Arme chimique

Définition adoptée par la Convention sur les armes chimiques : "On entend par 'armes chimiques' les éléments ci-après, pris ensemble ou séparément : a) les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l'exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en jeu sont compatibles avec de telles fins; b) les munitions et dispositifs spécifiquement conçus pour provoquer la mort ou d'autres dommages par l'action toxique des produits chimiques toxiques définis par l'alinéa a), qui seraient libérés du fait de l'emploi de ces munitions et dispositifs; c) tout matériel spécifiquement conçu pour être utilisé en liaison directe avec l'emploi des munitions et des dispositifs définis à l'alinéa b) (source : Convention sur les armes chimiques, article II (I))

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Les armes chimiques : que sont-elles?

"Les agents chimiques : Il existe à l'heure actuelle une variété d'armes chimiques, qui peuvent généralement être classées dans les catégories suivantes : les agents vésicants, les agents asphyxiants, les agents neurotoxiques, les toxiques sanguins, les agents incapacitants et les agents de lutte antiémeute.
    Les agents vésicants
    Ces agents, libérés sous forme de liquide visqueux, causent la formation de larges cloques au contact avec la peau. En cas d'inhalation, ils peuvent produire une irritation sévère de la gorge et des poumons. S'ils peuvent être fatals en larges doses, ces gaz servent la plupart du temps à scarifier et à incapaciter les victimes. La moutarde au soufre, la moutarde à l'azote, l'oxime de phosgène et la lewisite sont des agents vésicants.

    Les agents asphyxiants.
    Les agents asphyxiants peuvent être libérés sous forme gazeuse ou liquide; ils causent l'oedème pulmonaire, qui asphyxie la victime. Le phosgène, le diphosgène, le chlore et la chloropicrine sont des agents asphyxiants.

    Les agents neurotoxiques.
    Entreposés sous forme liquide, ces agents peuvent être libérés à partir d'une munition (nuage de vapeur ou pulvérisation). Ils peuvent être dispersés par des moyens thermiques, explosifs ou mécaniques et être absorbés par inhalation ou par voie cutanée. Une fois dans l'organisme, une particule suffit pour inhiber l'activité neurale. Symptômes : transpiration, bronches qui se compriment et se remplissent de mucus, vision embrouillée, vomissements, convulsions, paralysie et mort presque assurée. Le tabun, le sarin, le soman, le GF et le VX sont des agents neurotoxiques.

    Les toxiques sanguins.
    Agissant sous forme gazeuse, ces agents s'infiltrent dans le réseau sanguin, où ils attaquent le système nerveux central ou sa capacité d'utiliser l'oxygène. Le cyanure d'hydrogène, le chlorure de cyanogène et l'oxyde de carbone sont des toxiques sanguins.

    Les agents incapacitants.
    Conçus pour provoquer une confusion physique ou mentale (généralement des hallucuniations ou du délire), ces armes ont sur la victime un effet incapacitant qui peut durer des heures ou des jours. Les personnes affectées peuvent normalement récupérer sans assistance médicale. Le BZ est un agent incapacitant.

    Les agents de lutte antiémeute.
    Bien que ces agents irritent les yeux des victimes et provoquent des vomissements, ils ne sont pas généralement classés comme des agents chimiques. Le CS et le CN sont des gaz lacrymogènes courants, alors que l'adamsite (DM) fait vomir.
Vecteurs et moyens de dissémination :

Les armes chimiques peuvent être disséminées de différentes façons (pulvérisateurs, bombes aériennes, mines, obus d'artillerie, fusées, etc.). Certains gaz neurotoxiques sont répandus au moyen d'armes binaires, où deux substances inoffensives sont placées dans un vecteur - un obus d'artillerie, par exemple. Le choc résultant du tir de la munition brise le sceau séparant les deux substances; celles-ci se mélangent alors pour former le produit chimique voulu. Dans le cas des agents de lutte antiémeute, on peut aussi se servir d'appareils portatifs ou de petites dimensions."

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Bref historique des armes chimiques

"L'usage de poisons qui pourraient être considérés comme des armes chimiques (AC) remonte à l'antiquité. Pendant la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.), par exemple, les Spartiates ont utilisé des vapeurs d'arsenic. Un millénaire plus tard, au siège Constantinople (en 637), les Grecs de l'Empire byzantin se sont servis du 'feu grec' - un mélange de pétrole, de soufre bitumineux et de résines. Par ailleurs, la première utilisation des AC dans les temps modernes a eu lieu durant la Première Guerre mondiale. Lors de la deuxième bataille d'Ypres, en avril 1915, l'armée allemande a déversé des centaines de tonnes de chlore. Le nuage de gaz a fait des milliers de victimes dans les rangs des Alliés, dont près de 7 000 soldats canadiens (1 000 tués et 5 975 blessés).


Soldat canadien laissant voir des brûlures causées par le gaz moutarde. Photo prise en France lors de la Première Guerre mondiale (ca 1916-1918)
Crédit : Archives nationales du Canada / C-080027


Pendant toute la guerre, les Alliés et les Puissances centrales ont mis au point des agents chimiques toxiques pouvant être employés sur les champs de bataille et des vecteurs efficaces. Ils ont également adapté leurs stratégies pour tenir compte de la nouvelle réalité de la guerre chimique. Dès 1917, la tactique consistant à utiliser un nuage de gaz était devenue obsolète à cause de la fabrication de munitions d'artillerie pouvant libérer des agents chimiques et d'autres vecteurs (comme le projecteur Livens, un gros mortier destiné à répandre de grandes quantités d'agent chimique employé pour la guerre), et de l'utilisation de nouveaux agents persistants, comme le gaz moutarde. En 1918, les champs de bataille de la Première Guerre mondiale étaient saturés de divers produits chimiques persistants et non persistants qui ont fait des victimes parmi les soldats et accru le danger ainsi que la difficulté des opérations militaires. À la fin de la Première Guerre mondiale, environ 125 000 tonnes de produits chimiques toxiques avaient été utilisés, faisant plus de 1,3 million de victimes, dont plus de 100 000 morts. Aujourd'hui encore, des munitions de combat pouvant libérer des produits chimiques demeurent enfouies sous les champs de bataille de l'Europe depuis la Première Guerre mondiale.

Même si les séquelles de l'emploi de gaz durant la guerre - les images de longues files de soldats blessés et aveugles attendant de recevoir des soins - ont créé dans le grand public une haine viscérale pour les armes chimiques, la mise au point et l'utilisation d'AC se sont poursuivies pendant tout le vingtième siècle. Les troupes italiennes ont employé des armes chimiques lorsqu'elles ont envahi l'Éthiopie (1935-1936), et le Japon s'est servi d'AC pendant sa guerre contre la Chine (1937-1945). Durant la Seconde Guerre mondiale, tant les Alliés (notamment le Canada) que les puissances de l'Axe ont constitué des stocks importants d'armes chimiques. Bien que l'absence de vecteurs efficaces à grande échelle ait joué un rôle dans la décision des deux camps de ne pas y recourir, la crainte de représailles a été un autre facteur majeur de dissuasion. L'Égypte a utilisé des armes chimiques au Yémen du Nord (1963-1967), et tant l'Iraq que l'Iran en ont employé pendant la guerre du Golfe (1983-1988). Malgré la conclusion et l'entrée en vigueur de la Convention sur les armes chimiques (CAC), plusieurs États continuent de réaliser des programmes de mise au point d'AC à des fins offensives et (ou) de conserver des stocks d'armes chimiques."

Source : Les armes chimiques et la Convention sur les armes chimiques (Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, Direction du contrôle des armements, du désarmement et de la non-prolifération)
Reproduction pour utilisation publique non commerciale autorisée par le MAECI

Enjeux

"Le terrorisme chimique :

Le 20 mars 1995, des membres de la secte Aum Shinrikyo ont commis un attentat terroriste dans le métro de Tokyo, faisant 12 morts et plus de 5 000 blessés. Dernièrement, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ainsi que la campagne de bioterrorisme menée dans la foulée des attentats aux États-Unis ont sensibilisé et inquiété davantage la population en la confrontant aux dangers du terrorisme chimique, biologique, radiologique et nucléaire (TCBRN). Le gouvernement du Canada s'est engagé résolument dans la lutte contre le terrorisme. Il croit que les actes récents de terrorisme font ressortir que les États doivent non seulement renforcer leur capacité de riposter aux attentats de TCBRN, mais aussi consolider les systèmes internationaux fondés sur des règles pour assurer la sécurité et empêcher, d'abord et avant tout, la mise au point de telles armes. Dans le contexte du terrorisme ou le cadre plus large du contrôle des armements, il est impossible d'utiliser des armes chimiques si elles n'existent pas. Le meilleur moyen d'empêcher leur emploi consiste donc à interdire leur fabrication et à détruire les stocks existants de ces armes. À cet égard, il importera de continuer à exercer des pressions pour mettre en oeuvre la Convention sur les armes chimiques, qui oblige les États parties à empêcher leurs ressortissants ou les personnes se trouvant sur leur territoire à se livrer à des activités interdites. Pour combattre le terrorisme chimique, il est également essentiel de prendre des mesures nationales (comme les contrôles à l'exportation et à l'importation, l'octroi de licences, les inspections nationales, la vérification et le maintien de l'ordre) et d'avoir recours à la coopération multilatérale (notamment au sein du Groupe de l'Australie).

Les premiers efforts de contrôle des armements

Les premières tentatives en vue de la prohibition de l'emploi des armes chimiques ont été faites dans le cadre de l'Accord de Strasbourg (1675), un accord bilatéral franco-allemand qui interdisait l'utilisation de balles empoisonnées. La Déclaration de Bruxelles (1874) a été le premier accord multilatéral à cibler les armes chimiques. La Déclaration de La Haye de 1899 concernant les gaz asphyxiants (découlant de la Conférence de paix de La Haye cette année-là) avait interdit « l'emploi de projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ». Une deuxième conférence, en 1907, également tenue à La Haye était même allée plus loin, l'article 23 du règlement concernant les lois et coutumes de guerre sur terre, annexé à la convention IV, interdisant d'employer des armes empoisonnées. Toutefois, plusieurs participants étaient d'avis que cette interdiction ne s'étendait pas aux armes utilisant des gaz puisque cette question était visée par la Déclaration de La Haye. En 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Alliés et les Puissances centrales ont signé le Traité de Versailles. Il y était stipulé à l'article 171 que « l'emploi des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous les liquides, matières ou procédés analogues étaient prohibés, la fabrication et l'importation en sont rigoureusement interdites en Allemagne » et qu' « il en est de même du matériel spécialement destiné à la fabrication, à la conservation ou à l'usage desdits produits ou procédés ». Même si le gouvernement des États-Unis n'avait pas ratifié le Traité, l'opinion publique américaine a commencé à exercer des pressions pour que des mesures plus globales soient prises en vue de contrôler le recours à ces armes. Finalement, en février 1922, les États-Unis, l'Empire britannique, la France, l'Italie et le Japon ont signé le Traité relatif à l'emploi des sous-marins et des gaz asphyxiants en temps de guerre (le Traité de Wahington) et se sont engagés, par son article V, à ne pas recourir aux armes chimiques.

Le Protocole de Genève

Consciente de la très vive réaction que les horreurs de la Première Guerre mondiale avaient suscitée dans le public, la Société des Nations a entrepris une nouvelle négociation sur la question de la guerre chimique en 1924. En juin 1925, les participants ont approuvé le Protocole de Genève, qui interdit le recours aux armes chimiques et bactériologiques (sans toutefois prohiber leur mise au point ni leur possession) et a joué un rôle crucial dans le développement de la norme internationale faisant des armes chimiques un instrument de guerre inacceptable. Quarante et un États ont alors signé le Protocole, et la plupart d'entre eux l'ont ratifié. (Aujourd'hui, 133 États sont parties au Protocole de Genève.) Mais plusieurs des signataires - dont le Canada - ont exprimé une réserve, déclarant que les dispositions du document n'interdisaient que l'emploi en premier de telles armes, et soutenant que les États seraient justifiés d'y recourir en riposte. (Le gouvernement du Canada a retiré cette réserve du Protocole en octobre 1999.) L'efficacité du Protocole était en outre entravée par l'absence de mécanismes de sanction, de vérification ou d'exécution. Ce qui allait se révéler une source de frustrations pour les partisans du contrôle des armes chimiques durant la période précédant la Seconde Guerre mondiale et en amener beaucoup à prétendre que l'autorité réelle du Protocole était davantage morale que juridique.

La Convention sur les armes chimiques (CAC)

Après la Seconde Guerre mondiale, la question du contrôle des armes chimiques a été de plus en plus intégrée au programme concernant les « armes de destruction massive », aux côtés des armes nucléaires et biologiques. En septembre 1961, dans une déclaration de principes convenus, les gouvernements américain et soviétique ont indiqué clairement qu'ils considéreraient le désarmement chimique de pair avec le désarmement nucléaire et biologique, par le biais d'un processus séquentiel et vérifiable mutuellement convenu sous l'égide d'une « organisation du désarmement international ». La Conférence onusienne de dix-huit nations sur le désarmement est devenue par la suite l'instance où débattre de ces questions : elle a été intégrée en 1969 au Comité du désarmement, qui allait devenir la Conférence sur le désarmement (CD) en 1979. Toutefois, tant le Pacte de Varsovie que l'OTAN se sont dotés de stocks considérables d'armes chimiques durant la guerre froide, comme d'ailleurs plusieurs autres nations dans le monde. Les pourparlers à la CD ont touché le fond en 1979, lorsque le gouvernement américain a mis fin à sa participation en réaction contre ce qu'il considérait comme une absence de conformité et un désintérêt de la part des Soviétiques à l'égard des normes du désarmement chimique.

En 1984, l'administration américaine a présenté un nouveau projet de traité à la CD. Comprenant dix-huit articles, le document soulignait la nécessité de clarifier les définitions, les modalités de la vérification et du respect ainsi que les activités permises par le Traité. Le projet abordait en outre la question de la structure administrative si cruciale à l'exécution du Traité. Malgré les difficiles négociations qui allaient se poursuivre durant plusieurs années, ces concepts demeureraient au centre de ce qui allait devenir la Convention sur les armes chimiques (CAC). La CAC, qui a été ouverte à la signature en janvier 1993 et est entrée en vigueur en avril 1997, a maintenant été ratifiée par 145 États. Pour appuyer l'interdiction fondamentale de toutes les armes chimiques, la Convention prévoit des mesures de vérification complètes et détaillées - notamment des déclarations et des inspections sur place. L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), sise à La Haye, aux Pays-Bas, veille à la mise en oeuvre de la CAC à l'échelle internationale.
Avec la ratification de la CAC et l'application de ses dispositions par les signataires, la question de la destruction des armes chimiques domine aujourd'hui le débat sur le contrôle des armements chimiques. Le coût de ces activités de destruction peut être exorbitant, ce qui a d'ailleurs amené certains États à demander une assistance économique alors qu'ils cherchent à s'acquitter de leurs obligations. Le Canada a répondu à cet appel et versé plusieurs contributions - dont une de 5 millions de dollars en 2002 - pour la destruction d'armes chimiques dans la Fédération de Russie. Les problèmes de sécurité, de comptabilité-matières et de maintenance dans les sites de certains États parties viennent compliquer davantage les activités de destruction."

Source : Les armes chimiques et la Convention sur les armes chimiques (Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, Direction du contrôle des armements, du désarmement et de la non-prolifération)
Reproduction pour utilisation publique non commerciale autorisée par le MAECI

Voir aussi : Pierre Lelloche, Guy-Michel Chauveau et Aloyse Warhouver, La prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Assemblée nationale française, Commission de la Défense nationale et des Forces armées, rapport d'information no 2788, 7 décembre 2000. Voir en particulier les sections I-B et II-B : La prolifération des armes chimiques : une menace sans solutions?; La lutte contre la prolifération chimique : un dispositif technique élaboré qui doit encore faire ses preuves

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