Formalisme
« Le formalisme, selon Klages, est la pensée par signes purs.» Les programmes d'ordinateur en sont de beaux exemples. Il s'agit d' une pensée telle que la soumission à la règle, à la convention, y est plus importante que la pensée par référence au réel. Et Littré n’est peut-être pas aussi éloigné qu’il semble de la vérité lorsque, ignorant le sens actuel du mot formalisme, il le rattache aux formalités et le décrit comme suit : « Attachement excessif aux formalités […]. Réglementation excessive des actes de la vie. Goût des formes, de l’étiquette. »
« Le but de la pensée formaliste, poursuit Klages, c’est : des résultats de la pensée atteints sans l’effort de la pensée, des réponses trouvées sans l’intermédiaire de la recherche, la domination de l’Esprit établie sans le moyen et l’instrument de la conscience, qui dépend toujours pour une part de la Vie. Sans doute, le parfait formaliste serait un appareil de précision sans conscience, capable d’une variété de réactions inquiétante et qu’on pourrait alors composer, soit dans un atelier de construction, soit dans un alambic, comme un homonculus.»1
C'est ainsi qu'au début du XXe siècle Klages avait prévu l'invention de l'ordinateur. Dans l’informatique en effet, et plus précisément dans l’informatique appliquée aux communications, les formalités sont omniprésentes. Le vocabulaire lui-même témoigne de ce fait. Il gravite autour de mots comme programmes, protocoles, routines, commandes, langages (conventionnels par définition), séquences. Dans les règles à suivre pour communiquer avec quelqu’un, si vous négligez le détail le plus insignifiant, vous vous condamnez à l’échec. On note avec intérêt que ces caractéristiques sont celles d’une machine dont, au tout début du siècle, Ludwig Klages a prophétisé l’avènement en la désignant sous le nom de «parfait formaliste».
1. LUDWIG KLAGES, Les principes de la caractérologie, Paris, Delachaux et Niestlé, 1950, p. 84.
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On associe spontanément la notion de formalisme à la philosophie et aux mathématiques ; à bon droit, car c’est à l’intérieur de ces disciplines que le mot prend son sens le plus clair. On se prive cependant d’une clé importante pour la compréhension de l’histoire, quand on limite le sens du mot formalisme à cet usage. Car au moment précis où, en Europe, le formalisme commençait à s’imposer en philosophie et en mathématique, il commençait aussi à imprégner la vie quotidienne des gens. Au moment où Descartes inventait la géométrie analytique et où Leibniz jetait les bases de la logique formelle, la Bourse, une institution où le signe a plus d’importance que le signifié, apparaissait en Europe.
«Et si à l’aspect de l’agitation criarde d’une bourse, nous avions tout à coup l’idée comique que cet acharnement fiévreux a lieu pour des chiffres, et rien que des chiffres, nous pourrions bien aussitôt être pris d’un sentiment d’horreur à la pensée que ces batailles engagées pour des chiffres peuvent décider en un clin d’œil du sort de millions d’hommes. Ces chiffres signifient quelque chose (terre, pétrole, chemins de fer, ouvriers, etc.) ; mais ce sont eux-mêmes qui vivent d’une vie souveraine, dans le cerveau des lutteurs et non leur valeur significative : le signe domine le signifié, et la pensée par signes purs remplace la pensée par unités significatives, et même la pensée par concepts. C’est en cela que consiste l’essence même du formalisme.»
LUDWIG KLAGES, Les principes de la caractérologie, Paris, Delachaux et Niestlé, 1950, p. 83.
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Formalisme moral
«Si ce dernier est bien résumé par la formule l’art pour l’art, le formalisme en morale pourrait être ramené à la formule le devoir pour le devoir, – laquelle résume la position de Kant. Dans la perspective de Kant, qui a vécu à l’époque où le formalisme s’accentuait dans tous les domaines, ce qui fait la valeur morale d’un acte, ce qui constitue à proprement parler son mérite, ce n’est pas sa conformité avec des sentiments ou des buts, fussent-ils les meilleurs du monde, c’est le fait que l’auteur de l’acte trouve sa récompense – qu’il ne cherche d’ailleurs pas – non dans une forme quelconque de salut, non dans l’approbation d’autrui ou de Dieu lui-même, mais dans la pure satisfaction de se conformer à la Raison en accomplissant son devoir. Et ce devoir consiste toujours à traiter l’autre, habité par la même Raison, comme une fin, jamais comme un moyen. Ce rigorisme est cousin de la rigueur recherchée dans la logique ou la mathématique formelle ; ce qui fait la valeur d’une opération dans ce cas, c’est le respect des conventions établies au point de départ.»