Présentation de la candidature de Louis Valcke au titre de professeur émérite

Les circonstances

On peut d’abord se demander pourquoi, sept ans après sa retraite, des collègues demandent que Louis Valcke soit nommé professeur émérite de l’Université de Sherbrooke.

La question qui nous est venue, ces derniers temps, est plutôt la suivante : comment se fait-il que Louis Valcke, aux états de service si éminents à l’Université, n’est pas encore professeur émérite? Une petite recherche «historique» apporte vite la réponse. Au moment où il a pris sa retraite, en mai 1995, le secteur «philosophie» du Département de sciences humaines de l’Université connaissait une grande turbulence et menaçait même de disparaître. II fut sauvé in extremis par son transfert à la Faculté de théologie, effectif le 1er juin 1996, d’où le nouveau nom de la faculté de théologie, d’éthique et de philosophie (FATEP). Déjà passé à la retraite, Louis n’ajamais fait partie de cette nouvelle faculté. C’est la raison pour laquelle la demande origine de collègues de ce qui fut son dernier lieu de rattachement, l’ancien Département de sciences humaines, devenu depuis le Département d’histoire et de sciences politiques (DHSP), mais sans sa composante philosophique.

Signalons au passage que monsieur Jean Desclos, ancien doyen de la faculté de théologie et actuel vice-recteur, et monsieur Michel Dion, actuel doyen de la FATEP, ont tous deux été consultés sur l’opportunité de cette candidature et se sont déclarés tout à fait d’accord pour que ce soit la faculté où a oeuvré monsieur Valcke, soit l’actuelle faculté des lettres et sciences humaines (FLSH) qui présente le dossier.

Les motifs d’une candidature

Résumons notre propos d’un mot par sa carrière remarquable à l’Université de Sherbrooke, tant au niveau de l’enseignement qu’à celui de la recherche ou de l’engagement universitaire, Louis Valcke mérite amplement, à notre avis, le titre de professeur émérite.

Les Règles relatives au choix de candidatures au titre de professeur émérite énoncent pour l’octroi de ce titre les critères suivants:

* avoir contribUé de façon exceptionnelle et soutenue au progrès de l’Université en matière d’enseignement, de recherche ou de vie universitaire;
* avoir de distingués états de service à l’Université;
* être à la retraite ou avoir cessé d’exercer ses fonctions régulières.

Examinons successivement ces critères, en commençant par le dernier. Monsieur Valcke est à la retraite depuis le mois de mai 1995. Sept ans, sept quarantaines ! il a pleinement rempli le temps requis pour l’indulgence plénière ! Avoir de distingués états de service à l’Université il nous semble que c’est le motifprincipal qui doit motiver l’octroi du titre au professeur Valcke, qui y a oeuvré de 1962 à 1995, soit durant trente-trois ans. On le verra mieux en examinant le premier critère: avoir contribué de façon exceptionnelle au progrès de l’Université. Le texte ajoute: en matière d’enseignement, de recherche ou de vie universitaire. Dans le cas de Louis Valcke, il faut remplacer le «ou» par un «et». Voyons voir.

Enseignement

Pour qu’un enseignement soit valable et intéressant, il faut qu’il repose sur des études solides. Né à Ostende, en Belgique, dès le premier jour de l’an 1930, Louis Valcke a fait ses études à l’Université de Louvain. Il y est devenu docteur en droit à l’âge de 25 ans, puis docteur en philosophie, à l’âge de 30 ans, soit en 1960. Cette double formation donnera à ses réflexions et à son enseignement une solidité sans pareille.

En 1960, il émigre aux États-Unis et enseigne durant deux ans à l’Université Villanova, en Pennsylvanie. Puis, il est recruté pour venir enseigner à l’Université de Sherbrooke, où il commence son enseignement en septembre 1962, pour s’y consacrer pendant trente-trois années consécutives, à l’exception de trois congés sabbatiques, en 1972-73, 1980-81 et un trimestre à l’hiver 1991. On peut donc dire qu’il a consacré trente pleines années à l’enseignement de la philosophie à l’Université de Sherbrooke. Il y était célèbre pour son cours sur les Présocratiques (c’est là que commence la sagesse...), et donna aussi des cours sur le cartésianisme, le mécanisme, Guillaume d’Ockham et même... l’ésotérisme ou la pensée mythique. D’autres cours furent données dans le cadre des activités du Centre de la Renaissance, liant ainsi la recherche à l’enseignement : nous y reviendrons dans un moment. Parmi les qualités relevées par ses étudiants, la rigueur est sans doute l’une des principales.

Recherche

Les publications de Louis Valcke se sont déroulées tout au long de sa carrière, avec la régularité du retour des saisons. Leur caractère international est particulièrement frappant, et les témoignages de ses répondants sont éloquents à cet égard. Dès son arrivée au pays, il publie dans les revues les plus en vue alors dans le monde philosophique : Dialogue, la Revue de I ‘Université d’Ottawa, Science et Esprit, le Canadian Journal of Philosophy, Philosophiques, Laval théologique et philosophique. Relevons deux titres, qui donnent l’allure de ses recherches d’alors: «Le nominalisme et le déclin du Moyen Âge)> (1964), «Philosophie de l’étonnement et sciences exactes» (1968).

Mais Louis Valcke trouve véritablement sa voie quand il s’insère dans l’équipe de recherche du Centre de la Renaissance, qu’il contribua à fonder en 1969, et devient un grand spécialiste de Jean Pic de la Mirandole. Dès lors, les publications se succéderont sans désemparer. En plus d’une foule d’articles dans les revues tant européennes qu’américaines, en italien, en anglais ou en français, qui traitent tantôt du mythe mirandolien, de néoplatonisme de Pic, de numérologie, de son dionysisme apollinien ou de sa condamnation, Louis Valcke publiera des ouvrages de fond qui livrent la pensée du penseur florentin, dont le principal est Le périple intellectuel de Jean Pic de ta Mirandole, suivi du Discours de la dignité de l‘homme et du traité L'être et l’Un, publié aux Presses de l’Université Laval en 1994, avec la collaboration, pour la traduction, de Roland Galibois. Ces travaux ont commencé en 1983 et se poursuivent encore aujourd’hui, puisqu’on attend la publication de son magnum opus, aux Belles Lettres de Paris, intitulé, tout simplement, Jean Pic de la Mirandole.

Ses recherches sur cet humaniste ont fait de lui «l’as de Pic», comme l’écrit admirablement le grand spécialiste de Thomas More, l’abbé Germain Marc’hadour, dans son témoignage d’appui, qui parle du «rôle de guide que votre collègue a tenu dans l’univers mental et spirituel du Quattrocento florentin, et de pionnier dans la renaissance des études sur cet humanisme qui relève autant de la phitosophie que des belles lettres» (Marc’hadour étant lui même philologue). La présidente de l’Institut des études humanistes Francesco Petrarca, madame Luisa Secchi Tarugi, ne pense pas différemment quand elle écrit que les études de Louis Valcke sur la philosophie de la Renaissance, et en particulier sur Pic de la Mirandole, attestent, à travers la constance d’un parcours de recherche et la profondeur du travail qu’exige une telle
recherche, du caractère exceptionnel du chercheur qui l’a entreprise.

Et cela, sans oublier ses autres contributions, sur Guillaume d’Occam, le conséquentialisme kantien, ou sur des thèmes philosophiques plus généraux comme «La pensée occidentale et l’essor technologique» ou «Philosophie et Pluralisme». En somme, dans le domaine de la recherche, Louis Valcke a apporté et continue d’apporter une contribution substantielle et appréciée.

La recherche n’est pas que publications : elle est aussi rayonnement, par la participation à des colloques, des associations, des revues. Là aussi, Valcke a été actif. Le directeur du Centre de la Renaissance depuis les origines, J. M. de Bujanda, écrit à son sujet : «Il a été l’ambassadeur du Centre et de l’Université de Sherbrooke dans de nombreuses conférences internationales.»

Vie universitaire

Qui n’a à l’esprit (ou à la vue !) la silhouette de Louis Valcke, marchant d’un pas déterminé, mesuré mais ferme, sur le campus de l’Ouest, qu’il arpente maintenant depuis quarante ans? Il fait, pour ainsi dire, partie du décor. Maïs il a aussi beaucoup travaillé à modeler ce décor. La vitalité du milieu universitaire, la mission de l’Université dans le monde contemporain lui tiennent énormément à coeur. Cela s’est manifesté de plusieurs façons. D’abord, dans son propre département, qu’il porta sur les fonts baptismaux, puisque Louis est engagé à l'Université de Sherbrooke en 1962 et que le Département de philosophie, comme les autres départements, est créé en 1963. Puis, comme directeur, durant deux mandats, de 1965 à 1971, il eut à orienter le département dans une phase cruciale de son développement, période
forte d’expansion, où le rôlè de directeur était primordial.

Le destin de l’Université, nous l’ayons dit, lui tenait à coeur. On le vit bien dès ce moment-là, alors qu’il fit partie du fameux Comité de révision des structures, qui produisit en 1971 un rapport de plus de 150 pages. Par la suite, il fut président du Syndicat des professeurs de l’Université, le SPUS, en 1976-1977, année cruciale s’il en fut, puisque ce fut celle des longues grèves de professeurs à l’Université Laval et à l’Université du Québec à Montréal. Louis Valcke fut notamment à la tête du mouvement de solidarité des professeurs de Sherbrooke avec ceux de Laval. Dans l’histoire du Syndicat, on le présente comme un homme de compromis. Mais tout le monde sait qu’il est avant tout un homme de principe et de conviction.

Se prêtant à tous les comités où on sollicitait son concours, il fut en particulier président du Comité d’étude sur l’avenir de l’Université de Sherbrooke, en 1983-84. On le vit aussi siéger aux comités FCAC, à Québec, et CRSH, à Ottawa. Sa retraite, à 65 ans, n’a pas signifié la fin de ses activités. De 1997 à 1999, il a présidé les destinées de l’Association des professeur/es retraité/es de l’Université, l ‘APPRUS.

Nous n’avons pas parlé ici de son engagement dans la cité. Il fut toujours honnête, direct, présent, présentant sans détour ses points de vue. On pouvait n’être pas d’accord avec lui, le dialogue restait toujours possible, et courtois. Encore aujourd’hui, Louis Valcke ne cache pas ses positions.

On le voit donc : nous sommes en présence d’un véritable universitaire et d’un humaniste qui, tout au long de sa carrière, a fait honneur à l’Université qui l’a accueilli en 1962. II a fait partie de ce groupe pionnier de professeurs de carrière qui sont venus de l’étranger enrichir la nouvelle université de l’expérience et de la science de l’Ancien monde. Avec les Pierre Collinge, Lucienne Cnockaert, Jean-Pierre Kesteman, de notre faculté, et bien d’autres d’autres facultés, il était l’un de ces dignes représentants de ta Belgique qui ont aidé à donner une couleur internationale à notre Université.

C’est donc avec beaucoup de fierté, et le sentiment d’un devoir rempli sans doute trop tardivement, mais néanmoins encore à temps, que nous sollicitons pour Louis Valcke le titre de professeur émérite de l’Université de Sherbrooke.




Articles récents