Il n’y a pas de « théorie du genre »

Savourons à nouveau l'humour et l'ironie du collectif néoluddite grenoblois...

Il n’y a pas de « théorie du genre », d’ailleurs Judith Butler en est l’auteur, mais il ne faut pas le dire.

Sachant que la pédagogie consiste à répéter et que la mission des mass media est de former les foules infantiles, on nous saura gré de rappeler qu’il n’y a pas de « théorie du genre », ni « supposée », ni « prétendue théorie du genre » ; et donc encore moins d’« invasion » de cette fumeuse « théorie du genre », grâce aux menées plus ou moins sournoises d’un mythique groupe de pression appelé « queer ». C’est du moins ce que nous serinent depuis des années les pédagogues du Monde, de Libération, du Nouvel Observateur (Eric Aeschimann, Mattea Battaglia, Stéphanie Le Bars, Frédéric Joignot, Luc Cédelle, Gaëlle Dupont, Nicolas Truong, Jean Birnbaum, Emilie Grangeray, Ondine Millot, Elisabeth Lebovici), parmi beaucoup d’autres missionnaires de la presse de province et jusqu’au Canard Enchaîné (Hervé Liffran).

En cela, ils ne font que vulgariser les vérités de la Science telles que nous les révèlent les biologistes, neurologues et généticiens (Axel Kahn, Laurent Cohen, Catherine Jessus, Catherine Vidal, Christine Petit), l’éthologue Frank Cézilly, les anthropologues (Françoise Héritier, Maurice Godelier), les sociologues (Eric Fassin, Irène Théry, Laure Béréni, Michel Bozon), les psychanalystes (Serge Hefez, Elisabeth Roudinesco, Sabine Prokhoris), les juristes (Danièle Lochak), les philosophes (Patrice Maniglier, Elsa Dorlin, Sandra Laugier) et autres spécialistes qui tiennent tribune dans la communication : historiens, « politistes » (Gérard Noiriel, Florence Rochefort, Lucie Bargel, Delphine Dulong, Sandrine Levêque, Frédérique Matonti, Sandra Boehringer, Estelle Ferrarese, Laurie Laufer, Sylvie Mondrate, Cécile Ottogalli, Muriel Sable), la genrologue Anne-Emmanuelle Berger, le diversologue Louis-Georges Tin, Jacques Attali, génie polyvalent - et on en passe des milliers qui nous le pardonneront bien. 

Les questions de genre étant scientifiques - et non politiques, ce n’est pas à la société, aux sociétaires, d’imposer leurs vérités partisanes au Savoir ; mais à la Science, forte de son autonomie et de sa « neutralité axiologique », au Parti du Savoir pur, rationnel et non-situé, d’enseigner la vérité à la société et aux sociétaires, comme le faisaient jadis la religion et le clergé1. C’est que la vérité d’une époque étant celle de la classe dominante à cette époque, les scientifiques disent à l’ère technologique, la vérité de la technocratie bourgeoise mondialisée. Les scientifiques ont voté et décidé - c’est « l’évaluation par les pairs ». A peine entend-t-on quelques voix incongrues. Celle de la philosophe Sylviane Agacinski protestant contre « L’Effacement des sexes »2. Celle du paléoanthropologue Pascal Picq en colère contre le détournement des « gender studies », « avec pour seul argument imbécile d’affirmer qu’il n’y a pas de sexe biologique »3. Ou - plus risible encore - le psychanalyste et philosophe Jean-Pierre Winter affirmant « La théorie du genre est une religion ! » 4

Mais il n’y a pas de « prétendue théorie du genre ».

Aussi ne croyez pas le sociologue Eric Fassin lorsqu’il écrit dans sa préface à l’édition française de Troubles dans le genre5 : « D’un autre côté, la philosophe semble proposer une théorie générale du genre, indépendamment des contextes historiques où il se déploie. »

Ne croyez pas davantage ce titre du Nouvel Observateur : « Théorie du genre : Judith Butler répond à ses détracteurs », ni même aux propos de Judith Butler, elle-même : « Dans les années 1980 et 1990, le croisement de la tradition anthropologique américaine et du structuralisme français a donné naissance à la théorie du genre. » (15 décembre 2013)

De même, on ne peut que s’esclaffer des divagations d’une certaine Sylvia Berger, « doctorante en études de genre », sur le site du Nouvel Observateur : « Judith Butler quant à elle n’hésite pas à parler de « théorie du genre », car il y a bien en effet, depuis les années 1970 des élaborations théoriques critiques. (…) Anne Berger qui dirige l’Institut du genre évoque elle aussi la théorie du genre dans Le Grand Théâtre du Genre. Identités, Sexualités et Féminisme en Amérique (Editions Belin, 2013) (…) Didier Eribon a raison de souligner que c’est bien de la théorie que produisent les études de genre. » 

Ignorez ces « repères » publiés dans Le Monde du 17 septembre 2011 et qui ne servent qu’à égarer le lecteur. « Théorie du genre (sic). Traduction des «gender studies », la théorie du genre distingue l’identité sexuelle biologique du genre, masculin ou féminin, et insiste sur la construction sociale et culturelle de l’identité sexuelle. »

Enfin !... quoi !... Sylvia Berger, Judith Butler, Didier Eribon, Jean-Pierre Winter, Pascal Picq, Sylviane Agacinski ! « Depuis des années, nous nous évertuons à répondre aux attaques à répétition contre la supposée théorie du genre. (…) Inlassablement, nous expliquons que le genre est un concept dont l’utilité a été démontrée de longue date (…) ; parler de la théorie du genre au singulier, revient à nier cette richesse inséparablement théorique et empirique. » Eric Fassin et ses co-signataires vous l’ont pourtant bien dit, inlassablement et à répétition, dans Le Monde6.

 Ces murmures, si minimes soient-ils, induisent un trouble dans le genre. Pour être crue et obéie, la Science, comme la religion, doit parler d’une seule voix. Tout schisme, toute contradiction, réduit le Savoir à une simple opinion, une question de goût, de croyance, de « ressenti » comme disent les inaptes au raisonnement. On se souvient que la Science n’a pas toujours enseigné la même chose. On sait qu’elle pourrait encore changer d’enseignement, qu’elle le fera. On soupçonne les scientifiques d’être d’abord des militants. Au moins des progressistes (enfin, leur progrès). Au pire des androphobes et des hétérophobes, pour renverser l’insulte médicale. Soudain ce n’est plus la Science qui dit la vérité. Le libre examen de la question revient dans la société, aux sociétaires ; il redevient politique. Tout le monde peut et doit parler, réfléchir, argumenter. Ce qui est évidemment fâcheux pour ceux qui entendent diriger au nom de leur expertise. - Quoi !... tout le monde !... Même les réacs, les cathos, les hétéroploucs, les obscurantistes ! – Oui, tout le monde. C’est bien ce que vous appelez démocratie, non ?

1 cf. Le Monde, 17 septembre 2011
2 cf. Le Monde, 6 février 1999
3 cf. Le Monde, 4/5 septembre 2011
4 cf. Le Cercle psy n°12, mars/avril/mai 2014
5 La Découverte, 2005
6 7 février 2014




Articles récents