Beaumarchais dramaturge

Henri Lion
L’œuvre et l'homme se tiennent étroitement. Pour bien comprendre celle-là, il faut bien connaître celui-ci. Il est né en pleine rue Saint-Denis, d'un honnête horloger (1732). Gâté par un père et des sœurs à la fois gais et sensibles, le jeune Pierre-Augustin Caron, après une enfance facile, travailla tout d'abord dans la boutique paternelle. L'horlogerie le mène à Versailles, lui procure une charge, une femme et un nom. Grâce à la musique, il est de l'intimité de Mesdames de France, fréquente la cour, y joue de l'épée et de l'esprit, se lie avec Pâris-Duverney, qui l'enrichit dans ses affaires. Vite il achète la charge de secrétaire du roi. Le voici noble : c'est M. de Beaumarchais (1761). Bientôt lieutenant aux bailliage et capitainerie de la Varenne du Louvre, il a deux comtes sous ses ordres ! C'en est fini maintenant avec l'horlogerie.

Il vole à Madrid, où il a à venger une de ses sœurs, abandonnée par son fiancé, l'écrivain Clavijo, et à ménager mille intrigues secrètes. Quand il revient, c'est le moment pour lui de montrer que « l'amour des lettres n'est pas incompatible avec les affaires. » Depuis longtemps le théâtre l'attire. Il fait Eugénie (1767), puis les Deux Amis (1770). Ce dernier drame échoue. En même temps il perd sa femme, puis son ami Pâris-Duverney, et voit l'héritier de celui-ci, le comte de La Blache, lui intenter un procès malgré le règlement de comptes qu'il produit. Il gagne en première instance, mais non en appel. Et tandis que son fils meurt, qu'il voit la représentation de son Barbier de Séville retardée, l'affaire Goezman surgit. Il est accusé habilement, par son juge, de tentative de corruption sur lui et sa femme (1). C'en était trop. Cet excès de malheur exalte son courage et son esprit. Quatre mémoires successifs pleins de comique, de verve et d'éloquence, en appellent à l'opinion contre le conseiller du parlement Maupeou. Tout le monde le lit, même le roi. Le procès n'en a pas moins un mauvais dénouement pour lui. Mme Goezman est bien condamnée, le conseiller obligé de vendre sa charge, mais Beaumarchais est blâmé, peine infamante qui le privait de ses droits civils. Ses Mémoires sont livrés au feu. Cela mit le comble à sa popularité.

Rien ne lui coûtera maintenant pour obtenir sa réhabilitation. Il devient l'agent secret de Louis XV, puis de Louis XVI, joue tous les rôles, prend tous les masques, obtient entre temps la représentation du Barbier de Séville, dont le succès est très vif, et l'a enfin, en septembre 1776, cette réhabilitation tant désirée ! Et maintenant, avec la complicité de Maurepas et de Vergennes, il est agent secret des colonies d'Amérique en France, il approvisionne les insurgés de munitions et de fusils, tout en reprenant et en gagnant cette fois définitivement son procès avec le comte de La Blache. Et les affaires succèdent sans interruption aux affaires de 1778 à 1784 (2), c'est-à-dire de la réception du Mariage de Figaro par les comédiens à sa représentation ! Ce fut un triomphe. Mais ses ennemis ne désarment point. Il est accablé peu à peu sous le poids de perfides accusations. Sa popularité décroît. Elle sombre presque avec la Révolution, car il n'est rien moins qu'un révolutionnaire à outrance. Constamment soupçonné, arrêté même quelques jours à propos de l'affaire des fusils de Hollande, qui le ruine à moitié, courant après ces fusils par toute l'Europe, il ne se voit sauvé que par le 9 thermidor. Il retrouve alors un peu de popularité et de bonheur, et meurt en 1799.

Telle est sa vie, en raccourci. On voit quel fut l'homme (3). La marque de ce tempérament c'est l'activité, l'ambition, et l'esprit. Et par suite il semble bien né pour le théâtre, pour forger des intrigues, aiguiser des ripostes, amuser et même attendrir, éblouir par une verve étincelante. Malheureusement le théâtre n'a été chez lui que l'accessoire, d'abord un « délassement honnête », puis un moyen; il n'a jamais été le but de sa vie. L'homme d'affaires prime l'auteur. C'est un prodige même qu'il ait trouvé le temps de composer (et de souvent retoucher) ses deux comédies, son opéra, et ses trois drames. Mais de la vie au théâtre il n'y avait presque pas changement pour lui.

Il y débuta, nous le savons, par des drames. Puis d'une parade devenue opéra-comique, il fait le Barbier de Séville qui, reçu en 1772, ne sera joué que le 27 février 1775. Entre temps Beaumarchais est devenu célèbre grâce aux Mémoires contre Goezman. Il s'avise d'allonger la pièce et d'y semer de mordantes allusions : elle tombe le premier soir. Il a vite fait d'élaguer. Elle va aux nues. Le sujet, sorte de défroque de la comédie italienne qu'avaient déjà illustrée Molière et Regnard dans l'École des femmes et les Folies amoureuses, n'était pas neuf pourtant. Beaumarchais le rajeunit en le transportant en Espagne, pays de fantaisie et de travestis, puis en l'intriguant avec soin. Pour ce, il modifie le caractère des personnages. Bartholo, s'il est encore un sot, est aussi un rusé. Sa défiance, née de son avarice et de son amour, lui donne du flair, sinon de l'intelligence. Ce ne sera pas trop pour l'emporter sur lui des efforts combinés de Lindor et de Figaro. D'ailleurs sa pupille, Rosine, n'est plus une ingénue comme Agnès ou une jeune folle comme Agathe; elle a, sans manquer de réserve, quelque peu d'expérience; elle oppose la ruse à la ruse. Amoureuse et femme, on lui pardonne aisément. D'autant qu'elle paraît affectueuse, qu'elle a un grand charme, qu'elle sait enfin se faire respecter. Elle est de ces petites bourgeoises qui deviennent comtesses sans qu'on s'en étonne, sans presque s'en étonner elles-mêmes. Elle sera tout naturellement la comtesse Almaviva. Car Lindor est comte. C'est de plus, pour le moment, une sorte de prince charmant, qui diffère des autres amoureux par un grand air naturel et une distinction particulière. Seuls les amoureux des comédies de Marivaux ont quelque rapport avec lui.

Le valet, lui, est méconnaissable. Car Figaro, malgré sa casaque de barbier, joue le rôle de valet. Valet original certes, et qui a trop de pères pour ressembler complètement à aucun (4). Le seul vrai, en somme, c'est Beaumarchais. Comme lui « partout supérieur aux événements, loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là, aidant au bon temps, supportant le mauvais », il se moque des sots, brave les méchants, rit de tout pour ne pas en pleurer, et se trouve la victime des circonstances, de sa naissance et de la calomnie. Il a fait d'ailleurs tous les métiers et il a conscience de sa valeur. Ne pouvant être autre chose, faute d'argent et de protecteurs, il est philosophe, et philosophe cynique, gouailleur, familier et insolent, dont la provision est ample de traits et d'observations. Son arme est l'esprit, un esprit vif et acéré, qui pique tout et blesse tout. Il se venge ainsi en riant de n'avoir ni situation, ni considération. Il nargue les préjugés, démasque les hypocrisies, fronde les ridicules et les lois, sans que sa gaîté s'émousse. Il a le parler libre, la réponse hardie, sifflante, déconcertante; peut-être un brin d'amertume, mais pas de fiel; ajoutez enfin un bon sens aigu et une morale complaisante, et vous aurez tout l'homme, qui ne déplaît pas. On hait Basile, au contraire. Celui-là paraît et parle peu. C'est aussi un intrigant habile, mais affilié à une secte puissante qui le mène. Au contraire du gascon franc et déluré qu'est Figaro, il affecte des dehors graves, se couvre d'un costume sévère, presque sacré, et pour mieux tromper s'avance lentement, sourdement, mystérieusement vers son but. Il sert tous les maîtres, reçoit de toutes mains, et se fait craindre sans se faire respecter. Lui aussi il possède une arme terrible, et justement la seule qui puisse lutter avec l'esprit, la seule contre laquelle échoua souvent l'esprit de Beaumarchais : la calomnie. Il en joue comme Figaro de son esprit, mais non plus face à, face et loyalement. Il frappe de nuit et par derrière.

Voilà les personnages. Et la pièce va d'une allure rapide, très amusante avec son dialogue, le plus vif et le plus plein tout ensemble des dialogues, le plus sobre et le plus pittoresque. C'est une cascade éblouissante de répliques ou de tirades; un jaillissement continuel de réflexions ironiques, de mots serrés et profonds. On est étonné, ébloui, ravi, et on ne se lasse pas, tant tout cela paraît naturel. Car si tous les personnages ont de l'esprit, chacun a le sien propre, ce qui est le comble de l'art.

Il n'y en a pas moins dans le Mariage de Figaro, et de toute façon. Car la satire sociale s'y fait une large place. C'est que Beaumarchais a souffert depuis 1772 dans sa réputation et dans son honneur. Il a soif de vengeance. Une fois réhabilité, il n'a qu'à prendre la plume pour voir la pièce éclore d'elle-même. On l'attend et on la redoute. A peine née elle court le monde (1778). Le difficile est de la faire jouer. Le censeur, le garde des sceaux, le roi même (5) s'y opposent. Beaumarchais a pour lui l'entourage royal, de puissants protecteurs, la curiosité publique, sa tenace activité; il a pour et contre lui son esprit. Enfin, après force lectures dans les salons, après force plaintes, après force désillusions, après la représentation de la pièce chez le comte de Vaudreuil, il parvient à obtenir d'abord de nouveaux censeurs, puis, sous la pression publique, l'autorisation royale. La comédie est annoncée pour le 27 avril 1784. On s'écrase aux portes du théâtre; on enfonce tout; les rangs sont confondus; une foule fiévreuse, qui comprend tout, voit partout de l'esprit, applaudit tout, fait à l'oeuvre un succès sans précédent. Ce succès persiste obstinément, effrontément, auquel les loges contribuent autant que le parterre et que nourrit habilement l'auteur, tout en s'en étonnant lui-même. « Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, disait-il, c'est son succès. »

Il disait plus vrai qu'il ne pensait. Il n'a pas vu en effet toute la portée de son Mariage. La préface dont il l'illustra plus tard le prouve bien. S'il y reconnaît qu'il a fait entrer dans son plan « la critique d'une foule d'abus », il déclare nettement que le vrai sujet – celui qui donne à la pièce cette « directe moralité » « sans laquelle il n'y a pas d'art véritable » –, c'est la défaite de l'époux suborneur « contrarié, lassé, harassé, toujours arrêté dans ses vues », et « obligé trois fois dans cette journée de tomber aux pieds de sa femme, qui finit par lui pardonner ». Soit; mais les événements, une verve étincelante, et le public, et les ennemis de l'auteur, et enfin ses paroles mêmes, jetées à l'étourdie, ont tout modifié. Si la comédie est un drame moral, qui donc le voit ou s'en préoccupe? La moralité n'a que faire ici. Le sujet n'est pas, quoi que pense Beaumarchais, l'époux suborneur, mais le valet maître. Thème banal, encore, mais qu'il a complètement renouvelé. La comédie, malgré certaines imitations (6), est toute à lui : elle ne pouvait être faite que par un Beaumarchais.

Car le tout ici, c'est Figaro. Il attire à lui tout l'intérêt. Même invisible il est présent. La pièce est menée pour lui et par lui. Il ne travaille plus pour le compte d'un Lindor, n'intrigue plus pour le simple plaisir d'intriguer, mais à son profit. Et voilà la grande nouveauté, justement. Il s'agit bien toujours d'un mariage, mais c'est le mariage d'un valet. C'est le valet qui est l'amoureux, c'est à lui que va la sympathie, puisqu'il aime et est aimé. Nous applaudissons au vilain qui défend son bien, même contre son maître. Le jaloux à cette heure, le Bartholo, c'est le Lindor d'autrefois, c'est ce comte, si dangereux par son or, par sa puissance, par la séduction de ses manières, qu'il faut un Figaro pour oser et pour pouvoir lui résister !

Lui seul est capable de conduire pareille intrigue, car il a contre lui non seulement le comte, mais une Marceline « qui est friande de lui en diable » et à qui il a signé jadis une promesse de mariage, le rusé Bartholo qui le déteste, le faux Basile qui cherche une vengeance. Il lui faut compter avec l'espièglerie imprudente et le juvénile amour de Chérubin, la sottise des uns, le bavardage des autres, le trouble et l'émotion de la comtesse. Rien n'y fait; il l'emporte, il se marie. Il était temps toutefois. Sa patience et sa gaieté étaient à bout. Son esprit tournait à l'aigre. Ce n'était plus déjà le Figaro du Barbier. Et c'est moins lui encore, quand marié, se croyant trahi, lassé et dégoûté de tout, perdant cette gaieté – parfois factice – qui l'a soutenu jusqu'alors, il exhale ses plaintes dans un long réquisitoire. Il est vaincu. Le grand seigneur l'a emporté, comme toujours ! Et sa vie repasse devant ses yeux; il se rappelle ses espérances, compte ses déboires, déplore avec rage ses malheurs : partout son activité, son intelligence, son habileté ont échoué contre les iniquités, les privilèges, la fortune et la naissance. Il aurait pu, il aurait dû tout être, et il n'est rien. Et les mots partent, les traits volent, la tirade s'enfle; le duel s'élargit et prend des proportions énormes, dédaigne l'homme pour s'attaquer à la société entière. Rien ne résiste à cet assaut. Une raison acérée perce tout, dégonfle tout, montre le vide. Sous le poids de cette charge, tout sombre, comme la gaieté de Figaro. Il la reprend bientôt d'ailleurs. Le déguisement de la comtesse en Suzanne, qui l'a trompé, amène sa victoire définitive. Le comte berné n'a qu'à avouer ses torts. Pour lui il va faire souche d'honnêtes gens.

Et ainsi Beaumarchais ne s'est pas contenté de répondre au défi du prince de Conti de mettre à la scène la préface du Barbier. Nous n'avons guère « la plus badine des intrigues ». La Folle Journée n'est qu'un sous-titre, et vraiment secondaire. Car s'il y a vraiment une « folle journée », un véritable imbroglio où se mêlent les travestis, les quiproquos, les courses folles, s'il y a même là une sorte de jeu de cache-cache perpétuel qui se termine par une « ronde en couplets », et, Figaro menant la danse, un mouvement si endiablé qu'à peine a-t-on le temps de respirer, si enfin l'auteur y a mêlé le pathétique par la triple reconnaissance de Figaro, de Marceline et de Bartholo, tout en riant de cet admirable enchevêtrement d'incidents, il ne faut pas se laisser détourner du principal. Et le principal, c'est Figaro luttant pour ses propres amours, ferraillant avec audace, et lançant enfin contre ses ennemis, et ils sont légion, une fière et éloquente diatribe. D'où l'importance de ce monologue (qu'on juge aujourd'hui emphatique et inutile), qui est la conséquence nécessaire de l'œuvre. C'est bien lui, en tout cas, qui donnait en 1784 une portée générale à la pièce et faisait qu'elle allait si loin au delà de la rampe. Le procédé qui lui avait si bien réussi dans ses Mémoires, Beaumarchais l'appliquait ici encore excellemment. Comme il en avait appelé à l'opinion, Figaro en appelle au parterre.

Il arriva vite d'ailleurs ce qui arrive toujours. On vit dans la pièce beaucoup plus qu'il n'y avait réellement. Elle devint pour beaucoup une œuvre subversive qui détruisait toute autorité. Par suite on fit de Figaro une sorte de héros populaire, le porte-voix des revendications bourgeoises, et même une des plus brillantes incarnations de l'esprit français. On exalta ses qualités. On oublia ses défauts et ses vices. Sa vie passée rentra dans l'ombre. On ne se souvint plus que de son courage habile, de sa raison spirituelle et de sa mordante ironie. On lui emprunta de ses mots pour le définir (7). Ses impertinences, son cynisme, ses ambitions, ses fautes, ses indélicatesses, tout cela disparut, et jusqu'à sa domesticité. Il devint, comme on l'a dit, le héros théâtral de la Révolution. C'est le triomphe de l'esprit. Et c'est aussi le triomphe de Beaumarchais, qui a soigné son personnage d'un amour vraiment paternel et a fait briller pour lui toutes les facettes de son merveilleux talent (8).

Il n'avait d'ailleurs visé ni si loin ni si haut. Le drame de la Mère coupable, qui fait suite au Mariage de Figaro, le prouve bien. Il suffisait à Beaumarchais que le valet hardi et intéressé du Barbier de Séville s'y élevât à la dignité d'honnête homme et d'homme d'honneur, étrangement supérieur à son maître. C'était là sa façon de s'emparer de la Bastille. Il ne songea jamais à la prendre réellement et à tout bouleverser (9). Mais voilà, de telles pièces, déjà meurtrières par elles-mêmes, le sont encore plus par leurs conséquences. Elles mettent le feu aux poudres. De fait, le Mariage de Figaro, porta un coup terrible à la noblesse, sans qu'on s'en doutât, sans qu'elle s'en doutât elle-même. C'est toujours par de folles journées que commencent les révolutions.

Même parfois les révolutions littéraires et dramatiques. Car c'était en réalité une comédie toute nouvelle et d'une importance capitale, étant tout ensemble imbroglio rapide et puissante comédie sociale, que cette Folle Journée. On peut dire que toute la comédie moderne, dans ses diverses grandes manifestations, s'y rattache. Scribe et Dumas, sans parler de M. Sardou, n'ont fait que se partager l'héritage de Beaumarchais.


Notes
(1) Selon la coutume, il avait comblé d'argent et de présents le rapporteur de son procès, le conseiller Goezman, et sa femme. Le procès perdu, il réclame son argent. Une différence de quinze louis met le feu aux poudres.
(2) Il fonde la société des auteurs dramatiques, devient l'éditeur de Voltaire, s'occupe avec Vergennes de la réorganisation de la Ferme générale, avec Joly de Fleury d'un projet d'emprunt, soutient ceux-ci de sa plume, et ceux-là de sa bourse. Plus tard, de 1784 à 1789, Beaumarchais organisera la Compagnie des Eaux de Paris, composera son opéra philosophique de Tarare et trouvera même le temps de défendre à ses risques et périls l'infortune malheureuse.
(3) On pourrait dire qu'il y a comme deux hommes en lui. Dans son intérieur, fils, frère, père ou mari, il est doux, tendre, affectueux, libéral, aimable et sensible. Au dehors, quoique rarement égoïste et toujours honnête, fouetté par les circonstances, aigri et choqué par les personnes, rarement lui-même, il se guinde ou il se débraille; son activité verse dans l'intrigue, son intelligence dans le savoir-faire, son esprit dans l'impertinence. Il gâte ses plus généreuses tentatives par des procédés d'homme d'affaires; il confond la fierté avec l'insolence, le succès avec la réputation. S'il est de la famille de Grandisson (son père et ses sœurs le comparaient constamment à ce dernier), il est aussi de celle de Voltaire.
(4) Il n'a plus que quelque vague ressemblance avec les valets de la comédie antique, voire même avec les Mascarille et les Scapin; il tient plus des Sganarelle et des Cliton, surtout des Frontin, Crispin, Labranche et autres, plus hardis, plus ambitieux surtout. Ses ancêtres directs, sans oublier Panurge et Gil Blas, semblent être le Crispin de Le Sage, le La Ramée de Dancourt, et le Trivelin de Marivaux; mais il les dépasse de beaucoup.
(5) Le roi dit, selon Mme Campan, après avoir entendu lire la tirade sur les prisons, « qu'il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de la pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse ».
(6) Il a fait quelques emprunts d'abord à Molière (Georges Dandin), à Scarron (la Précaution inutile), à Sedaine (la Gageure imprévue), à Vadé (Il était temps), puis à Antoine de La Salle (Plaisante chronique du petit Jehan de Saintré).
(7) On vit en lui la revanche de l’honnête homme qui ne veut pas être dupe, de l'homme qui pense contre ceux qui ne pensent pas, de ceux qui peinent contre ceux qui ne se donnent que la peine de naître.
(8) Cette peinture si originale et si vivante profite singulièrement à toute la comédie. Les autres personnages recueillent tous quelque chose de cette exubérance de vie. Ce sont pour la plupart d'anciennes connaissances du Barbier. Et d'abord la comtesse, qui est toujours l'aimable, la tendre, un instant même l'espiègle Rosine, mais plus « imposante », plus mélancolique aussi, voire même triste, car elle est délaissée et s'ennuie, et est troublée plus qu'elle ne le dit, plus qu'elle n'en a conscience par l'amour de son jeune filleul. Puis le comte, qui, lui (à l'esprit et au charme près), n'a plus rien du Lindor d'autrefois : c'est maintenant un de ces grands seigneurs qui se croient tout permis parce que tout leur a réussi, galants sceptiques, friands du fruit défendu par désœuvrement, curiosité et amour-propre. Il est de plus jaloux et colère, quoique diplomate. Voici maintenant Bartholo, toujours sévère et toujours ennuyeux, Basile toujours fourbe, et, sans parler de la sensible Marceline ou de l'ivrogne Antonio, la « toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d'esprit, d'amour et de délices », Suzanne, et sage aussi par surcroît. Et voici enfin le petit page, l'adorable et diabolique Chérubin, l'enfant terrible qui aime en ignorant l'amour, dit naïvement les pires choses, émeut par une idolâtre admiration, distrait par des regards qui caressent et qui brûlent, et mourrait pour un baiser, même un ruban !
(9) Même dans son opéra philosophique de Tarare, où il touche cependant à des questions philosophiques et sociales, comme la souveraineté nationale, le règne des lois, le divorce, le mariage des prêtres, la liberté des nègres, etc.

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