de sa famille. Lorsqu’il mourut, le petit Isaac, né avant terme comme Kepler, et, comme lui, de constitution très chétive, était à peine âgé de quelques mois. Sa mère, Anne Ayscough, se remaria, alors qu’il venait d’entrer dans sa troisième année, avec Barnabas Smyth, recteur de Northwitham, et le confia aux soins de sa grand-mère, qui l’envoya aux petites écoles des hameaux voisins de Whoolstorpe. À douze ans, il fut mis à l’école publique de Grantham, la ville la plus proche. Il n’y resta que trois ans. Il se montra, du reste, au début, assez mauvais élève, ne donnant un peu d’attention qu’aux mathématiques et absorbé surtout dans la construction de petits ouvrages de mécanique : une clepsydre, un cadran solaire, une voiturette mue avec les bras, un moulin que faisait tourner, à défaut de vent, une souris nourrie par la farine qu’elle produisait. Il s’exerçait aussi au dessin et même à la peinture, et les murs de la petite chambre qu’il occupait chez l’apothicaire de la ville, le Dr Clark, étaient couverts de ses compositions. C’est également chez cet hôte qu’il connut Mlle Storay, plus tard Mme Vincent, à qui il garda, après avoir nourri pour elle une passion enfantine, une amitié de toute sa vie. Rappelé en 1657 auprès de sa mère, qui était devenue veuve une seconde fois et s’était réinstallée dans la ferme de Whoolstorpe, il montra moins de goût encore pour les travaux agricoles que pour le latin; en revanche, il s’enfonça dans la lecture d’ouvrages de mathématiques et de physique, qu’il avait empruntés à l’apothicaire, et, sur le conseil d’un de ses oncles, qui l’avait surpris en train de résoudre, derrière une haie, un problème de géométrie, sa mère le renvoya en 1659 à l’école de Grantham, d’où il passa, en juin 1661, au Trinity College de Cambridge. Il eut le bonheur d’y compter parmi ses maîtres un des premiers mathématiciens du siècle, Barrow, et, d’après ses indications, il se familiarisa successivement, afin de mieux suivre ses leçons, avec la Logique de Sanderson, l’Optique de Kepler, la Géométrie de Descartes, l’Arithmétique des infinis de Wallis. Il s’appliquait d’ailleurs, au fur et à mesure, à rechercher ce qui lui paraissait susceptible d’être perfectionné et il fut ainsi conduit, dès cette époque, à plusieurs importantes découvertes, généralisant notamment la formule célèbre du développement en séries, qui a gardé, bien que connue avant lui, le nom de binôme de Newton, et posant les premiers fondements de la méthode des fluxions; il consigna même les résultats de ces travaux dans un écrit intitulé De Analysi per aequationes numero terminorum infinitas; mais sa modestie et peut-être aussi le dessein, déjà connu, d’employer ses calculs à la détermination des grandes lois naturelles, lui firent ne confier son manuscrit pour la première fois qu’à Barrow, en 1668; Collins en prit une copie et il ne fut imprimé que quarante-trois ans plus tard, en 1711. En janvier 1665, Newton fut reçu bachelier; quelques mois plus tard, Barrow ne le classa que second dans un concours à une place d’agrégé, et, au commencement d’août, une épidémie ayant subitement sévi dans l’université, il se trouva licencié avec tous ses camarades et demeura, jusqu’à l’automne suivant, à Whoolstorpe. C’est durant l’une des longues heures de recueillement que lui procura cette calme retraite que se place la jolie anecdote si souvent contée. D’après Voltaire, qui tenait le récit de Mme Conduitt, nièce de Newton, l’illustre astronome était assis dans son verger, au clair de lune, lorsqu’une pomme vint à tomber devant lui, et ce simple fait, en l’amenant à réfléchir sur la nature de la force singulière qui entraîne les corps proches de la terre vers son centre, alors que la lune, au contraire, ne tombe pas, lui aurait suggéré la première idée des lois de la gravitation. Le pommier, qui aurait si providentiellement contribué à faire pénétrer le mystère de la mécanique céleste, a été longtemps en Angleterre l’objet d’un véritable culte, et, depuis qu’un ouragan l’a brisé, en 1826, on montre aux touristes une chaise faite avec les débris de son tronc. Malheureusement pour sa gloire, l’authenticité de l’histoire est moins que certaine. Il paraît seulement acquis qu’à son retour de Cambridge, en 1666, Newton possédait déjà le germe de son immortelle découverte, qu’il avait même commencé à vérifier par le calcul de quelques-unes de ses conséquences, mais qu’égaré par la valeur inexacte alors attribuée au rayon terrestre et redoutant d’avoir commis quelque erreur, il ne s’ouvrit cette fois encore à personne de ce qu’il venait de trouver, non plus que des diverses autres propositions nouvelles, également très importantes, touchant les prismes. En 1667 et en 1668, il prit ses derniers grades universitaires. Presque aussitôt, Barrow, qui désirait se consacrer à la théologie et à qui il venait de communiquer, ému par la publication de la Logarithmotechnia de Mercator, le manuscrit de son De Analysi, se démit de sa chaire de mathématiques à condition qu’il l’aurait pour successeur. Il y fut effectivement nommé (1669), et durant tout le temps qu’il l’occupa, il ne s’éloigna jamais de Cambridge qu’un mois par an, à l’époque des vacances. En 1671, il exécuta de ses propres mains le télescope à réflexion qui porte son nom et, bien qu’il n’eut guère alors d’autre titre connu à la célébrité que cet instrument peu différent de celui antérieurement décrit par Gregory, il fut élu, le 11 janvier suivant, membre de la Société royale de Londres, sur la proposition de Sethward, évêque de Salisbury. Il avait alors vingt-neuf ans et, en réalité, les trois grandes découvertes qui ont fait la gloire de sa vie, la méthode des fluxions, la théorie de la gravitation universelle et la décomposition de la lumière, étaient nées depuis cinq ans déjà dans son esprit, en quelque sorte toutes en même temps. En 1673, il fut engagé, à propos de ses recherches sur la lumière, dans de vives discussions avec Hooke et Huygens; il offrit même, un instant, sa démission de membre de la Société royale, mais elle ne fut pas acceptée et, le 9 décembre 1675, il communiqua sur la question un dernier mémoire, qui fut le complément de ses travaux d’optique. Pendant les vingt années qui suivirent, on ne trouve plus, dans les Philosophical Transactions, aucun mémoire de Newton. Il eut pourtant en 1679 un nouveau démêlé avec Hooke, devenu secrétaire de la Société, celui-ci soutenant que la courbe parcourue par un corps tombant du haut d’une tour élevée est une ellipse, alors que lui-même était convaincu que ce devait être une spirale. Vers le même temps, Jacques II ayant voulu imposer à l’Université de Cambridge la réception d’un moine bénédictin à la maîtrise ès arts, sans l’astreindre au serment d’allégeance, Newton fut envoyé à Londres avec quelques-uns de ses collègues pour y défendre devant la haute cour de justice les privilèges universitaires. L’ambassade eut un plein succès et, quelques années plus tard, en 1688, pour témoigner à ses délégués sa reconnaissance, l’Université élut celui qui était devenu le plus illustre d’entre eux, Newton, député au Parlement. Mais il s’y trouva comme désorienté, bien qu’il en suivit les débats avec assiduité, et il n’y prit jamais, au dire de ses contemporains, qu’une fois la parole, pour prier un huissier de fermer une fenêtre.

Il n’avait plus besoin, du reste, pour conquérir la célébrité, des triomphes de la politique. Un jour du mois de juin 1682, comme il était arrivé l’un des premiers au local de la Société royale, il entendit parler des résultats obtenus par Picard dans la mesure d’un degré du méridien. Il en prit note et, de retour chez lui, il se hâta de refaire, sur ces nouvelles données, ses calculs de 1666. Cette fois, la longueur du rayon terrestre était exacte, et la loi qu’il avait découverte seize ans auparavant, mais qu’il n’avait pu considérer jusque-là, faute de l’avoir pu vérifier, que comme une « hypothèse », se trouva à l’instant, et de la façon la plus inattendue, de tous points confirmée. Son émotion fut vive. Il dut confier à un de ses amis le soin d’achever ses calculs, puis, le calme revenu, il s’assura que la démonstration, qu’il n’avait faite que pour la terre et la lune, s’appliquait aussi exactement aux autres mondes planétaires, qu’en un mot sa loi était universelle. Il travailla pendant quatre ans, presque sans relâche, à en rechercher et à en discuter toutes les conséquences, et ce ne fut qu’en 1686, dans l’immortel ouvrage qui a pour titre : Philosophiae naturalis principia mathematica, et dont il fit présenter le manuscrit, le 28 avril, à la Société royale, qu’il dévoila publiquement, pour la première fois, sa doctrine de l’attraction universelle. Le livre, imprimé aux frais de la Société, fut d’ailleurs très froidement accueilli sur le continent, où la philosophie cartésienne régnait en souveraine; Leibniz, surtout, se posa en adversaire irréductible des idées newtoniennes; Huygens consentit à leur faire crédit, mais seulement pour les astres, rejetant la gravitation de molécule à molécule; quant à Maupertuis et à Voltaire, qui s’employèrent de tous leurs efforts à faire triompher la nouvelle doctrine, ils furent traités, en France, de mauvais patriotes. En Angleterre, au contraire, Newton se vit comblé aussitôt d’honneurs et de richesses. Nous l’avons vu élire, en 1688, au Parlement. En 1694, l’un de ses anciens élèves, Charles Montagne, devenu chancelier de l’Échiquier sous le nom de lord Halifax, le fit nommer contrôleur de la Monnaie, et en 1699 il en devint directeur, aux appointements annuels de plus de 30 000 fr. Il se trouva tiré ainsi de la gêne pécuniaire qui l’avait mis dans la nécessité de demander, en 1674, à la Société royale de le dispenser de la cotisation hebdomadaire de 1 schelling imposée à tous ses membres, et il se fit tout de suite suppléer dans sa chaire du Trinity College, dont il se démit définitivement trois ans plus tard. La même année 1699, l’Académie des sciences de Paris le comprit parmi ses huit premiers associés étrangers; en 1701, il fut réélu à la Chambre des communes, où d’ailleurs il ne cessa de jouer le même rôle effacé; le 30 novembre 1703, la Société royale le choisit comme président et elle continua pendant vingt-cinq années consécutives, jusqu’à sa mort, à lui déférer cette fonction; enfin, en 1705, la reine Anne le fit baronnet. Il ne faudrait pas croire cependant qu’il conserva jusqu’au bout, comme l’ont avancé quelques-uns de ses biographes, toute son activité et l’intégrité de ses facultés mentales. On constate, au contraire, dès sa quarante-septième ou sa quarante-huitième année, un grand ralentissement, pour ne pas dire un arrêt presque complet, dans sa production scientifique, et, vers cette époque, sa santé, qui avait toujours été assez délicate, commença à s’altérer sérieusement. Il se plaint lui-même, dans ses lettres, de manque d’appétit et d’insomnie, et en 1692 il tomba, le fait est aujourd’hui avéré, en démence complète, soit par suite d’un excès de travail, soit par la douleur qu’il ressentit de voir son laboratoire de chimie et plusieurs manuscrits consumés dans un incendie. Dix-huit mois de soins dévoués lui rendirent la raison et avec elle la santé, qui fut désormais excellente. Mais la source de son génie était tarie et, si l’on en excepte sa solution du problème de la brachistochrone (1696) et un projet d’instrument de réflexion pour les observations nautiques (1700), il ne donna plus par la suite aucun travail vraiment nouveau sur aucune partie des sciences, se contentant de divulguer ceux qu’il avait composés longtemps auparavant ou de les compléter à l’aide de développements tirés presque toujours d’expériences et d’observations précédemment faites. En 1703, Hooke, dont il redoutait les tracasseries envieuses, étant mort, il s’occupa de faire paraître son Optique, et il en donna, en 1704, la première édition en anglais. Il y joignit des dissertations analytiques : De Quadratura curvarum et Enumeratio linearum tertii ordinis, qui contenaient, la première l’exposition de la méthode des fluxions et son application aux quadratures des courbes, la seconde une classification des courbes du troisième ordre. En 1707, G. Whiston, qui l’avait remplacé dans sa chaire de Cambridge, publia, à son insu, dit-on, son Arithmetica universalis, qui n’était que le texte de ses leçons d’algèbre et dont il donna lui-même, en 1722, un seconde édition, beaucoup plus complète. En 1711 parurent sa Methodus differentialis pour la détermination de la courbe du genre parabolique passant par un nombre donné de points, et le premier travail de sa jeunesse, le De Analysi. Quant à la Méthode des fluxions et aux Leçons d’optique, elles ne virent le jour qu’après sa mort.

On ne sait pas au juste à partir de quelle date il commença à s’occuper de chronologie ancienne et de critique sacrée. D’après une lettre écrite à Locke, il semble qu’il songeait déjà en 1690 à commenter Daniel. Il ne parut rien, en tout cas, de ces derniers travaux que dans les années qui précédèrent immédiatement sa mort. Sa vieillesse avait été, au surplus, presque tout entière remplie par sa querelle avec Leibniz au sujet de l’invention de l’analyse infinitésimale. (…) Qu’il suffise de rappeler qu’engagée en 1699 par Fatio de Duillier, ami de Newton, elle prit toute son acuité en 1704 à la suite de la publication de la dissertation De Quadratura curvarum et que, dans ce débat à tous égards regrettable, où, de part et d’autre, les torts furent grands, Newton n’eut pas, à beaucoup près, le plus beau rôle. Son animosité ne fut même pas calmée par la mort de son rival (1716) et, dès qu’il l’eut apprise, il fit imprimer de lui deux lettres manuscrites remontant à l’année précédente, en les accompagnant d’une réfutation fort amère. Six ans après, il fit donner une nouvelle édition du Commercium epistolicum, rapport très partial du tribunal arbitral que la Société royale avait autrefois chargé de régler la querelle, et il la fit accompagner d’une préface, plus partiale encore, qui serait son œuvre. Il est, du reste, assez difficile de porter un jugement précis sur le caractère de Newton. À certains égards, il ne peut qu’être admiré : il était de goûts simples tout en observant à Londres le train de maison que comportait sa position; il avait l’âme généreuse et sa bourse était ouverte pour tous, parents et amis; enfin, il semble qu’on ne puisse lui contester, comme savant, une réserve et une modestie très rares à l’époque, alors qu’il était en possession de si merveilleuses « découvertes et qu’il se faisait violenter pour les révéler. Il avait, du reste, coutume de dire, en parlant de lui, qu’il n’était qu’un enfant occupé à ramasser des cailloux sur le bord de la mer, tandis que le grand océan de la vérité s’étendait inexploré devant lui ». Mais on ne sait alors comment expliquer la conduite qu’il tint, non seulement à l’égard de Leibniz, mais aussi vis-à-vis de Flamsteed, dont il s’appropria diverses observations, et, en général, de tous les savants avec lesquels il se trouva en rivalité, et l’on a été amené à se demander si cette réserve et cette modestie, tant célébrées, n’étaient pas tout simplement de la timidité ou encore de l’appréhension. C’était l’opinion de G. Whiston, son successeur à Cambridge et l’éditeur de son Arithmétique universelle. « Newton, dit-il quelque part, était du caractère le plus craintif, le plus cauteleux et le plus soupçonneux que j’aie jamais rencontré, et je n’eusse osé publier, lui vivant, ma réfutation de sa Chronologie, car, comme je le connaissais, j’aurais redouté qu’il ne me tuât. » Au physique, l’auteur des Principia était de taille moyenne, avait une physionomie agréable, l’œil vif et perçant, la chevelure abondante. Il parlait peu et sans attrait, presque toujours plongé dans de profondes méditations, et sa distraction est restée proverbiale. Enfin, il était très pieux et d’une austérité poussée, a-t-on prétendu, jusqu’à la continence la plus absolue. Nous avons vu qu’après la crise de sa cinquantième année la santé lui était revenue, beaucoup plus florissante que dans sa jeunesse. Elle se maintint assez égale jusque vers sa quatre-vingtième année, où il commença à souffrir d’une incontinence d’urine, et il ne s’alita que durant les vingt derniers jours de sa vie. Il mourut de la pierre à Kensington (auj. Londres) dans sa quatre-vingt-cinquième année. Il ne s’était jamais marié et il laissa à ses neveux et nièces toutes ses économies, environ 800 000 fr. On lui fit des funérailles splendides et il fut inhumé à l’abbaye de Westminster. Un magnifique mausolée, où il est représenté couché et accoudé sur ses écrits, lui a été élevé en 1731, dans la partie la plus apparente de l’abbaye, aux frais de sa famille et du trésor. Il a deux autres statues : l’une en marbre, due au ciseau de Roubiliac, devant la chapelle du Trinity College, à Cambridge (1755); l’autre, colossale, en bronze, dans Saint-Peter’s Hill, à Grantham (1858). La Société royale conserve pieusement le manuscrit des Principia, tout entier de sa main, le cadran solaire qu’il construisit étant enfant et son télescope réflecteur.


II. L’œuvre scientifique

Venu le dernier parmi les fondateurs de l’astronomie moderne, après Copernic, Tycho Brahé, Kepler et Galilée, Newton s’est en quelque sorte élevé au-dessus d’eux : il a révélé et en même temps il a démontré de façon éclatante la loi de la gravitation universelle, la plus haute conception et la généralisation la plus vaste à laquelle la science soit encore parvenue [à la fin du XIXe siècle- Enc. de l’Ag.]; il a créé la physique mathématique et l’astronomie physique. (…) L’ouvrage qui recèle tant de vérités nouvelles, les Principia, se divise en trois livres. Il début par une préface où Newton, après avoir annoncé qu’il va rompre avec les subtilités de la scolastique et appliquer à l’étude des phénomènes naturels le calcul mathématique, formule, à l’exemple des géomètres, une série de définitions et d’axiomes touchant la matière et le mouvement. Le deux premiers livres, qui reproduisent, sauf quelques additions, un écrit destiné d’abord à paraître seul sous le titre De motu corporum, traitent, d’une manière générale, des mouvements rectilignes et curvilignes des corps sphériques ou non sphériques dans des sections coniques, excentriques ou concentriques. Onze lemmes font d’abord connaître la méthode géométrique que va employer l’auteur; puis vient, à la suite de ce préliminaire, qui forme la première section, une démonstration très simple du théorème des aires dans tous les cas de variation de la force centrale, et le livre Ier, qui est à lui seul une merveille, se ferme, en matière de conclusion, sur cette proposition amenée de façon magistrale : la trajectoire que décrit un mobile attiré vers un centre fixe en raison inverse du carré de la distance est une conique. Le livre II, de moindre intérêt, s’occupe à peu près exclusivement des mouvement dans les milieux résistants. Le livre III, qui est le couronnement de l’œuvre, a pour titre De mundi systemate. Newton y pose d’abord quatre règles, les regulae philosophandi, qui doivent guider, d’après lui, toute investigation dans le domaine des sciences physiques; il applique ensuite au système du monde les principes énoncés dans le livre Ier, établit la loi de la gravitation universelle, avec les diverses conséquences que nous avons signalées, jette même en partie les bases de la théorie des comètes et termine par une diatribe fort juste, à la vérité, mais en somme inutile, contre les tourbillons de Descartes. Nous avons vu dans la biographie de Newton que sa « philosophie » eut quelque peine à prévaloir, en France surtout, où le cartésianisme avait de profondes racines. Les partisans de Newton se divisèrent eux-mêmes assez longtemps en deux sectes : les newtonistes, qui s’étaient imposé comme loi de marcher exactement dans les traces du maître, de ne pas aller plus loin que lui, et les newtoniens, qui, tout en proclamant la vérité de la nouvelle doctrine, en recherchaient des applications nouvelles.

Quoique moins redevable à Newton que la mécanique céleste, l’optique a fait aussi, grâce à lui, un grand pas. Non qu’il soit l’auteur véritable, comme on le considère souvent, de la théorie de l’émission, proposée bien antérieurement et remplacée, du reste, depuis longtemps par celle des ondulations : il l’a seulement considérablement développée et a expliqué par elle tous les faits alors connus; mais il a, le premier, analysé la lumière; le premier, il a montré, à la suite d’expériences conduites avec une habileté et avec une sagacité incomparables, qu’elle n’est pas une substance simple et homogène, qu’elle est composée, au contraire, de rayons d’inégale réfrangibilité, qu’en elle et en elle seule réside la cause de la couleur, qu’en effet les corps qui nous paraissent colorés jouissent simplement de la propriété d’absorber les rayons lumineux qui ne sont pas de leur couleur et de diffuser les autres. Cette partie des travaux de Newton sur la lumière se trouve consignée dans le livre Ier de son Optics; ils avaient été communiqués à la Société royale en 1672 et en 1673, dans des mémoires séparés. Les livre II et III du même ouvrage traitent des phénomènes de coloration qui s’observent dans les lames minces et que l’on obtient également dans les plaques épaisses en les présentant de façon convenable à la lumière incidente. Newton a le tort de ne pas citer, à leur propos, Hooke, qui avait fait naître avant lui des anneaux colorés entre deux lentilles superposées et qui avait donné une théorie de leur formation devant nécessairement conduire aux quatre lois expérimentales énoncées dans le livre II : loi des diamètres, loi de l’inclinaison, loi des indices, loi de la dispersion. En outre, le livre II contient – et aussi le livre III, où il est plus particulièrement question des phénomènes de la diffraction – un nombre relativement considérable d’erreurs graves, dont quelques-unes sont d’autant plus difficilement explicables qu’elles portent sur des points ayant déjà été l’objet de découvertes antérieures. C’est également dans l’Optics que se trouve le passage si souvent cité où Newton considère que le diamant, auquel il a reconnu, comme au camphre, à l’huile ou à l’essence de térébenthine, un pouvoir réfringent beaucoup plus considérable que sa densité ne le comporte, comme une substance coagulée, comme un corps combustible; or, l’Optics n’a paru qu’en 1704 et dès 1694 l’académie del Cimento, dont il ne pouvait ignorer les expériences, avait brûlé du diamant devant les grands-ducs de Toscane.

La troisième grande découverte de Newton, la première, vraisemblablement, dans l’ordre chronologique, est du domaine de l’analyse mathématique : c’est le calcul des fluxions, qui réduisait en algorithme pratique l’analyse infinitésimale. À peu près en même temps, Leibniz imaginait le calcul différentiel, autre algorithme remplissant le même but : d’où entre ces deux puissants génies et entre leurs partisans respectifs la lutte si passionnée à laquelle nous avons déjà fait allusion et qui ne permit de longtemps, tant les esprits étaient surexcités, de faire la part de chacun. Aujourd’hui la discussion est close et il paraît bien établi que Newton et Leibniz ont créé de toutes pièces, sans qu’aucun des deux eût connaissance des travaux de l’autre, le premier, le calcul, le premier, le calcul des fluxions, auquel il fut conduit par sa généralisation du développement en séries connu sous le nom de binôme de Newton; le second, le calcul différentiel, qui a sa base dans la considération des infiniment petits et qui a été, d’ailleurs, par la suite universellement préféré. Les autres travaux mathématiques de Newton offrent un intérêt de beaucoup inférieur. Ce sont, en effet, pour la plupart, des méthodes d’une application toute particulière, créées qu’elles ont été pour la solution des grands problèmes de la mécanique céleste et de l’optique. Il convient cependant de réserver une mention spéciale aux deux opuscules publiés à la suite de l’Optics : le Tractatus de quadratura curvarum, où Newton fait l’application de sa formule du binôme dans le cas d’un exposant quelconque; l’Enumeratio linearum tertii ordinis, où il fait voir dans l’équation du troisième degré 72 espèces différentes de courbes et qui se termine par cette prodigieuse assertion, entièrement vérifiée depuis : « De même que le cercle donne par son ombre toutes les courbes du second degré, de même les cinq paraboles divergentes donnent par leur ombre toutes les autres courbes du troisième degré. »

Nous avons vu que Newton avait, dans sa jeunesse, construit de ses mains un téléscope catadioptrique et que, plus tard, il avait donné le plan d’un cercle de réflexion. Il se livra aussi à des expériences de laboratoire, et dans un mémoire anonyme inséré aux Philosophical Transactions (1701) sous le titre Scala caloris, indiqua, outre une méthode pour rendre les thermomètres comparables, la loi du refroidissement des corps solides à des températures modérées. L’alchimie le préoccupa aussi sans que toutefois ses recherches sur la transmutation des métaux paraissent l’avoir conduit à d’autres découvertes qu’à celle d’un nouvel alliage propre à la fabrication des miroirs métalliques. Enfin, il se révéla dans ses fonctions de directeur de la Monnaie, en même temps qu’un administrateur habile, un financier de grande valeur; il dressa en effet, pour préparer la refonte générale des pièces d’or et d’argent, qu’il conduisit avec beaucoup de succès, d’excellentes tables comparatives des monnaies anglaises et étrangères, et il composa un rapport sur le monnayage, où les bimétallistes ont prétendu trouver un argument en faveur de leur doctrine. Quant à ses travaux sur la chronologie, il ne les avait pas destinés à la publicité, et ce fut contre sa volonté que la princesse de Galles, à qui il en avait confié un résumé, le livra à l’imprimerie. Il n’avait traité d’ailleurs que la chronologie de l’histoire ancienne profane, faisant partir celle-ci de l’année 1125 avant J.-C., pour se terminer en 331 et plaçant vers 870 la composition des poèmes d’Homère et d’Hésiode. « On ne peut, dit Delambre, tirer aucune sorte de conséquence de cet amas grossier d’erreurs et d’incompatibilités. »"

LÉON SAGNET, article « Isaac Newton » de: La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Tome vingt-quatrième (Moissonneuse-Nord). Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus... [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de "La grande encyclopédie", [191-?], p. 1015-1018.


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Conceptions religieuse et mathématique de la nature chez Newton (Harald Höffding)
«Il y a entre la conception religieuse de Newton et sa théorie mathématique de la nature une relation remarquable, qui tient à sa théorie de l'espace. (Les passages principaux sont le Scholium après les définitions contenues dans les Principia et Query 31 dans Opticks.) La conception vulgaire (vulgus) admet à tort, dit Newton, que le temps, les espaces, les lieux et les mouvements sensibles sont vrais. Elle les détermine d'après leur relation avec les choses sensibles. Mais il n'est pas dit qu'il y ait un corps quelconque à l'état absolu de repos, en sorte que nous pourrions le prendre comme point de départ pour déterminer les lieux et pour distinguer le mouvement réel du mouvement apparent. Pour qu'il pût y avoir un mouvement réel (c'est-à-dire un mouvement comme celui supposé par la loi d'inertie), il faudrait qu'il y eût un espace absolu et un temps absolu, non déterminés par leurs rapports avec un objet extérieur quelconque (sine relatione ad externum quodvis). Il faudrait qu'il y eût des lieux absolus, immobiles, pour qu'une détermination de lieu absolue pût se faire; mais la sensibilité ne peut nous montrer de pareils lieux. Les lieux absolus (loca primaria) sont des lieux tant pour eux-mêmes que pour toutes les autres choses. L'espace vrai et le temps vrai sont l'espace mathématique et le temps mathématique, mais ils ne sont pas objets de sensibilité. — Il est assez étrange que nous trouvions chez le grand savant le penchant dogmatique à passer brusquement du phénoménal et du relatif à l'absolu. Il postule un espace en soi (une espèce de locus sui), comme Descartes, Spinoza et Leibniz postulent une cause en soi (causa sui). Il ne fait pas seulement de sa conception mathématique une conception susceptible de nous guider dans le calcul des rapports des phénomènes; il la pose comme la vraie manière de voir, par opposition à la manière de voir sensible ou vulgaire, qui ne parvient pas à dépasser le relatif. Il fait une réalité vraie d'une abstraction mathématique. Dans la pratique (in rebus humanis), nous pouvons, à la vérité, nous en tenir à l'espace sensible, et oublier que la sensibilité n'est pas capable de nous montrer des lieux absolus: mais comme penseurs (in rebus philosophicis) nous devons faire abstraction des sens!»

HARALD HÖFFDING, «Newton et son importance en philosophie», Histoire de la philosophie moderne, tome I, Paris, Félix Alcan, 1906

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