Contre les athlètes
L'homme, jeunes gens, tient à la fois des Dieux et des animaux sans raison, des premiers comme être raisonnable, des seconds comme être mortel. Le mieux est donc de s'attacher aux rapports les plus nobles et de prendre soin de son éducation; si on réussit on acquiert le plus grand des biens; si on échoue on n'a pas la honte d'être au-dessous des animaux les plus inutiles. Si les exercices athlétiques manquent leur but, c'est un affront; s'ils l'atteignent, on ne l'emporte même pas sur les brutes. Qui est plus vigoureux qu'un lion ou qu'un éléphant? Qui est plus rapide à la course qu'un lièvre? Qui ne sait pas que les Dieux eux-mêmes sont honorés seulement à cause des arts qu'ils ont exercés? On ne décerne pas non plus aux personnages illustres les honneurs divins pour avoir bien couru dans le stade, lancé le disque, ou lutté avec avantage, mais pour avoir rendu des services dans la pratique de leurs arts. Esculape et Bacchus, qu'ils aient été d'abord des hommes ou qu'ils soient nés Dieux, ont été jugés dignes des plus grands honneurs, le premier parce qu'il inventa la médecine, le second, parce qu'il apprit à cultiver la vigne. Si vous n'ajoutez pas foi à mes paroles, croyez du moins l'oracle d'Apollon Pythien; c'est lui qui a déclaré à Socrate le plus sage des mortels, et qui s'adressant à Lycurgue, lui dit:
«Tu viens vers mon temple fortuné, ô Lycurgue, [agréable à Jupiter et à tous les dieux qui occupent les demeures de l'Olympe]; je ne sais si je dois t'appeler un Dieu ou un homme, mais je crois plutôt, ô Lycurgue, que tu est un Dieu.»
Le même oracle ne rendit pas un honneur moins grand à la mémoire d'Archiloque. Comme l'assassin de ce poète voulait pénétrer dans le temple d'Apollon, le Dieu le chassa en lui disant:
«Tu as tué le nourrisson des Muses, sors de mon temple.»
[...] Et vous, parlez-moi de pareils honneurs rendus aux athlètes? Mais vous ne répondez pas parce que vous n'avez rien à dire, à moins que vous ne méprisiez les témoignages que j'invoqye, comme indignes de votre confiance. Vous me laissez, en effet, soupçonner une pareille intention lorsque vous en appelez au témoignage de la multitude et que vous invoquez les suffrages qu'elle accorde aux athlètes. Mais vous-mêmes, quand vous êtes malade, vous ne vous mettez pas, je le sais, entre les mains de la foule, vous vous confiez au contraire à quelques hommes de l'élite, et encore, parmi ceux-ci, vous choisissez le médecin le plus habile. Quand vous êtes sur mer, vous ne donnez pas le gouvernail aux passagers, mais au pilote seul; de même, pour les choses de moindre importance, on a recours au charpentier si on bâtit, et au cordonnier si on a besoin de chaussures. Comment se fait-il donc que dans une affaire aussi importante que celle dont il s'agit, vous revendiquiez pour vous seuls le droit de juger, et que vous l'ôtiez à ceux qui sont plus sages que vous? Car je veux bien dans ce moment ne pas parler des Dieux. Écoutez donc le sentiment d'Euripide sur les athlètes:
«Mille maux affligent la Grèce, il n'en est pas de plus grand que la race des athlètes! D'abord ils n'apprennent, ni ne pourraient apprendre à mener une vie honnête. Comment, en effet, un homme esclave de sa bouche et dominé par son ventre pourrait-il amasser quelque argent pour nourrir son vieux père? Ils ne sont donc capables ni de souffrir le besoin, ni de surmonter l'adversité; habitués aux mauvaises moeurs, ils se tirent difficilement d'embarras.» (Autolyc. Fragm. 281, 1, ed. Dind., Oxon., 1851)