L'espace judiciaire européen

Sénat français - Commission des Lois constitutionn
La lente émergence de l'espace judiciaire européen

Dès 1977, le Président Valéry Giscard d'Estaing avait proposé, au cours d'une réunion du Conseil européen à Bruxelles, la création d'un espace judiciaire européen. Cette idée n'avait alors pas recueilli l'assentiment de l'ensemble des chefs d'Etat et de Gouvernement des pays de la Communauté européenne.

Progressivement néanmoins, chacun a pu constater que dans un ensemble tel que l'Union européenne, caractérisé par la libre circulation des personnes, chaque Etat ne peut prétendre lutter seul contre une criminalité de plus en plus souvent transnationale ou traiter seul les questions d'asile et d'immigration. Peu à peu, la nécessité de la construction de l'espace judiciaire européen a été prise en compte, même si le bilan des réalisations demeure encore modeste.

A. Les étapes de la création de l'espace judiciaire européen

1. Le traité de Maastricht

La coopération européenne en matière de sécurité a débuté dans les années 1970, de manière informelle. En 1975, les ministres de l'intérieur des pays membres de la Communauté européenne ont créé le groupe de TREVI, appelé à réunir les responsables des polices des Etats membres.

Après la signature de l'Acte unique européen, des négociations ont été engagées entre Etats membres sur les questions de sécurité et de justice dans le cadre de la « Coopération politique européenne », cadre informel distinct du cadre institutionnel communautaire. Ces travaux ont permis la signature de conventions en matière pénale et civile, mais la plupart ne sont pas entrées en vigueur faute de ratification.

En 1985, la signature de l'Accord de Schengen entre cinq Etats membres de la Communauté européenne a permis de jeter les bases d'une coopération en matière de contrôle des frontières. De nombreux textes ont été élaborés dans ce cadre. L'acquis de Schengen a été intégré à l'acquis communautaire lors de la signature du traité d'Amsterdam.

Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, a marqué l'institutionnalisation des questions relatives à la justice et aux affaires intérieures. Le titre VI du traité sur l'Union européenne, plus communément désigné sous le nom de « troisième pilier » de l'Union européenne (les deux autres étant le pilier communautaire et la politique étrangère et de sécurité commune), était en effet consacré à ces questions.

Le traité de Maastricht a énuméré un certain nombre de questions reconnues comme d' « intérêt commun » par les Etats membres, parmi lesquelles figuraient la lutte contre la toxicomanie, la lutte contre la fraude internationale, la coopération judiciaire en matière civile, la coopération judiciaire en matière pénale, la coopération douanière et la coopération policière en vue de la prévention et de la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de drogue et d'autres formes graves de criminalité internationale.

Le traité a mis en place des procédures de décision substantiellement différentes de celles prévalant pour l'application du traité instituant la Communauté européenne. Ainsi, le principal instrument normatif du troisième pilier était la convention, dont l'entrée en vigueur était subordonnée à une ratification par l'ensemble des Etats membres.

Surtout, le traité a prévu que les actes du troisième pilier devraient être adoptés à l'unanimité au sein du Conseil de l'Union européenne.

Sur la base de ce traité, de nombreuses actions ont été entreprises sans que des progrès décisifs aient été accomplis. Plusieurs conventions ont été adoptées, par exemple sur l'extradition, le fonctionnement d'Europol, la protection des intérêts financiers des Communautés, mais la plupart ne sont toujours pas entrées en vigueur.

Des actions communes ont également été lancées. L'une d'entre elles a permis l'échange de magistrats de liaison afin d'améliorer la coopération judiciaire. Une autre a concerné la création d'un réseau judiciaire européen destiné à rendre l'entraide judiciaire bilatérale plus rapide et plus efficace.

2. Le traité d'Amsterdam

Le traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, a transféré une partie des questions relatives à la justice et aux affaires intérieures du troisième pilier au premier pilier (traité instituant la Communauté européenne). Ce transfert a concerné les politiques d'asile et d'immigration, la coopération judiciaire en matière civile et la coopération administrative.

Le traité d'Amsterdam a par ailleurs défini en termes plus larges les objectifs du troisième pilier : « Sans préjudice des compétences de la Communauté européenne, l'objectif de l'Union est d'offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice, en élaborant une action commune entre les Etats membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, en prévenant le racisme et la xénophobie et en luttant contre ces phénomènes » (article 29 du traité sur l'Union européenne).
Les objectifs de la coopération en matière pénale

Article 31 du Traité sur l'Union européenne

L'action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale vise entre autres à :

a) faciliter et accélérer la coopération entre les ministères et les autorités judiciaires ou équivalentes compétents des Etats membres pour ce qui est de la procédure et de l'exécution des décisions ;

b) faciliter l'extradition entre Etats membres ;

c) assurer, dans la mesure nécessaire à l'amélioration de cette coopération, la compatibilité des règles applicables dans les Etats membres ;

d) prévenir les conflits de compétences entre Etats membres ;

e) adopter progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue.


Le traité d'Amsterdam a par ailleurs renforcé les missions d'Europol en prévoyant qu'Europol peut appuyer la préparation et la mise en oeuvre d'actions opérationnelles menées par des équipes conjointes et coordonner des enquêtes.

Enfin, ce traité a apporté certaines simplifications au processus de décision dans le troisième pilier. Il a notamment étendu la liste des instruments normatifs susceptibles d'être utilisés en créant deux nouveaux instruments : la décision et la décision-cadre qui, contrairement à la convention, n'exigent pas d'approbation ou de ratification par les Etats membres pour entrer en vigueur. Contrairement aux directives, les décisions-cadres ne peuvent avoir d'effet direct, mais, comme les directives, elles doivent faire l'objet d'une transposition, le défaut de transposition constituant une violation du droit européen.

Le traité d'Amsterdam a en outre prévu que les conventions entreraient en vigueur après ratification par la moitié des Etats membres et non plus par tous les Etats membres. En revanche, le traité a maintenu le vote à l'unanimité au sein du Conseil de l'Union pour les matières du troisième pilier.

3. Le Conseil européen de Tampere : la consécration du principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice

Les 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen, réuni à Tampere, a, pour la première fois, consacré l'essentiel de ses travaux à la réalisation de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Au cours de cette réunion, le Conseil a notamment décidé :

- de travailler à la mise en place d'un régime d'asile européen commun devant aboutir à terme à une procédure d'asile commune et à un statut uniforme pour les personnes qui se voient accorder l'asile ;

- de rapprocher les législations nationales relatives aux conditions d'admission et de séjour des ressortissants de pays tiers et de lutter contre ceux qui se livrent à la traite des êtres humains et à l'exploitation économique des migrants ;

- de définir des normes minimales garantissant un niveau approprié d'aide juridique pour les affaires transfrontalières dans l'ensemble de l'Union ;

- d'établir des normes minimales communes pour simplifier le règlement de certains litiges transfrontaliers ou protéger les victimes de la criminalité ;

- de renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, le principe de reconnaissance mutuelle devant « devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union ».

En matière de lutte contre la criminalité, le Conseil européen a souhaité une intensification de la coopération dans ce domaine, marquée jusqu'alors pour l'essentiel par la création d'Europol, demandant en particulier la mise en place sans délai des équipes communes d'enquête prévues par le traité sur l'Union européenne, notamment pour lutter contre le trafic de drogue, la traite des êtres humains et le terrorisme. Il a également demandé la création d'une académie européenne de police.

Enfin, le Conseil européen a décidé la création d'Eurojust, unité chargée de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée. Par la suite, Eurojust a fait l'objet d'une inscription dans le traité sur l'Union européenne lors de la signature du traité de Nice.

Le 22 décembre 2000, le Conseil de l'Union européenne a adopté un programme de vingt-quatre mesures destinées à mettre en pratique en matière pénale le principe de reconnaissance mutuelle.

Après les attentats terroristes perpétrés aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, de multiples initiatives ont été prises au sein de l'Union européenne pour accélérer la construction de l'espace judiciaire européen. Le 21 septembre 2001, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont adopté un plan d'action prévoyant notamment de renforcer la coopération judiciaire et policière, notamment en instaurant un mandat d'arrêt européen et en adoptant une définition commune du terrorisme.

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