Ballon

Les premiers voyages en ballon
«L'homme en raison de son poids, de la faiblesse de la force musculaire dont il est doué, semblait condamné à ramper toujours sur la surface de la terre, à ne pouvoir étudier les propriétés physiques des régions élevées de notre atmosphère qu'en montant péniblement au sommet des montagnes; mais quelles sont les difficultés dont le génie allié à la persévérance ne parvient pas à triompher? Depuis les temps les plus reculés, la pensée de s'élever dans les airs, loin de tous les objets terrestres, à l'aide de machines que l'imagination douait de propriétés malheureusement impossibles à obtenir, n'a pas cessé d'occuper l'esprit humain. Qui ne connaît les tentatives de Dédale et d'Icare, les projets de Roger Bacon, et des Pères Lara et Galien? Mais avant 1783, il n'avait été donné à personne de réaliser le rêve de tant de siècles. Joseph-Michel Montgolfier, né à Annonay, département de l'Ardèche, en 1740 et mort en 1810, membre de l'Académie des sciences de Paris, avait calculé qu'en raréfiant, à l'aide de la chaleur, l'air contenu dans un ballon de papier d'une étendue limitée, on lui donnerait une force ascensionnelle suffisante pour enlever des hommes, des animaux, des instruments de toute espèce. Il avait une telle confiance dans sa théorie, qu'il n'hésita pas de tenter le 5 juin 1783, une expérience publique et solennelle devant l'assemblée des députés des États particuliers du Vivarais, réunis à Annonay. Montgolfier a décrit lui-même en ces termes cette première expérience, qui fait époque dans l'histoire des découvertes les plus importantes :
    La machine aérostatique était construite en toile doublée de papier, cousue sur un réseau de ficelle fixé aux toiles. Elle était à peu près de forme sphérique, et sa circonférence était de 110 pieds (35,73 m); un châssis en bois de 16 pieds en carré (1,69 m2), la tenait fixée par le bas. Sa capacité était d'environ 22 000 pieds cubes (754 m3); elle déplaçait donc, en supposant la pesanteur moyenne de l'air égale à 1/800e de la pesanteur de l'eau, une masse d'air de 1980 livres (969 kilogrammes).

    La pesanteur du gaz était à peu près la moitié de celle de l'air, car il pesait 990 livres (484,61 kg), et la machine pesait avec le châssis 500 livres (244,75 kg). Il restait donc 490 livres (239,86 kg) de rupture d'équilibre, ce qui s'est trouvé conforme à l'expérience. Les différentes pièces de la machine étaient assemblées par de simples boutonnières arrêtées par des boutons; deux hommes suffirent pour la monter et pour la remplir de gaz, mais il en fallut huit pour la retenir; ceux-ci ne l'abandonnèrent qu'au signal donné : elle s'éleva par un mouvement accéléré, mais moins rapide sur la fin de son ascension, jusqu'à la hauteur d'environ 1000 toises (1949 mètres). Un vent à peine sensible vers la surface de la terre, la porta à 1200 toises (2339 mètres) de distance du point de son départ. Elle resta dix minutes en l'air; la déperdition du gaz par les boutonnières, par les trous d'aiguilles et autres imperfections de la machine, ne lui permit pas d'y rester davantage. Le vent, au moment de l'expérience, était au midi et il pleuvait; la machine descendit si légèrement qu'elle ne brisa ni les ceps ni les échalas de la vigne sur lesquels elle se reposa.

Le gaz employé dans l'expérience d'Annonay n'était pas autre chose que de l'air dilaté par la chaleur; toutefois sa nature n'était pas rapportée dans le récit de l'ascension du 5 juin 1783, qui fut publié dans les journaux. Sans attendre d'autres renseignements, l'artiste Robert et le physicien Charles, avec les fonds d'une souscription nationale rapidement couverte, firent construire en taffetas enduit de gomme élastique, un ballon de 4 mètres de diamètre, qu'ils emplirent de gaz hydrogène préparé par l'action de l'acide sulfurique étendu d'eau sur de la limaille de fer. Ce ballon s'éleva du Champ de Mars dans les airs le 27 août 1783, à cinq heures de l'après-midi, en présence d'une foule immense et au bruit du canon; il ne resta que trois quarts d'heure suspendu dans l'atmosphère, et il tomba à Gonesse, auprès d'Écouen, à cinq lieues de Paris. Ainsi fut démontrée la possibilité de faire des ballons avec une étoffe vernie, presque imperméable à l'hydrogène, le plus léger des gaz connus, et remplaçant l'air chaud avec avantage. Cependant on n'adopta pas immédiatement ce moyen d'obtenir une force ascensionnelle très-considérable avec des ballons de dimensions restreintes, et l'on fit plusieurs expériences successives avec des aérostats très-grands gonflés par de l'air échauffé par un feu de paille mélangée d'un peu de laine. C'est, emportés par un pareil aérostat ayant une forme ovale, 23 mètres de hauteur, 15 mètres de diamètre et 2056 mètres cubes de capacité, que Pilatre de Roziers et d'Arlandes exécutèrent le premier voyage aérien que les hommes aient osé faire dans des ballons dégagés de tous liens; ils partirent le 21 novembre 1783, du château de la Muette, et parcoururent environ deux lieues en planant durant 20 à 25 minutes au-dessus de Paris, à une hauteur d'environ 1000 mètres. Le 1er décembre suivant, Charles et Robert partirent des Tuileries dans un aérostat sphérique fait en taffetas enduit de gomme élastique de 8,50 mètres de diamètre seulement, et gonflé par de l'hydrogène. Après un trajet d'environ neuf lieues, le ballon toucha terre à Nesles; Robert descendit du char, et Charles remonta dans les airs où il s'éleva à une hauteur d'environ 2000 mètres pour redescendre deux lieues plus loin, après avoir éprouvé un froid de –5o tandis qu'à terre le thermomètre marquait + 7o. C'est de ce jour que date la démonstration de la possibilité pratique des voyages en ballon, voyages toujours aventureux, mais qui sont cependant devenus de nos jours un passe-temps pour les désoeuvrés. (…) »

Chapitre premier : «Sur la découverte des ballons» de «Sur les voyages aéronautiques exécutés dans l'intérêt de l'avancement des sciences», dans Oeuvres complètes de François Arago. Tome 9, Instructions, rapports et notices sur les questions à résoudre pendant les voyages scientifiques. Publiées d'après son ordre sous la direction de M. J.-A. Barral. Paris, Gide, J. Baudry; Leipzig, T. O. Weigel, 1856, p. 489-493

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