Dialogue entre Solon et Anacharsis sur les vertus du sport

Lucien
ANACHARSIS OU LES GYMNASES 1.

§1. ANACHARSIS. — Pourquoi, Solon, vos jeunes gens agissent-ils de la sorte? Les uns, étroitement embrassés, se donnent un croc-en-jambe; d'autres se serrent avec force et se ploient comme de l'osier; d'autres enfin se roulent dans la boue et s'y vautrent comme des pourceaux. D'abord, ils ont commencé sous mes yeux à quitter leurs vêtements, à s'oindre d'huile, et à se frotter réciproquement d'un air fort calme; mais bientôt pris de je ne sais quelle idée, ils se sont rués les uns sur les autres, tête baissée et en se frappant le front comme des béliers. Voici que l'un enlève son adversaire par les jambes, le jette à terre, se précipite sur lui, l'empêche de se relever et le pousse dans la boue, lui presse le ventre avec ses jambes, lui applique le coude sur le gosier, et étouffe déjà le malheureux, qui, lui frappant sur l'épaule, le prie avec instance, je crois, de ne pas l'étrangler tout à fait. Comme l'huile dont ils se sont frottés ne les empêche pas de se salir, et qu'ils ont bientôt fait disparaître cette sorte d'enduit pour se couvrir de boue et ruisseler de sueur, ils me font bien rire, quand je les vois glisser des mains comme des anguilles.

§2. D'autres, dans la partie découverte de la cour, se livrent au même exercice; seulement, ceux-ci ne se plongent pas dans la boue, ils ont une fosse remplie de sable, qu'ils se répandent à pleines mains les uns sur les autres, en grattant la poussière comme des coqs, sans doute afin de pouvoir échapper moins facilement quand ils se serrent, parce que le saule empêche le corps de glisser et offre, à sec, une prise plus assurée.

§3. Quelques-uns debout, tout poudreux, se jettent les uns sur les autres et se frappent à coups de poing et à coups de pied. En voici un qui semble être sur le point de cracher ses dents, le malheureux! tant sa bouche est pleine de sang et de sable: il a reçu, tu vois, un coup sur la mâchoire: l'archonte, je suppose que c'est un archonte, à cause de sa robe de pourpre, loin de les séparer, ne met pas fin au combat.

§4. Au contraire, i1 les excite et donne des éloges à celui qui a frappé. Ailleurs, j'en vois d'autres, qui s'agitent avec violence; ils sautent comme s'ils couraient, et restent cependant à la même place: ils s'élancent et donnent des coups de pied en l'air.

§5. Je voudrais savoir quel bien résulte de tout cela: il me semble qu'une telle conduite tient un peu de la folie, et l'on me persuadera difficilement que ceux qui agissent ainsi ne sont pas extravagants.

§6. SOLON. — Je ne suis pas surpris, Anacharsis, que ce que tu vois faire ici te paraisse bizarre; c'est pour toi une coutume étrangère et bien éloignée des mœurs de la Scythie. Votre éducation et vos exercices paraîtraient de même fort extraordinaires à nous autres Grecs, si l'un de nous en était témoin, comme tu l'es aujourd'hui des nôtres. Rassure-toi cependant, mon cher ami: ce n'est ni par folie, ni pour se venger d'une injure que nos jeunes gens se frappent, se roulent dans la boue ou s'aspergent de poussière: cet exercice présente une utilité qui n'exclut pas le plaisir, et procure au corps une vigueur singulière. Si tu séjournes quelque temps en Grèce, comme je l'espère; tu ne tarderas pas à être toi-même un de ceux qu'on jette dans la boue ou dans le sable: la chose te semblera tout à la fois agréable et utile.

ANACHARSIS. — Fi donc, Solon! gardez pour vous cette utilité et cet agrément. Si quelqu'un de vous me faisait une chose pareille, il sentirait que ce n'est pas pour rien que nous sommes armés d'un cimeterre. Cependant, dis-moi quel nom vous donnez à ce qui se fait ici; comment appellerons-nous les mouvements de ces jeunes gens?

§7. SOLON. — Ce lieu même, Anacharsis, nous le nommons un gymnase, il est consacré à Apollon Lycien 2. Tu vois la statue de ce dieu, appuyé sur une colonne et tenant un arc dans sa main gauche: son bras droit est replié sur sa tête, comme pour montrer qu'il se repose d'une longue fatigue.

§8. Quant aux différents exercices, celui pour lequel on s'enduit de boue, se nomme la lutte 3; cependant ceux qui se couvrent de poussière se nomment aussi lutteurs. Nous nommons pancrace le combat où l'on se tient debout en se frappant l'un l'autre. Nous avons encore d'autres exercices du même genre, le pugilat, le disque , le saut. Il y a des concours pour tous ces exercices, le vainqueur est considéré comme au-dessus de tous ses concitoyens, et remporte des prix.

ANACHARSIS. — Et quels sont ces prix?

§9. SOLON. — À Olympie, c'est une couronne d'olivier sauvage; à l'Isthme, une couronne de pin; elle est faite d'ache à Némée: à Pytho 4, on donne des fruits cueillis aux arbres consacrés à Apollon, et chez nous, aux Panathénées, des olives provenant des oliviers de Minerve. Pourquoi ris-tu, Anacharsis? Est-ce que ces prix te paraissent de peu de valeur?

ANACHARSIS. — Non pas, Solon; je les trouve magnifiques: tu m'as fait l'énumération de récompenses qui prouvent une lutte de libéralité entre les fondateurs, et dont la conquête mérite les efforts surhumains des athlètes. Il est tout naturel que, pour des fruits et de l'ache, ils se donnent toute cette peine et courent le risque de se faire étrangler ou estropier les uns par les autres. Comme s'il n'était pas facile de se procurer du fruit, quand bon leur semble, et de se couronner d'ache et de pin, sans se barbouiller la figure et sans se faire donner des coups de pied dans le ventre par leurs adversaires!

§10. SOLON. — Mais, mon cher, ce ne sont pas ces faibles présents que nous considérons: ils ne sont que les indices; les signes extérieurs de la victoire; la gloire, qui en est la conséquence, est d'un prix inestimable pour les vainqueurs: c'est pour elle qu'on trouve beau même de recevoir des coups de pied, quand on poursuit par ses travaux une bonne renommée; car on ne peut l'obtenir sans peine. Il faut que celui qui la désire endure, dès le commencement, des fatigues sans nombre, afin de voir ses travaux couronnés par une fin tout à la fois utile et agréable.

ANACHARSIS. — Par cette fin utile et agréable, tu veux dire, Solon, que tout le monde doit couronner, et que chacun s'empresse de louer ceux dont on avait pitié, quelques instants auparavant, à cause des coups qu'ils recevaient. Les voilà bien heureux d'avoir, en échange de leur mal, des fruits et de l'ache!

SOLON. — Tu ne connais pas encore nos usages, te dis-je; mais, avant peu, tu changeras de manière de voir, quand tu auras assisté à nos assemblées solennelles, quand tu auras vu un peuple immense accourir de toutes parts pour être témoin de ces jeux, les amphithéâtres pleins de milliers de spectateurs, les jouteurs comblés d'éloges et le vainqueur honoré à l'égal des dieux.

§11. ANACHARSIS. — Et voilà justement, Solon, ce qu'il y a de plus déplorable: ce n'est plus sous les yeux de quelques témoins qu'ils endurent ces traitements; c'est à la vue d'une foule de spectateurs qui assistent à leurs outrages, et qui doivent les estimer bien heureux quand ils les voient tout dégouttants de sang ou étouffés par leurs adversaires; car c'est tout le bonheur de leur victoire. Chez nous autres Scythes, Solon, si quelqu'un frappait un citoyen, on le jetterait par terre en s'élançant sur lui; s'il lui déchirait ses vêtements, les vieillards lui infligeraient un châtiment des plus rigoureux, sa violence n'eût-elle éclaté que devant un petit nombre de témoins, loin de se produire au milieu d'une affluence du genre de celles que tu nous montres à l'Isthme ou à Olympie. Quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher de plaindre les lutteurs, lorsque je vois ce qu'ils ont à souffrir. Quant aux spectateurs, qui, dis-tu, accourent des meilleurs rangs de la société pour assister à ces spectacles, je m'étonne. fort qu'ils abandonnent des affaires importantes pour venir s'y divertir, et je ne puis nullement comprendre quel plaisir ils trouvent à voir des hommes se battre, se rouer de coups, se jeter contre terre et se meurtrir les uns les autres.

§12. SOLON. — Si nous étions, Anacharsis, à l'époque des jeux olympiques, des jeux isthmiques ou des Panathénées, tu apprendrais, en voyant ce qui s'y passe, que nous n'avons pas tort de montrer tant d'ardeur pour ces spectacles. Je ne puis, en effet, par la parole, te donner une idée du plaisir que tu aurais, assis au milieu des spectateurs, à voir la bravoure des athlètes la beauté de leur corps, leurs poses admirables, leur souplesse merveilleuse, leur force infatigable, leur audace, leur émulation leur courage invincible, leurs efforts incessants pour la victoire? Je suis bien persuadé que tu ne cesserais de les combler de louanges, de te récrier, d'applaudir.

§13. ANACHARSIS. — Non pas, ma foi, Solon, mais d'en rire, et, qui plus est, de m'en moquer. En effet, tout ce que tu viens d'énumérer, cette bravoure, ces poses, cette beauté, cette audace, sont, je le vois bien, perdues pour vous, qui les employez à peu de chose, sans que la patrie soit en danger ou le pays ravagé, que vos amis ou vos parents aient reçu quelque insulte. Ces jeunes gens ne sont-ils pas d'autant plus ridicules, si, avec les qualités éminentes que tu leur prêtes, ils souffrent tant de maux en pure perte et déshonorent leur beauté et leur force en les couvrant de poussière et de meurtrissures, le tout pour se voir maîtres d'un fruit ou d'une branche d'olivier après leur victoire, car j'aime à me rappeler sans cesse des prix aussi splendides. Mais, dis-moi, tous les combattants les remportent-ils?

SOLON. — Non, vraiment; il n'y en a qu'un seul entre tous, le vainqueur.

ANACHARSIS. — Comment, Solon, c'est pour une victoire incertaine et douteuse, qu'un si grand nombre d'hommes se donnent tant de peines, et cela, quand ils savent qu'il n'y aura définitivement qu'un seul vainqueur, avec une foule de vaincus qui auront reçu pour rien, les malheureux, les coups et les blessures

§14. SOLON. — Il semble, Anacharsis, que tu n'aies jamais réfléchi sur les moyens de bien gouverner un État; sans quoi tu ne blâmerais pas un de nos plus beaux usages. Si tu es curieux de savoir un jour ce qui peut donner à un État la constitution la plus parfaite et rendre les citoyens aussi bons que possible, tu approuveras alors ces exercices et l'ardeur avec laquelle nous les cultivons; tu reconnaîtras l'utilité mêlée à ces laborieuses épreuves, qui te paraissent aujourd'hui tout à fait stériles.

ANACHARSIS. — Eh mais! Solon, je ne suis pas venu de la Scythie chez vous, je n'ai pas traversé tant de contrées, passé l'Euxin si vaste et si orageux, pour un autre dessein que d'apprendre les lois de la Grèce, observer vos usages, et étudier la meilleure forme de gouvernement. C'est pour cela que, parmi tant d'Athéniens, je t'ai choisi pour mon ami et pour mon hôte, sur le bruit que tu avais établi certaines lois, introduit d'excellents usages, fondé d'utiles institutions, organisé, enfin, un bon gouvernement. Instruis-moi donc dès à présent, prends-moi pour élève, et désormais, assis à tes côte, je me passerai volontiers de manger et de boire, tant que, de ton côté, tu pourras parler, et que moi, la bouche béante, je t'entendrai discourir sur le gouvernement et sur les lois.

§15. SOLON. — Il n'est pas facile, mon ami, de parcourir tous ces objets en si peu de temps. Si tu veux connaître chacun d'eux en particulier, je t'instruirai de nos dispositions relatives aux dieux, aux parents, aux mariages et à tout le reste. Quart à notre façon de penser au sujet des jeunes gens et à l'éducation que nous leur imposons aussitôt qu'ils sont en âge de distinguer le bien du mal, de donner à leur corps une trempe virile et de supporter les travaux, je vais te l'exposer, afin que tu saches dans quel dessein nous avons institué ces exercices et soumis de bonne heure leur corps à la fatigue, non seulement en vue des jeux publics et des prix qu'ils y peuvent recevoir, puisqu'un très petit nombre y arrivent; mais afin de te faire voir le bien qui en résulte pour la cité tout entière et pour eux-mêmes. Il est, en effet, un autre combat proposé à tous les citoyens vertueux: la couronne n'en est pas de pin, d'ache ou d'olivier sauvage; mais elle renferme en elle-même la félicité publique: c'est la liberté de chaque citoyen en particulier et de la patrie en général; la richesse, la gloire, la célébration paisible des solennités établies s par nos ancêtres, la conservation de nos biens, en un mot, les faveurs les plus brillantes que l'on puisse souhaiter des dieux tous ces biens sont tressés dans la couronne dont je parle, et ne peuvent s'acquérir que par le combat auquel ces exercices préparent.

§16. ANACHARSIS. — Comment donc, homme étonnant que tu es, tu avais à me parler de récompenses aussi considérables, et tu ne me citais que des fruits, de l'ache, une branche d'olivier sauvage ou de pin?

SOLON. — Sans doute, Anacharsis, ces prix ne te paraissent plus aussi mesquins, depuis que tu en connais l'objet. Tu vois qu'ils sont le fruit d'un même esprit de sagesse, qu'ils font partie intégrante de ce grand combat, de cette couronne de félicité dont je parlais tout à l'heure. Notre entretien, je ne sais comment avait quitté la ligne que je voulais lui faire suivre, et je t'ai cité d'abord ce qui se fait à l'Isthme, à Olympie, à Némée. Mais, puisque nous sommes de loisir et que tu témoignes le désir d'être au courant de tous nos exercices, nous pouvons facilement remonter à leur origine et à ce combat commun, auquel je prétends que ceux-ci ne sont qu'une préparation.

ANACHARSIS. — Cela vaudra mieux, Solon. En suivant cette voie, notre entretien procédera plus sûrement, et j'arriverai peut-être plus vite à la conviction que je ne dois pas rire quand je vois l'importance qu'on attache à une couronne d'ache ou d'olivier. Cependant, si tu le veux bien, allons nous asseoir sur les siéger abrités par cet ombrage; nous y serons moins interrompus par les acclamations dont on encourage les lutteurs. D'ailleurs, il faut en convenir, je ne supporte pas facilement le soleil, qui tombe vif et brûlant sur ma tête nue; car j'ai quitté mon bonnet national 5, pour ne pas paraître seul au milieu des Grecs, avec un costume étranger. Nous sommes dans la saison de l'année où domine l'astre le plus ardent, celui que vous appelez le Chien: il met tout en feu; il dessèche et embrase l'air. Le soleil, à son midi, frappe d'aplomb sur nos têtes, et produit une chaleur insupportable au corps. Je suis même étonné qu'un homme déjà avancé en âge comme toi ne sue pas ainsi que moi sous cette chaleur accablante. Tu n'en parais nullement incommodé; tu ne cherches pas un ombrage où tu t'abrites et supportes mieux les rayons du soleil.

SOLON. Ce sont, Anacharsis, ces travaux que tu dis inutiles, ces culbutes fréquentes dans la boue, ces fatigues en plein air et dans la salle qui nous servent de rempart contre les traits du soleil: voilà pourquoi nous n'avons pas besoin d'un bonnet pour les empêcher de se darder sur nos têtes. Mais allons nous asseoir.

§17. Avant tout, garde-toi d'écouter tout ce que je vais te dire avec le respect dû aux lois: n'aie point dans mes discours une foi sans bornes; au contraire, si mes principes ne te paraissent pas justes, contredis-les aussitôt et soumets-les à une critique sévère. Par là, nous ne pouvons manquer d'obtenir deux avantages: ou tu seras plus fortement convaincu quand tu auras donné un libre cours à tes objections, ou tu redresseras la fausseté des idées que j'avais sur ces objets, et, dans ce cas, Athènes entière te témoignera la plus vive reconnaissance; car, plus tu m'instruiras et plus tu réformeras mes opinions, plus tu rendras service à notre cité. Loin de le cacher, je serai le premier à publier ce bienfait. Je me rendrai aussitôt dans le Pnyx, et je dirai au peuple assemblé: «Citoyens d'Athènes, c'est moi qui vous ai donné les lois que j'ai crues les plus conformes à l'utilité de la république. Cet étranger que vous voyez (et je te montrerai, Anacharsis) est un Scythe, mais c'est un sage: il a modifié mes opinions; il m'a enseigné à connaître des principes et des institutions bien préférables. Inscrivez-le donc au rang de vos bienfaiteurs, et élevez-lui une statue d'airain à côté des fondateurs de cette ville et de Minerve même.» Sois sûr, Anacharsis, qu'Athènes ne rougirait pas d'apprendre d'un étranger, d'un barbare, ce qui peut servir ses intérêts.

§18. ANACHARSIS. — Voilà bien ce qu'on m'avait dit de vous autres Athéniens, que toujours, dans vos discours, perçait une pointe d'ironie. Comment pourrait-il se faire que moi, un pâtre, un nomade, qui n'ai jamais vécu que sur un chariot, toujours errant de contrée en contrée, qui n'ai jamais habité de ville, qui n'en ai pas vu d'autre avant celle-ci, je vinsse raisonner sur le gouvernement, donner des leçons à un peuple autochtone, qui vit depuis longues années dans une des cités les plus anciennes et sous l'empire des meilleures lois? Qu'aurais-je surtout à apprendre à toi, Solon, qui possèdes, dit-on, depuis ton enfance, ce grand art de bien gouverner un État et de lui donner des lois qui assurent sa prospérité? Quoi que tu dises, il faut absolument que j'aie en toi la confiance due à un législateur. Néanmoins, je te proposerai mes objections quand tes discours ne me paraîtront pas justes, afin de m'instruire plus solidement. Mais nous voici à l'abri du soleil, sous un ombrage épais, et nous avons de quoi nous asseoir agréablement et à notre aise sur cette pierre pleine de fraîcheur. Reprends donc ton discours du plus haut que tu pourras; dis-moi pourquoi vous exercez les jeunes gens aux travaux dès l'enfance; comment, en se roulant dans la boue, ils deviendront d'excellents citoyens, et en quoi la poussière et les culbutes les conduisent à la vertu. Voilà ce que, pour le moment, je serais curieux d'apprendre. Pour le reste, tu m'en instruiras ensuite, au fur et à mesure que chaque objet se présentera. Seulement, en me parlant, Solon, n'oublie pas que tu t'adresses à un barbare. Je te dis cela pour que tu ne sois ni compliqué ni long dans tes discours. Je craindrais que les premiers ne m'eussent échappé quand tu passerais aux seconds.

§19. SOLON. — C'est à toi, Anacharsis, de régler notre conversation. Dès qu'elle ne te paraîtra pas bien nette ou que tu la verras s'égarer dans les digressions, tu me couperas la parole où tu voudras, en me faisant une question qui en abrégera l'étendue. Si cependant ces digressions ne sont pas étrangères à notre propos, si elles ne s'écartent pas de notre but, rien n'empêchera, je crois, de leur donner quelque développement. Telle est, de temps immémorial, la coutume observée chez nous dans le conseil de l'Aréopage quand on y juge une affaire criminelle 6. Lorsqu'il vient s'asseoir sur la colline pour prononcer sur un meurtre, des blessures faites avec préméditation, ou un incendie, la parole est accordée à chacune des deux parties qui comparaissent. Le demandeur et le défendeur parlent chacun à leur tour, soit par eux-mêmes, soit par ministère d'avocats qui prennent la parole à leur place. Tant que les orateurs se renferment dans la cause, le conseil les écoute avec patience et tranquillité; mais s'ils veulent faire précéder leur discours d'un exorde, afin de se concilier la bienveillance des juges; s'ils cherchent à exciter la pitié ou l'indignation par des moyens étrangers à l'affaire, par quelqu'une de ces machines oratoires que nous voyons employer pour séduire les magistrats, un héraut s'avance aussitôt, leur impose silence et ne les laisse pas divaguer devant le conseil ni recouvrir l'affaire d'une couche de mots; il faut que l'Aréopage voie les faits dans toute leur nudité. Eh bien! Anacharsis, je te fais en ce moment sénateur de l'Aréopage; écoute-moi comme le conseil écoute les orateurs; impose-moi silence, si tu me vois faire de la rhétorique; mais tant que je resterai dans les bornes du sujet, permets-moi les développements. Nous ne serons plus au soleil, position désagréable quand la conversation devient trop longue; ici, l'ombre est épaisse, et nous sommes de loisir.

ANACHARSIS. — Tu as raison, Solon, et déjà je te sais un gré infini de m'avoir appris, en passant, ce qui se pratique à l'Aréopage. C'est une chose vraiment admirable et digne des hommes qui y siègent: on est sûr que la vérité seule dicte leurs suffrages. Parle donc à présent suivant ces conditions; et moi, nouvel aréopagiste, car tu viens de m'élever à cette dignité, je t'écoute à la manière de ce conseil.

§20. SOLON. — Il faut, avant tout, que je t'expose, en quelques mots, l'idée que nous nous faisons d'une ville et de ses citoyens. Une ville n'est pas à nos yeux un assemblage d’édifices, tels que des murs, des temples, des arsenaux; toutes ces constructions forment, il est vrai, un corps solide, qui offre aux habitants une demeure sûre et permanente; mais pour nous l'élément essentiel de la cité ce sont les citoyens 7. En effet, ils la peuplent, la régissent, en dirigent les affaires, veillent à sa sûreté et sont pour elle ce qu'est l'âme pour chacun de nous. Par suite de cette manière de voir, nous prenons le soin, comme tu le vois, d'embellir le corps même de la ville et de le rendre le plus beau possible, soit en l'ornant d'édifices à l'intérieur, soit en l'entourant au dehors de remparts qui inspirent la plus grande sécurité. Mais notre principale attention est de veiller à ce que les citoyens aient une âme bien placée, avec un corps plein de vigueur, convaincus que de pareils habitants feront fleurir la cité pendant la paix, la défendront pendant la guerre, et la maintiendront heureuse et libre. La première éducation des enfants est confiée aux mères, aux nourrices, aux pédagogues, qui les nourrissent et les conduisent par des voies libérales. Dès qu'ils sont en âge de comprendre ce qui est bien, quand la pudeur, le respect, la crainte, le désir des belles actions se sont développés dans leur cœur, dès que leurs corps plus formés et plus robustes nous paraissent propres aux travaux, nous les prenons, et, après leur avoir enseigné les sciences et les exercices de l'âme, nous commençons, par une autre méthode, à les accoutumer à la fatigue. Nous ne croyons pas, en effet, qu'il suffise à l'homme de demeurer, soit pour le corps, soit pour l'âme, tel qu'il est sorti des mains de la nature; mais nous avons besoin du secours de l'éducation qui peut seule améliorer les dispositions naturelles, ou transformer en bonnes qualités les inclinations vicieuses. Nous prenons un exemple des agriculteurs: tant que la plante est délicate et sort à peine de terre, ils l'entourent et l'enveloppent pour la garantir du vent; mais dès que le scion est vigoureux, ils en élaguent les branches superflues et le livrent à l'agitation et aux secousses de l'air, pour le rendre plus fertile.

§21. Nous enflammons d'abord l'âme des jeunes gens par la musique et l'arithmétique, puis nous leur apprenons à écrire et à lire distinctement. Quand ils sont plus avancés en âge, on leur récite les maximes des anciens philosophes, les faits illustres de l'antiquité, les discours utiles, que nous ornons de la forme poétique, pour les mieux graver dans la mémoire. Au récit d'un exploit héroïque, d'une action d'éclat, leur enthousiasme s'allume; ils désirent imiter les faits qu'ils entendent, pour être chantés à leur tour et pour devenir un objet d'admiration dans la postérité. Tel est l'effet que produisent chez nous les poésies d'Hésiode et d'Homère 8. Enfin, lorsqu'ils sont près de comprendre la politique et de prendre part aux affaires.... Mais peut être tout ceci est-il étranger à la cause; je ne me proposais pas de parler des exercices de l'âme; je ne voulais que t'expliquer pourquoi nous exerçons le corps de nos jeunes gens. Je m'impose donc silence à moi-même, sans attendre l'ordre du héraut ou le tien, aréopagite, qui, par égard probablement pour moi, me laisses divaguer depuis longtemps hors du sujet.

ANACHARSIS. — Dis-moi, je te prie, Solon, quand on ne dit pas à l'Aréopage ce qui est absolument nécessaire, et qu'on le passe sous silence, y a-t-il quelque peine fixée?

SOLON. — Pourquoi me fais-tu cette question? Je n'en saisis pas bien le sens.

ANACHARSIS. — Parce que tu passes ce qu'il y a de plus intéressant, ce que j'écoutais avec le plus de plaisir, l'éducation de l'âme, pour me parler de gymnases et d'exercices fatigants, assurément moins nécessaires.

SOLON. — Je me rappelle, mon cher, les conditions établies au début de cet entretien, et je ne veux pas me permettre de digression, de peur de brouiller les faits dans ta mémoire. Cependant je vais te parler de ce sujet aussi brièvement que possible: l'examen approfondi de cette question fera l'objet d'un autre entretien.

§22. Nous formons donc l'âme de la jeunesse par l'étude des lois publiques, qui soit exposées à la vue de tout le peuple, écrites en gros caractères et qui enseignent ce que l'on doit faire et ce dont on doit s'abstenir; puis par le commerce de ces hommes vertueux, qui leur apprennent leurs devoirs, la pratique de la justice, l'égalité civile, l'éloignement du mal, le désir du bien, la fuite de toute violence. Ces hommes se nomment chez nous sophistes et philosophes. En outre, nous avons des théâtres publics où nous conduisons la jeunesse pour l'instruire au moyen des comédies et des tragédies, et, en voyant les vertus et les vices des hommes du temps passé, à éviter les uns et à imiter les autres. Nous permettons aux comédiens de railler et de bafouer les citoyens dont ils connaissent les mœurs dépravées et les actions honteuses pour la république, dans l'espoir que ces traits mordants rendront meilleurs ces hommes pervers, et que les autres se garderont bien d'encourir semblables reproches.

§23. ANACHARSIS. — J'ai vu, Solon, ces tragédiens et ces comédiens que tu dis: ce sont bien eux, je pense. Ils ont des chaussures lourdes et élevées, des vêtements à franges d'or, la tête couverte d'un casque ridicule 9, qui ouvre une bouche énorme, au travers de laquelle ils poussent de grands cris, et je ne sais pas comment ils font pour marcher si vivement avec leurs chaussures. La ville, je crois, célébrait alors une fête en l'honneur de Bacchus: Les comédiens étaient moins hauts, ils marchaient à terre et ressemblaient plus à des hommes; ils criaient aussi moins fort, mais leur casque était beaucoup plus risible, et tout le théâtre éclatait de rire en les voyant, tandis qu'on écoutait d'un air triste nos hommes à taille gigantesque; on les plaignait, je pense, de les voir traîner des entraves si gênantes.

SOLON. — Non, mon cher, ce n'étaient pas eux qu'on plaignait; mais le poète exposait sans doute aux spectateurs quelque histoire malheureuse de l'antiquité; il récitait sur le théâtre des vers dont l'expression tragique arrachait des larmes aux auditeurs, Il est probable que tu as aussi vu des joueurs de flûte et d'autres personnes qui chantaient ensemble et se tenaient en cercle. Ces chants, Anacharsis, et ces instruments ne sont pas inutiles. Tout cet appareil, tous ces accessoires sont autant d'aiguillons pour les âmes et poussent notre jeunesse au bien.

§24. Quant aux corps, ce que tu désires plus particulièrement savoir, voici comment nous les exerçons. Nous les faisons mettre à nu, comme je te l'ai dit, lorsqu'ils cessent d'être faibles et sans consistance; notre intention est de les accoutumer à l'air, de les familiariser avec toutes les saisons, de manière à n'être ni incommodés par la chaleur ni sensibles aux atteintes du froid. Nous les frottons d'huile et nous les frictionnons, afin de mieux tendre les muscles. Il serait, en effet, absurde de croire que des peaux amollies par l'huile deviennent plus difficiles à rompre et capables de résister plus longtemps, quoique déjà mortes, et qu'un corps, où circule la vie, ne retirera pas encore plus d'avantage de la même onction. Ensuite nous avons imaginé différents exercices pour chacun desquels sont établis des maîtres. A l'un ils enseignent le pugilat, à l'autre le pancrace, afin que tous s'habituent à supporter le travail, à affronter les coups d'un adversaire, à ne pas se détourner par crainte des blessures. Cette habitude produit en eux deux effets qui sont pour nous de la plus grande utilité: elle nous les rend plus intrépides dans les périls, plus prodigues de leur personne, et, d'autre part, plus vigoureux et plus patients. Ces jeunes gens qui luttent tête baissée apprennent à tomber sans danger, à se relever avec facilité, à pousser rudement un adversaire, à l'enlacer, à le faire ployer, à le serrer à la gorge, à l'enlever de terre: exercice éminemment utile, puisqu'il leur fait acquérir la première et la plus précieuse des qualités qui est d'avoir un corps endurci à la fatigue et presque insensible à la douleur. Un autre avantage, non moins important, c'est qu'ils auront beaucoup d'expérience à la guerre, s'ils se trouvent dans la nécessité de faire usage de leur science. Il est évident qu'un homme exercé de la sorte, se trouvant aux prises avec un ennemi, l'aura bientôt renversé par un croc-en-jambe, et que, s'il tombe, il saura se relever bien plus vite. Dans tout cela, en effet, Anacharsis, nous avons en vue le combat à main armée, et nous croyons que des soldats formés par ces exercices servent plus utilement leur patrie, lorsqu’après avoir assoupli et rompu leurs corps, mis à nu, nous les avons rendus plus vigoureux et plus robustes, en même temps que légers, capables d'une forte tension musculaire, et redoutables, par cela même, aux ennemis.

§25. Tu devines, je crois, quels doivent être sous les armes des guerriers qui, tout nus, peuvent inspirer la terreur à ceux qui les combattent; ils n'ont ni cet embonpoint pesant ni ce teint blafard, ni cette pâle maigreur, ordinaire aux femmes, dont le corps se flétrit à l'ombre, frissonne ou ruisselle de sueur en un instant et ne saurait respirer sous le casque, surtout lorsque le soleil à son midi, comme en ce moment, embrase tout le ciel. Que faire avec des soldats dévorés par la soif, incapables de résister à la poussière, saisis d'effroi à la vue du sang, à demi morts avant d'arriver à la portée du trait et d'en venir aux mains? Nos jeunes gens colorés et brunis par le soleil ont un air mâle et plein de vie, qui annonce l'ardeur et le courage, fruits d'une santé florissante; aucun d'eux n'est ridé, ni maigre; aucun n'est chargé d'embonpoint; ils ont tous les proportions d'un corps bien dessiné; le superflu, l'excès des chairs s'est fondu par les sueurs; ce qui entretient la vigueur et l'énergie des muscles leur demeure sans mélange d'aucune humeur vicieuse. Ce que le vanneur fait au blé, nos exercices le font au corps des jeunes gens: ils jettent au vent la paille et les barbes, dont ils séparent le froment pur qu'ils gardent en dépôt.

§26. Cette manière de vivre leur conserve nécessairement la santé et les met en état de braver les plus longues fatigues. Ils ne commenceront à suer qu'après avoir longtemps supporté le travail, et rarement on les verra malades. Si, par exemple. on met le feu à un monceau de blé entouré de sa paille et à l’état d'épi, pour en revenir à mon vanneur, la paille, je crois, brûlera en un instant; le blé, loin de jeter une grande flamme et de prendre tout d'un coup, s'allumera peu à peu et finira par se consumer lentement. De même il n'est point de maladie, il n'est point de fatigue qui, s'attaquant à des corps ainsi exercés, puisse en trouver l'endroit faible et en venir aisément à bout. L'intérieur est bien préparé, et l'extérieur est fortement muni contre de tels assauts: il ne laisse pénétrer ni le soleil ni le froid qui nuiraient au corps. Quant à l'épuisement que peuvent causer les fatigues, la chaleur intérieure, préparée de longue main et tenue comme en réserve pour les cas nécessaires, se répand à flots dans le corps, y distribue une vigueur nouvelle et les rend pour longtemps infatigables; ainsi les exercices continus, la fatigue réitérée, loin d'épuiser leurs forces, ne servent qu'à les augmenter: c'est comme un souffle vivifiant qui les répare.

§27. Nous les exerçons, en outre, à bien courir, soit en les accoutumant à fournir une longue carrière, soit en les rendant très légers et très lestes dans un espace restreint. La course n'a pas lieu sur un terrain ferme et résistant, mais dans un sable profond, où l'on ne peut marcher ni se tenir sans que le pied enfonce dans un sol qui cède. En même temps on leur apprend à franchir, au besoin, un fossé ou tout autre obstacle, et ils s'exercent à cela en tenant une masse de plomb dans chaque main. Ensuite ils se disputent l'honneur de lancer au loin un javelot. Tu as vu aussi dans le gymnase, une autre masse d'airain circulaire, semblable à un petit bouclier sans poignée et sans courroies. Tu as essayé de le soulever de la place où il est posé: il t'a paru pesant et difficile à saisir à cause de son grand poli. Nos jeunes gens, cependant, le lancent dans l'air soit en haut, soit en long, et luttent à qui l'enverra plus loin que les autres. Cet exercice leur fortifie les épaules et donne de la vigueur à leurs extrémités.

§28. La boue et la poussière, qui t'ont paru d'abord si ridicules, apprends, mon cher, pour quelle raison tu les vois ici répandues. C'est, en premier lieu, afin de rendre la chute des lutteurs moins violente et pour qu'ils tombent sans danger sur un terrain mou. Ensuite il est nécessaire que leur corps devienne plus glissant, quand la sueur s'y mêlé à la boue, ce qui t'a fait les comparer à des anguilles. Or, ce fait n'a rien d'inutile ni de ridicule, mais il contribue singulièrement à leur force et à leur vigueur, attendu qu'ils sont forcés, dans cet état, à saisir fortement leur adversaire pour l'empêcher de s'échapper; ne crois pas, en effet, que ce soit chose facile de soulever quelqu'un tout humide d'huile et de boue, ou qui fait effort pour glisser et se dérober. Ainsi que je te le disais, tous ces exercices sont utiles pour la guerre, quand il faut emporter du combat un ami blessé, ou faire perdre terre à un ennemi. Si donc nous les exerçons jusqu'à les fatiguer, en leur imposant une tâche pénible, ils exécutent ensuite bien plus facilement des choses moins difficiles.

§29. La poussière nous sert à un tout autre usage: elle empêche les combattants de s'échapper, lorsqu'ils se serrent mutuellement dans leurs bras. Après qu'ils se sont exercés, enduits de boue, à retenir un corps glissant qui fuit de leurs mains, ils s'accoutument à se soustraire à leur tour à ceux qui les ont saisis, même quand ils sont tenus de manière à ne pouvoir se sauver qu'avec peine. De plus, la poussière répandue sur leur corps en arrête la sueur trop abondante et fait durer plus longtemps les forces, en les garantissant de l'impression de l'air, fort dangereuse dans un moment où tous les pores sont ouverts et détendus; en outre, elle nettoie la crasse et rend la peau plus luisante. J'aimerais à mettre à côté l'un de l'autre quelqu'un de ces jeunes gens au teint pâle qui sont élevés à l'ombre, et tel qu'il te plairait de ceux qui sont exercés dans le Lycée, et à qui je ferais laver sa poussière et sa boue; je te demanderais ensuite auquel des deux tu voudrais ressembler. Je suis sûr qu'au premier coup d'œil, sans avoir éprouvé la force d'aucun d'eux, tu préférerais une constitution robuste, une complexion forte, à un tempérament délicat et relâché, à un teint blafard causé par la pauvreté du sang réfugié vers les parties intérieures.

§30. Tels sont, Anacharsis, les exercices auxquels nous soumettons les jeunes gens, convaincus qu'ils deviendront ainsi d'excellents défenseurs de notre cité, et que, par eux, nous vivrons indépendants, vainqueurs de nos ennemis, s'ils nous attaquent, redoutables à nos voisins, dont la plupart, soumis par la crainte, nous payeront tribut. Pendant la paix, ils se montrent plus vertueux encore; sans émulation pour les vices, éloignés de l'insolence qu'enfante l'oisiveté, ils ne songent qu'à leurs exercices et y consacrent leurs loisirs. Ce bien commun, cette suprême félicité d'un État, on peut dire qu'elle existe, quand la jeunesse, soit à la guerre, soit durant la paix, ne marque que des dispositions honnêtes et n'a de goût que pour ce qui nous semble le plus beau.

§31. ANACHARSIS. — Eh quoi! Solon, lorsque les ennemis marchent contre vous, allez-vous à leur rencontre, frottés d'huile et couverts dépoussière? Les attaquez-vous à coups de poing?

Apparemment ils ont peur de vous et prennent la fuite, pour que vous ne leur jetiez pas du sable dans la bouche; ils craignent que, sautant sur eux par derrière, vous ne leur entouriez le ventre de vos jambes, et que vous ne leur serriez la gorge en leur mettant le coude sous le casque. Mais alors, par Jupiter! ils vous décocheront des flèches, ils vous lanceront des traits. J'accorde donc que vous soyez des statues, dont ces traits ne peuvent pénétrer l'enveloppe colorée par le soleil et bien approvisionnée de sang; vous n'êtes pas, en effet, de la barbe de blé, ni de la paille, pour céder si promptement aux coups; mais vous finissez pourtant, à la longue, par recevoir de profondes blessures, et il ne vous reste bientôt plus qu'un peu de beau sang, Voilà ce que tu dis, si j'ai bien saisi le sens de tes paroles.

§32. Peut-être aussi vous armez-vous, en pareil cas, de la panoplie des comédiens et des tragédiens. Lorsque vous entrez en campagne, vous vous affublez de ces casques à bouche béante, afin de paraître plus redoutables aux ennemis, et de les effrayer par vos airs de fantômes; vous vous mettez aux pieds ces énormes chaussures, légères pour vous, si vous êtes contraints de prendre la fuite, et qui, si vous poursuivez l'ennemi, empêchent qu'il ne vous échappe, grâce à vos grandes enjambées. Prends garde que ces exercices, qui vous paraissent si beaux, ne soient que des amusements, des jeux d'enfants, des passe-temps faits pour occuper les loisirs d'une jeunesse désœuvrés. Si vous voulez réellement être libres et heureux, il vous faut établir d'autres gymnases, où l'on s'exerce vraiment au métier des armes. Ce n'est point les uns contre les autres que vous devez lutter en louant, mais allez contre les ennemis, et trempez votre valeur au milieu des dangers. Laissez là, croyez-moi, l'huile et la poussière; enseignez à vos jeunes gens à tirer l'arc, à lancer le javelot; ne leur donnez pas des traits légers, que le vent puisse emporter avec lui, mais une lance pesante, qui siffle quand on l'agite; qu'ils aient à la main une pierre qui la remplisse, une dague à deux tranchants, un bouclier carré au bras gauche, une cuirasse, un casque.

§33. Il me semble que, dans l'état où vous êtes, vous ne devez votre salut qu'à la bonté des dieux, de n'être pas tombés sous les coups d'une troupe de soldats armés à la légère. Je n'ai, par exemple, qu'à tirer cette courte épée que je porte à ma ceinture, et fondre seul sur tous vos jeunes gens; au premier cri, je suis maître du gymnase; chacun prend la fuite, sans oser regarder le fer qui brille; réfugiés autour des statues, cachés derrière les colonnes, ils me font rire la plupart avec leurs larmes et leur frayeur. Tu ne verras plus ces corps au teint vermeil, que tu as maintenant sous les yeux, mais des figures devenues toutes pâles et décomposées par la crainte. La paix profonde dont vous jouissez vous a réduits au point de ne pouvoir aisément soutenir la vue de l'aigrette d'un casque ennemi 10.

§34. SOLON. — Ce n'est pas là, cependant, Anacharsis, ce qu'ont dit les Thraces, qui, sous la conduite d'Eumolpe 11, entreprirent de nous faire la guerre, ni les femmes de votre pays 12, qui, guidées par Hippolyte, marchèrent contre notre cité, ni tous ceux enfin qui essayèrent de se mesurer contre nous. Crois-tu donc, mon cher ami, parce que nous exerçons le corps de nos jeunes gens nus, qu'on les envoie sans armes affronter les dangers? Mais aussitôt qu'ils ont acquis des forces par ces travaux, ils s'exercent ensuite les armes à la main, et ils s'en servent bien mieux après cette préparation.

ANACHARSIS. — Où donc est le gymnase dans lequel ils combattent avec des armes? Je n'en ai pas encore aperçu, quoique j'aie parcouru la ville tout entière et dans tous les sens.

SOLON. — Tu pourras en voir, Anacharsis, si tu restes quelque temps avec nous. Chacun de nous possède un grand nombre d'armes, dont nous faisons usage, quand il en est besoin, panaches, harnais, chevaux, cavaliers qui forment à peu près le quart des citoyens. Nous croyons, il est vrai, que c'est chose inutile d'être toujours armés, d'avoir sans cesse, en pleine paix, un cimeterre à la ceinture; il y a même des peines décernées contre celui qui porterait les armes dans la ville, sans besoin qu'il en fût, ou qui les porterait en public; tandis que vous êtes excusables de vivre toujours les armes à la main. Quand on habite un lieu qui n'est pas fortifié, on est continuellement exposé aux embûches. Les guerres chez vous sont fréquentes; vous n'êtes jamais sûrs qu'un ennemi ne viendra pas tout à coup vous arracher du chariot où vous dormez, pour vous mettre à mort. La défiance mutuelle qui règne entre vous, votre indépendance complète, l'absence de lois et de communauté civile, vous rendent le fer nécessaire à chaque instant, pour avoir sous la main une défense en cas d'attaque.

§35. ANACHARSIS. — Ainsi, Solon, vous croyez qu'il est inutile de porter des armes sans nécessité; vous les ménagez de peur qu'elles ne s'usent dans vos mains, et vous les gardez soigneusement en dépôt, pour vous en servir à l'occasion? Cependant, saus être passés par aucun danger, vous soumettez au travail et aux coups le corps de vos jeunes gens; vous épuisez leurs forces par des sueurs inutiles, au lieu de les réserver pour le moment nécessaire, vous les répandez mal à propos dans le sable et dans la boue.

SOLON. — Tu m'as l'air, Anacharsis, de te faire des forces du corps l'idée qu'on a du vin, de l'eau ou de tout autre liquide. Tu crains qu'elles ne s'écoulent inaperçues dans les travaux, comme une liqueur qui s'échappe d'un vase d'argile, et qu'ensuite elles ne laissent le corps vide et desséché, sans que rien puisse intérieurement réparer les pertes. Mais il n'en est pas ainsi de la vigueur; plus on l'épuise par les travaux, plus elle coule avec abondance; c'est l'histoire de l'hydre, dont tu as sans doute entendu parler: pour une tête qu'on lui coupait, il lui en repoussait deux. Si on ne s'exerce pas de longue main, si on ne se donne pas de ressort, et si l'on ne fait pas une ample provision de substance, on est affaibli, épuisé par la fatigue. C'est ce qui a lieu pour le feu et pour une lampe: du même souffle le feu s'allume, grandit en quelques instants, et semble excité par le vent, tandis que la lampe s'éteint parce qu'elle ne fournit pas à la flamme assez de matière pour résister à la force de l'air; elle n'a pas une mèche assez solide.

§36. ANACHARSIS. — Je ne comprends pas bien tout cela, Solon; tes idées sont pour moi trop subtiles; elles demandent une vive intelligence, une pénétration profonde. Dis-moi nettement la raison pour laquelle, aux jeux olympiques, à l'Isthme, à Pytho, ainsi qu'aux autres lieux, où, comme tu l'as dit, on accourt de toutes parts pour voir combattre les jeunes gens, vous n'avez pas institué de combats en armes, tandis que vous les faites paraître nus, que vous les montrez se donnant des coups de pied et des coups de poing, et que vous donnez au vainqueur, des fruits ou de l'olivier sauvage. Je tiens beaucoup à savoir pourquoi vous agissez de la sorte.

SOLON. — Nous pensons, Anacharsis, qu'ils auront plus de goût pour ces exercices, quand ils verront ceux qui s'y distinguent honorés et proclamés par le héraut en présence de tous les Grecs. Forcés de paraître sans vêtements devant une si nombreuse assistance, ils auront soin de prendre de belles attitudes, afin de n'avoir pas à rougir de cette nudité, et de se rendre en tout dignes de la victoire. Les prix, ainsi que je te l'ai déjà dit, ne sont pas méprisables, puisqu'ils consistent à recevoir les louanges de tous les spectateurs, à être considérés, montrés du doigt, à passer pour le plus brave de tous les contemporains. Parmi les spectateurs, un grand nombre, encore en âge de se livrer à ces exercices, s'en retournent épris d'amour pour la gloire et pour les travaux qui la procurent. Ah! cher Anacharsis, si l'on bannissait de la vie l'amour de la gloire, quel bien nous resterait-il? Qui voudrait entreprendre une action éclatante? Maintenant tu peux juger, d'après ces jeux, quels seront en face de l'ennemi, les armes à la main, pour défendre leur patrie, leurs enfants et leurs femmes, ceux qui pour une branche d'olivier ou pour des fruits montrent tout nus tant d'ardeur pour la victoire.

§37. Mais que dirais-tu donc, si tu voyais chez nous des combats de cailles et de coqs et l'empressement qu'on y témoigne? Tu rirais, j'en suis certain, surtout si tu savais que c'est en vertu d'une loi que nous agissons ainsi, et qu'il est ordonné à tous les jeunes gens d'assister à ces combats et de voir ces oiseaux lutter jusqu'au dernier soupir. Il n'y a pourtant rien ici de ridicule. Il se glisse insensiblement dans les cœurs un vif désir de braver les dangers; on rougirait de se montrer plus lâches, moins hardis que des coqs, et de se laisser abattre, avant eux, pour les blessures, la fatigue et les autres difficultés 13. Quant à faire combattre nos jeunes gens avec des armes et à les montrer couverts de blessures, fi donc! Ce serait un spectacle sauvage, une cruauté révoltante, et de plus inutile, que de faire égorger de braves guerriers, qui pourraient un jour nous servir avec plus d'avantage contre les ennemis!

§38. Puisque ton dessein, Anacharsis, est de parcourir toute la Grèce, souviens-toi, lorsque tu seras à Sparte, de ne pas te moquer des Lacédémoniens, et ne va pas croire qu'ils s'épuisent en travaux inutiles, lorsqu'ils se précipitent en foule dans un amphithéâtre, pour s'élancer après une balle et se frapper les uns les autres, ou lorsque, rassemblés dans un lieu entouré d'eau, séparés en phalanges, nus comme nos athlètes, ils s'attaquent en ennemis et se battent jusqu'à ce que l'un des deux partis 14 ait chassé l'autre de cette enceinte, que la faction d'Hercule, par exemple, ait obligé celle de Lycurgue à se jeter dans l'eau. De ce moment la paix renaît entre eux, et personne ne porte un seul coup. Mais que diras-tu, quand tu verras ces mêmes Lacédémoniens battus de verges près de l'autel, tout ruisselants de sang, tandis que les pères et mères, présents à ce spectacle, loin de s'effrayer des souffrances de leurs enfants, les menacent de leur colère s'ils ne résistent aux coups, ou les supplient de supporter la douleur le plus longtemps possible, de s'armer de patience contre les tourments. On en a vu beaucoup mourir dans ces épreuves, ne voulant pas, tant qu'ils respiraient, demander grâce sous les yeux de leurs parents, et céder à la nature, Tu verras les statues que Sparte leur a élevées honorées d'un culte public. Or, quand tu seras témoin de ces exercices, ne va pas t'imaginer que les Lacédémoniens sont insensés, ne dis pas qu'ils se rendent eux-mêmes malheureux sans nécessité, sans qu'un tyran les y contraigne, ou que des ennemis leur en imposent la loi; car Lycurgue, leur législateur, t'alléguerait, pour les justifier, un grand nombre de raisons satisfaisantes: il te dirait dans quel dessein il châtie son peuple, sans haine et sans colère, sans vouloir consumer inutilement la jeunesse de la cité, mais il veut avoir des citoyens d'une patience à toute épreuve, supérieurs à tous les maux, et capables ainsi de sauver la patrie. Et quand Lycurgue ne te le dirait pas, tu comprends bien toi-même, je crois, qu'un pareil citoyen, s'il est pris à la guerre, ne révélera jamais le secret de Sparte, quelque tourment que lui fassent subir les ennemis; il s'en rira, et, s'offrant à leurs coups, il. défiera l'opiniâtreté du bourreau.

§39. ANACHARSIS. — Lycurgue, ami Solon, se faisait-il aussi fouetter dans sa jeunesse, ou bien avait-il passé l'âge de cet exercice, pour s'amuser en toute sûreté à de pareilles espiègleries?

SOLON. — Il était déjà vieux lorsqu'il écrivit ses lois; il revenait alors de Crète, où il avait voyagé, parce qu'il avait appris que les Crétois étaient le peuple le mieux gouverné, grâce aux lois de Minos, fils de Jupiter et leur législateur.

ANACHARSIS. Et toi; Solon, pourquoi n'imites-tu pas Lycurgue en faisant fouetter les jeunes gens? C'est un fort bel usage et qui n'est pas indigne des vôtres.

SOLON. — Il nous suffit, Anacharsis, de nos gymnases, institution toute nationale; nous ne nous soucions pas beaucoup d'imiter les coutumes étrangères.

ANACHARSIS. — Tu ne veux pas; alors tu comprends, je crois, ce que c'est que d'être fouetté, tout nu, les bras en l'air, sans qu'il en résulte rien d'utile pour eux ou pour la cité. Quant à moi, si jamais je voyage à Sparte, à l'époque où cela se pratique, je suis convaincu que je me ferai lapider par eux en public, vu que je ne pourrai m'empécher de rire, en les voyant flageller comme des voleurs, des filous et autres gens de cette espèce. En vérité, la ville entière aurait besoin, à mon avis, de quelques grains d'ellébore, puisqu'elle se traite elle-même d'une manière aussi folle.

§40. SOLON. — Ne t'imagine pas, mon cher, que tu gagneras ta cause par défaut, que tu ne trouveras personne qui te réponde et que tu seras seul à parler. Tu rencontreras à Sparte plus d'un citoyen qui défendra ses institutions par des raisons judicieuses; mais puisque je t'ai fait connaître nos coutumes, dont tu n'es pas très satisfait, j'ai le droit, ce me semble, d'exiger de toi que tu m'instruises à ton tour de celles de ton pays, comment vous autres Scythes vous formez vos jeunes gens, à quels exercices vous les soumettez, par quels moyens vous en faites des hommes d'une trempe solide.

ANACHARSIS. — Rien n'est plus juste, Solon, et je te ferai le détail des usages de la Scythie. Ils ne sont pas très relevés et ne ressemblent en rien aux vôtres; nous n'oserions pas recevoir même un soufflet; nous sommes timides; n'importe, je te les ferai connaître tels qu'ils sont. Mais remettons, si tu le veux bien, notre conversation à demain; j'aurai plus de temps à réfléchir à ce que tu m'as dit, et de rappeler à ma mémoire ce que j'ai à te dire; à présent, il faut nous en aller sur cet entretien, voici la nuit.



Notes
1. Cf. Dissertation de Burette sur la gymnastique, dans les premiers volumes des Mémoires de l'Académie des inscriptions en belles-lettres; Barthélemy, Voyage d'Anacharsis, chap. XXVI; Ch.. Dezobry, Rome au siècle d'Auguste, lettre XXVII; Encyclopédie nouvelle de F. Didot, articles: Gymnase et Gymnastique. De Pauw s'élève contre la violence des exercices du gymnase dans ses Recherches philosophiques sur les Grecs , partie I, section Il, § 4. Il est d'accord avec J.-J. Rousseau, qui dit dans Émile, livre IV: «Un violent exercice étouffe les sentiments tendres.»
2. «Il y avait dans Athènes trois gymnases, l'Académie, le Cynosarge et le Lycée. Le premier était dédié au héros Académus, duquel il tirait son nom; le second à Hercule, qui y avait un temple; et le troisième, dont il est ici question, à Apollon Lycien. Voy. Suidas, au mot roµess; Démosthène, Contre Timocrate, p. 791, édition de Wolf; et la Scolie d'Ulpien, p. 820. La raison pour laquelle les Athéniens avaient dédié ce gymnase à Apollon, est exposée par Plutarque, au livre VII de ses Questions de table, problème IV, p. 889, édition de Reiske,» Belin de Ballu.
3. Jeu de mots entre rnléç ou Tat6ç, boue, et ðïúëç, lutte.
4. Nom grec de Delphes.
5. Anacharsis était de la classe noble que les Scythes nommaient pilophores, c'est-à-dire porte-bonner. Voy. le Scythe, 1.
6. Voy., sur l'Aréopage, la dissertation de l’abbé Canaye, dans le t. VII Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Cf. Arislote, Rhétorique, I, x; Pollux, Onomasticon, VIII, chap. x, segm. 118; Quintilien, Éducation de l'orateur, VI, I, 7,
7. Comparez Tacite, Hist., I, LXXXIV, t. II, p. 77 de la traduction de Charles Louandre, et Corneille, Sertorius, act. III, sc. II.
8. Voy., sur l'éducation des jeunes Athéniens, Barthélemy, Voyage d'Anacharsis, chap. XXVI. Cf Aristophane, Nuées, p.135 de la traduction de M, Artaud; Xénophon, Mémoires sur Socrate, livre III, chap., XI.
9. C'est le masque théâtral, dont il a été question dans le traité De la danse.
10. Cf. Homère, Iliade, XVI, v. 70.
11. Celle guerre eut lieu sous Érechthée, fils de Pandion, sixième roi d'Athènes. Cf. Isocrate, Panégyrique, t. I, p. 58 de l'édition Tauchmilz.
12. Les Amazones. Voy. Lysias, Oraisons funèbres, p. 14 de l'édilion Tauchnitz; Isocrate, Panegyrigae, l. c.
13. Voy. Élien, Hist. diverses, II, XXVIII.
14. Sur l'éducation des Lacédémoniens, voy. de Pauw, Recherches philosophiques, etc., partie IV, section X, § 2.

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