Cicindèle

Insecte (genre) appartenant à l'ordre des coléoptères.

«Linné a baptisé, non seulement l'espèce hybride, la première dont je fis connaissance, mais aussi le genre « cicindèle ». Sans cesse, et même lorsqu'on étudie de secs catalogues, on est surpris de la modestie avec laquelle ce génie synoptique cache son savoir plus qu'il ne l'étale. Sa manière d'ordonner les lépidoptères en offre un exemple classique. On trouve déjà une « cicindèle » chez Pline, qui désigne par là le ver luisant. Le mot devait, dès cette époque, être ancien. Il dérive de candeo, briller, selon le mode que les philologues qualifient d'«intensification par redoublement». De telles formations remontent souvent à l'enfance des langues. Dans celui-ci, ce n'est pas seulement le redoublement qui agit, mais aussi le passage à la plus intense de deux voyelles. C'est le même rapport qu'entre Glanz et Glimmer, glänzen et glitzern : («Éclat » et «scintillement », «rayonner » et «étinceler ») une luminosité paisible se change en une vibration déroutante de points lumineux. Le nom emprunté à Pline devient plus éloquent encore si l'on songe à ces espèces méridionales de lucioles qui éteignent et rallument leur lumière à volonté, comme si elles disposaient d'un commutateur. C'est un spectacle qu'on peut déjà goûter en Illyrie ou en Provence, d'autant que ces animalcules choisissent, pour célébrer leurs noces, une soir tiède, sombre et sans vent.

Le ver luisant de nos orées forestières et de nos jardins, le lampyris, lui aussi, avive sa lumière, encore qu'autrement que dans le style électrique de la luciole méridionale, sans même parler du feu d'artifice des grands élatéridés dans la forêt vierge des Tropiques. La femelle aptère escalade des brins d'herbe pour exhausser sa lumière, qui commence luire plus chaudement, plus vivement, quand un mâle ailé frôle sa sphère.

Linné, qui ne connaissait pas les nuits du Midi a donc adopté le nom de cicindèle pour un animal solarien. Il n'aurait pu l'appliquer à une famille mieux choisie, pas même à celle des buprestidés qui, admirablement doués pour le vol, eux aussi, mènent une existence solaire. Ces « richards » des Français aiment le soleil ardent, aux rayons méridiens des quels ils se prélassent sur les fleurs, le bois coupé ou même le sol nu. Ils y resplendissent de mille feux et sont encore plus difficiles à attraper dans un filet
que les cicindèles, car la plus légère approche les fait s'envoler. Ils sont rares dans notre pays et ne tardent pas à disparaître lorsqu'on progresse vers les régions polaires ; en Norvège, j'en ai vu sur des saules rabougris, dernière espèce, minuscule, qui s'y était égarée comme l'étincelle tombée d'un lointain incendie.»

Adorateurs du soleil, les buprestidés le sont assurément ; il est peu de créatures pour subir ses flammes avec de tels délices. Mais la «cicindèle » s'applique mieux aux évolutions tournoyantes de chasseurs agiles qu'à la coite immobilité de végétariens nourris de bois, d'écorce, de pollen et peu doués pour la course, bien qu'ils possèdent le don de l'envol soudain, en flèche. Ce qui les rend aptes à la fuite, tandis que le mouvement de la cicindèle est adapté à l'attaque.

Par opposition au typhée et à tous les massifs mangeurs de végétaux, je fis connaissance en elle d'un des brigands les plus audacieux qui soient, d'un élégant aviateur, parfaitement équipé pour son métier. En ce temps-là, quand j'eus avec succès chassé le chasseur dans ma sablière et pus l'examiner à loisir chez nous, il m'apparut simplement beau, sans que j'y joignisse d'autres considérations. Or, ce qui le rendait beau -plus je m'occupai de lui, parfois durant des semaines entières, et plus de nouvelles raisons m'en vinrent à l'esprit. Mais explique-t-on une harmonie en décomposant les instruments qui la produisent ? Le détail peut, tout au plus, contribuer à sa louange. Là aussi, ce qu'un poète chinois a dit des oiseaux reste vrai : « Eux-mêmes ne connaissent que leur beauté : ce sont les hommes qui les nomment et en font des poulets. »

Tout enfant connaît les grands carabes brillants qui, dans les jardins, poursuivent les limaces. Ce sont surtout des chasseurs nocturnes. Quoi qu'on l’appelle, en allemand, « coureurs » (Laüfer)), ils ne sont pas rapides au point de se risquer au jour, avec leur brillante carapace ; ils préfèrent l'obscurité et la pénombre. Un matin que je me rendais à l'écotle à bicyclette, de très bonne heure, je vis la grande route toute peuplée de carabes ; chacun portait un ver de terre entre ses mâchoires et le traînait vers son repaire avant que le soleil ne se levât.

Cette existence liée au sol s'est divisée en plusieurs variantes, mais l'habitus du prédateur s'est conservé. Nous trouvons dans les cavernes des espèces pâles, aveugles, munies de délicats poils tactiles, et dans les eaux de larges nageurs en forme de barque, dont les pattes ont la forme de rames ou de nageoires. L'habit change, le caractère demeure.

Les cicindèles ont élu l'empire de l'air et de la lumière. Equipées de longues pattes minces, elles sont bien plus rapides que les carabes ; elles sont par rapport à eux, comme le guépard en comparais des autres félins. En outre, dans leur vol, leur supériorité sur les carabes, même ailés, est aussi écrasante que celle des hirondelles sur les moineaux. Ce qui exige un excellent appareillage optique ; leurs yeux occupent la moitié de leur tête. Devant eux, menaçantes, leurs redoutables mâchoires : tiger beetles, comme les appellent les Anglais. Tandis que les mandibules en pince ou, tout au plus, en faucille des carabes leur suffisent à trancher dans la chair de leurs proies molles, celles des cicindèles sont dentelées comme des kriss malais : instruments à couper les cuirasses. Et, pourtant, elles sont plus gracieuses. On peut, d'une manière générale, considérer la cicindèle champêtre comme le carabe en modèle de luxe - bien plus élégante, plus légère, plus alerte. Cela se marque jusque dans les moindres détails de structure, jusque dans les cannelures soyeuses de la chitine. Le ventre chatoie d'un vif éclat métallique ; la matière ignée semble jaillir de partout

des coutures, des articulations, des pores de cette créature, qui relève du type sanguin et solaire. Les élytres sont accordés à la nature propre de leurs terrains de chasse, pourvus le plus souvent d'un camouflage bigarré. Ces taches, ces bandes, ces croissants clairs peuvent, particulièrement sur des sols salins, se rejoindre et s'étaler. Je possède des exemplaires presque blancs, qui proviennent du désert de Gobi et des environs de Samarcande. Là encore, les originaux ne manquent point.. Pourquoi, en Egypte, pays du soleil, une espèce est-elle revenue aux rapines nocturnes ? Elle peut, en récomense, se permettre le luxe d'une corpulence bien plus forte et d'une couleur entièrement métallique. Dans les dunes d'Afrique du Sud, on voit chasser 1a mantichora herculéenne, qui ressemble à une araignée géante et noire. Dans les bois des montagnes, au-dessus de Rio, j'ai été surpris par l'aspect d'une espèce svelte, aux longues pattes, une chasseresse leptosome, qui, pourtant, folâtrant dans les buissons, se laissait capturer sans peine. Le principe était-il dans ce cas, poussé jusqu'à l'extravagance ? J'envoyai l'animal au docteur Horn, le disciple préféré du vieux Kraatz, qui s'était plongé, durant toute une vie, dans les ramifications de la famille à travers toute la planète : il m'apprit que je l'avais prise sur le terrain caractéristique de cette espèce.

A Madagascar, île riche en créatures singulières, l'un des genres fait la chasse à des insectes rapides en tournant à une vitesse foudroyante autour de troncs d'arbre. La Terre de Feu elle-même, où l’on ne s'attendrait jamais à rencontrer cette famille héberge l'un de ses membres, qui s'est aventuré jusque-là. Il est vrai que d'autres animaux solaires comme les colibris, y ont délégué des pionniers. La cicindèle fuégienne ne se laisse pas au premier abord reconnaître comme telle ; elle diffère de toutes l' autres par ses élytres entaillés d'encoches. Chevrolat, qui l'a décrite voici un siècle, l'a baptisée, pour cette raison, fallaciosa, la trompeuse. De tels animaux sont une épreuve du regard ; ils enseignent à discerner l'être de l'apparence sous laquelle il se dissimule.

La fallaciosa est d'une grande rareté ; qui irait jusqu'au cap Horn pour l'amour d'un coléoptère ? Mais malgré tout, en 1874, Carl August Dohrn considérait un crochet par Munich comme, écrit-il, « parfaitement justifié du point de vue de la stratégie et de l'entomologie », car il avait appris « qu'un collectionneur y pouvait disposer de quelques exemplaires » .

Ernst Jünger, Chasses subtiles, Christian Bourgeois éditeur, Paris 1980, p 111

Essentiel

«Certes, les cicindèles ne représentent qu'un îlot, ou pour mieux dire un atoll dans le grand récif de la vie, barrière corallienne montée des abîmes, et il existe de par le monde une douzaine d'esprits, tout au plus, qui se consacrent à elles con amore ; mais ce domaine n'est pas moins riche en plaisirs que ceux des pigeons, des tulipes et des roses, objets depuis longtemps de la passion d'une vaste communauté. Tous ces êtres ont en commun de rester fidèles à leur type fondamental, tandis que leur apparence varie avec une grande liberté. En quoi ils remplissent deux conditions du bonheur terrestre, qui, dans un champ restreint, tire son plaisir de la multiplicité. Ce que j'avais découvert dans la sablière, c'était le type. Je ne soupçonnais guère à quel point, entre les sexes et les espèces, dont plus de quinze cents ont été décrites, il est riche en variations. Si nombreuses que fussent celles dont j'allais faire connaissance, tant dans mon pays qu’à l’étranger, ou dans les atlas et les musées – ce furent toujours des retrouvailles, des souvenirs.» Jünger, op.cit.

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