Mes voyages à pied... des aventures capitales

Georges Duhamel
La marche peut servir à la connaissance de soi et des autres, mais les jeunes lui préfèrent volontiers la performance liée à la pratique des sports.
Au livre IV des Confessions, Jean-Jacques Rousseau parle du voyage à pied avec une plaisante fantaisie. "La vue de la campagne, la succession des aspects agréables, le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant... " Le morceau est célèbre. Il est à rapprocher des pages sur la botanique: "Errer nonchalamment dans les bois et dans la campagne, prendre machinalement, çà et là, tantôt une fleur, tantôt un rameau, brouter mon foin presque au hasard... " Je n'ai jamais pu, sans un sourire d'étonnement, relire ces gracieuses divagations. Comme tout ce qui est de la biologie, la botanique n'est pas un motif pour toile de Jouy, mais un objet de réflexions sévères parfois dramatiques. La botanique ne m'a jamais montré qu'un spectacle de luttes, d'invasions, d'oppressions, d'étouffements et de triomphes horribles. C'est le jardin qui réconforte, malgré ses cruautés, parce qu'il impose un ordre et souvent une harmonie. Mes voyages à pied, de même, bien qu'ils m'aient procuré les plus grandes et les plus petites joies de ma jeunesse, n'ont jamais représenté pour moi un divertissement badin. Quand je les revois, en rêve, je sens qu'ils ont été des aventures capitales, qu'ils m'ont permis de découvrir et d'observer de près des peuples destinés à jouer un grand rôle dans la vie de ma patrie et dans ma vie personnelle, ils m'ont appris bien des choses sur l'homme en général, sur mes amis et surtout sur moi-même. Ils ont représenté des épreuves d'endurance, avec des fatigues prodigieuses et de beaux assouvissements. C'est pourquoi, par la suite, j'ai tenté d'en donner le goût à la compagne de ma vie, ce à quoi j'ai réussi. Je n'ai pas eu un égal succès avec mes fils, et je le regrette. Mais quoi! dans le moment où mes fils parvenaient à l'âge d'homme, la mécanique était en train d'anéantir, chez les jeunes gens, la moindre velléité de voyager sur les jambes. Je dis encore: de voyager. Car le goût du camping, que je crois un goût très sain, n'est pas le goût du voyage. Et la passion de la montagne qui fait aussi d'heureux progrès dans la vie de nos jeunes gens, n'est pas du tout comparable à celle qui nous animait nous autres. Que des gaillard vigoureux et courageux éprouvent un noble plaisir à faire une ascension, surtout si elle est ardue et même chanceuse, voilà qui me plaît beaucoup. Pourtant l'idée de partir d'un village, d'atteindre la cime d'un mont, puis de rentrer au bercail, cela ne m'a jamais tenté. Ce qui me soulevait à l'époque de mes commencements, c'était de traverser plusieurs cantons, plusieurs pays, de franchir les montagnes, mais toujours pour aller outre, de découvrir, chaque jour, des horizons nouveaux qui vont pas à pas se transformer au long de la longue journée, de traverser des villages et des villes, de voir, après le passage d'un col, se creuser une vallée inconvenue, d'y observer les hommes, les animaux, la végétation, de surprendre de moeurs, d'admirer des édifices, de progresser hardiment dans l'intelligence du monde.

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