Haine rouge et peur blanche

Nicole Morgan

Comment cinquante ans de pilonnage intellectuel systématique ont préparé le terrain américain pour qu'un Donald Trump puisse accéder à la présidence. Voici des précisions étonnantes sur les talkshows, Fox News et les procédés des frères Koch pour diffuser les idéés d'Ayn Rand dans les universités.

Ce texte est l’introduction d’un livre à paraître sur une révolution des pouvoirs à destinée mondiale. Il reprend et approfondit une partie d’un livre de Nicole Morgan publié aux Éditions du Seuil dont le titre est évocateur : Haine froide à quoi pense la droite américaine. Paru à la fin de 2012 peu avant la réélection du Président Obama ce livre documente entre autres la fabrication, sur un demi-siècle et à coups de milliards de dollars, d’une idéologie dure, celle du fondamentalisme de marché dont Donald Trump ne serait que la représentation la plus caricaturale[1].

Dans cet extrait, elle nous invite à dépasser l’événementiel, le journalier et le théâtral, et à plonger dans la longue durée en passant par les coulisses : voici donc un aperçu de la construction médiatique du mécanisme non institutionnel le plus puissant jamais mis en place dans une démocratie, dans le seul but de promouvoir un système de croyances. Prêtons-y attention car il est mondial

Haine rouge

Cette réflexion vise à prendre la distance nécessaire avec l’émotionnel qui envahit, avec des trémolos plus ou moins intenses, non seulement les États Unis mais de nombreux pays, la France notamment. Côté américain, cet émotionnel gravite autour de la personnalité du Président, absorbant presque toute l’énergie médiatique, tel un trou noir anéantissant toute la lumière.

Certes, l’analyse des turbulences émotives qui jalonnent l’histoire nous offre quelques repères mais il serait dangereux de se limiter à des comparaisons avec Hitler ou au rappel du passé de cette violence dont l’activiste noir H Rap Brown a dit qu’elle faisait autant partie de la culture américaine que la tarte aux cerises[2].  Non pas que ces analyses ne soient pas valides. Tous les régimes autoritaires se ressemblent et nous laisserons au génie d’Umberto Eco le soin de décrire les quatorze étapes de la montée de ce qu’il appelle le « fascisme éternel » ou (Ur-Fascism) [3]  ce régime autoritaire dans lequel États-Unis d’Amérique s’engouffre : Il fait également peu de doute que les plaies de la guerre civile qui divisa les États-Unis ne se soient jamais cicatrisées, pas plus que celles de la défaite cuisante du Vietnam.

On ne saurait sous-estimer le ressentiment à fleur de conscient des vaincus lorsqu’ils ont eu trop de pouvoir et succombent à leur hubris. [4] Il y a des guerres de conquête qui rêvent de nouveaux espaces et des guerres de reconquête qui rêvent, de califats version ISIS, d’une Grande Italia à la Mussolini, ou d’un retour à la pureté et grandeur aryennes promises par Hitler. Donald Trump joue sur les deux registres : la conquête de tous les marchés et la reconquête de l’hégémonie américaine menacée par la Chine ou mise à mal par une succession de défaites sur le terrain de toutes ses interventions armées à commencer par le Vietnam.  

Son casque de combat est une casquette sur laquelle on peut lire le slogan revanchard et rédempteur : Make America Great Again.

L’histoire de la violence politique est à la fois titillante et rassurante. Philosophie politique à l’appui, elle met de l’ordre dans le chaos en dévoilant les répétitions, les cycles, les rythmes, les mouvements dialectiques, ou selon Mark Twain, son tempo, car nous dit-il « L'histoire ne se répète pas, mais elle rime ». Cela n’en est que plus rassurant, en ce qu’elle ajoute une berceuse aux grandes orgues. Aux temps des violences se succèdent les temps de paix sur un fond d’humanité éternelle. On peut rêver alors de rythmes en spirale qui s’enroulent autour d’un axe appelé progrès auquel aspire l’humanité éternelle. Steven Pinker, chiffres à l’appui, et Hegel en mémoire, ne dénie pas l’existence du va et vient de la violence politique mais veut prendre suffisamment de distance pour prouver que la violence est en baisse depuis les débuts de l’humanité et que le sort de celle-ci s’améliore sans cesse.  [5]  

À un niveau moins existentiel, on se rassure sur le rythme de l’alternance des partis Républicain et Démocrate. Ruth Bader-Ginsburg, juge de la Cour Suprême américaine, qui ne cache pas l’inquiétude que lui inspire Donald Trump dit avoir néanmoins une foi totale dans la force de la Constitution Américaine et l’équilibre pendulaire des deux partis quelle que soit la violence de ses oscillations. Donald Trump, pense-t-on, finira par partir de gré ou de force, le Congrès (bi caméral) deviendra démocrate et on oubliera ce moment d’histoire que d’aucuns jugent malencontreux pour arriver à un compromis. C’est cela la démocratie en marche, tant qu’on veut croire qu’elle marche.

 Les signes sont prometteurs : en ce mois de décembre 2018, la Chambre des représentants a une majorité démocrate et le judiciaire américain est en train de tisser son filet autour du Président aux multiples escroqueries; certains se prennent à rêver à une mise en accusation qui le ferait sortir en toute légitimité de la Maison Blanche.

Tout est possible mais il faut savoir qu’il est peu probable qu’il parte docilement comme le fit Richard Nixon. Donald Trump a radicalisé une partie de l’électorat dans un pays où 350 millions d’armes à feu sont en circulation. Il se cherche une guerre à tout prix, civile ou autre. Il joue à fond la carte du nationalisme, la plus vieille des recettes de dernier recours de la canaille politique pour paraphraser Samuel Johnson[6].  

Ensuite parce qu’il n’est pas seulement une dérive d’un parti républicain qui n’existe plus. En fait, il n’est pas grand-chose sinon le porte-voix publicitaire d’une puissante idéologie universelle qui ne se déclare pas, le porte-parole d’un pouvoir mondial qui ne se montre pas, et « l’émotionnel » d’une intelligence artificielle qui orchestre le tout.

 Les ficelles de la marionnette

Commençons donc par ce que l’on a cru être le départ de cette montée fulgurante au pouvoir de Donald Trump, grâce à un mouvement populiste en colère qui a fait les choux gras de bien de commentateurs et le bonheur de tous ceux, et ils sont nombreux, qui pensent trouver dans les mouvements populaires la manifestation d’une saine révolte politique qui s’exprime contre des pouvoirs oppressants ou qui n’a pas su les écouter et encore moins les comprendre. Le populisme, écrit Matthijs Rooduijn est devenu terriblement sexy. Les journalistes ne se rassasient jamais d’en faire l’analyse. The Guardian, pour ne citer que lui, a publié en 2015 1000 articles sur ce thème. L’année suivante ils sont passés è 2000. (Il n’y en avait que 300 en 1998).[7]

Donald Trump, n’avait rien lu de cette Angst populaire mais avait compris qu’elle était exploitable. Il n’est pas un idéologue en ce que précisément il théorise très peu mais un vendeur qui, en bon publicitaire descend dans le marasme des émotions des clients et les attise dans le seul but de les inciter à acheter.

Sa méthode est brutale. Une fois le contrat de vente signé, il ne lâche plus rien. Donald Trump a bâti sa carrière dans l’immobilier sur le principe que tout est renégociable, achetable, manipulable par la force avec pour seul but de gagner. Une fois un immeuble terminé, (il) invoquait la piètre qualité des travaux (ou d’autres prétextes) pour éviter d’honorer ses engagements. Il imposait alors de nouvelles conditions aux divers corps de métier, en leur déclarant par exemple : « Je ne vous paierai que 75 % du montant dont nous avions convenu. » C’était à prendre ou à laisser. Ceux qui refusaient sa proposition n’avaient qu’à le traîner devant les tribunaux, prenant ainsi le risque de procédures judiciaires coûteuses et à l’issue incertaine face à des avocats aussi retors que coriaces.

 Dans son livre Trump : Think Like a Billionaire (Penser comme un milliardaire), en 2004, il conseillait à ses lecteurs de ‘’toujours contester les factures ‘’. Ses procédés de mauvais payeur étaient bien connus des fournisseurs et des banquiers, dont beaucoup refusaient de traiter avec lui. Dans Think Big and Kick Ass : In Business and Life (Être ambitieux et déchirer en affaires comme dans la vie, 2007), il dit aimer ‘’ écraser l’autre camp et encaisser les profits ‘’, et bien se moquer des banquiers qui ont perdu les sommes qu’ils lui avaient avancées. ‘’ C’est leur problème ; pas le mien. Je leur ai dit qu’ils n’auraient pas dû me les prêter[8][9] ».

Il aime en faire état, jouer les super boss dans des réalités shows (the Apprentice). Il écrit des livres à la gloire de sa méthode et dit à tous ceux qui veulent l’entendre que s’il était au pouvoir il réglerait tous les problèmes en un rien de temps. À vrai dire ce n’est pas un produit qu’il vend. Le produit c’est lui-même, la brutale méthode-Trump. Il a même fondé en 2004 la Trump University, une école dispensant des cours de management, une vaste escroquerie comme tout ce qu’il entreprend. Disons-le tout de suite avant de continuer : Donald Trump est le publicitaire total, et c’est ce qui fait sa force, ce qui fait de lui un des fers de lance les plus efficaces d’un nouvel ordre mondial d’un univers sur-médiatisé.

Lorsqu’il se présenta aux élections de 2016, la plupart des journalistes américains connaissaient ses méthodes et le considéraient comme un escroc de plus dans la faune new yorkaise dont il faisait partie[10].   Donald Trump, nous dit Frank Rich, pouvait y pratiquer la bigoterie sur une grande échelle. Il mentait sans vergogne, déplumait des clients investisseurs et la ville de New York. Et pourtant dans le cercle qui New Yorkais aucune horreur qu’il pouvait commettre ne méritait son excommunication. Au pire on en riait. On l’associait à une remarque, vieille de vingt-cinq ans, qui l’avait marqué au fer rouge. Le rédacteur en chef du magazine Vanity Fair l’avait épinglé comme un homme vulgaire aux petits doigts trapus (short fingered-vulgarian). Mais les cotes d’écoute de la CNN, par exemple, qui n’arrêtaient pas de chuter depuis des années, grimpaient dès que Donald Trump apparaissait. Les journalistes de renom se battaient pour l’interviewer.

Des analystes chevronnés, les Minute Rice Experts ont également profité des retombées de la manne médiatique, livrant force commentaires sur son narcissisme, son instabilité qualifiée d’infantile, ses cheveux oxygénés, son manque d’empathie flagrant, ses twits, sa vie sexuelle aussi débridée que sa pensée, ses alliances et mésalliances, les bouleversements au sein du parti Républicain débordé sur sa droite par cette vague que l’on disait populiste. La publicité a un côté charcuterie en ce qu’elle suit un principe paysan : dans le cochon tout est bon. Non seulement Donald Trump bénéficiait de cette publicité gratuite mais il avait l’art de s’en servir comme un boomerang. Plus on l’accusait de malversations financières, plus il déviait les projecteurs et accusait sa malheureuse adversaire, Hillary Clinton d’être un escroc qui méritait la prison. La foule aux anges scandait : lock her up (enfermez la).

D’autre fois il précédait une attaque à venir, criant au complot et abreuvant d’insultes le bouc émissaire du moment et surtout accusant la presse de propager de fausses informations. La foule n’arrêtait pas d’applaudir. Au terme de l’enquête judiciaire dont il fait l’objet ,on comprendra sans doute avec horreur qu’en fait Donald Trump ne cherchait pas tant la présidence qu’à renflouer ses hôtels qu’il cherchait à vendre à tout prix à la Russie entre autres.

Revenons au publiciste : Donald Trump se présente en sauveur et on le réclame. Toute une population qui a été préparée comme nous allons le voir par des décennies de propagande médiatique ciblée, le supplie d’appliquer la méthode Trump à l’entreprise défaillante sinon satanique désignée par cette propagande :  l’État au complet avec ses régulateurs et ses ayant-droits parasitiques. L’État c’est l’ennemi.

Un mantra commence sur le thème de : Vive la croissance, à bas le gouvernement, ses lois et ses institutions qui freinent la croissance et entravent votre liberté. Il dit : « Donnez-moi le pouvoir et cela ne prendra pas de temps, je vais vous débarrasser de tous ces parasites : les fonctionnaires, les immigrants, les mendiants, les empêcheurs de croissance écolo, ces intellectuels et scientifiques sui ne savent rien. » Il répète : « Les affaires il n’y a que cela de vrai. Regardez-moi : je suis riche, libre Suivez-moi ! Think big and Kick ass !. Et il ajoute à un public profondément anti intellectuel et ravi : « les médias vous mentent. Moi seul parle vrai. Je suis authentique. »

Non seulement il dit détenir la vérité mais il n’a pas besoin non plus d’être cohérent, surtout pas. Ironiquement, c’est son incohérence, sa spontanéité vue comme rafraichissante, ses twits, qui, selon une chercheuse de la Georgetown University, le fait apparaitre comme authentique et donc fiable aux Américains. Et ils sont nombreux ceux qui associent les intellectuels à la caste des aristocrates oppresseurs que leurs ancêtres avaient fuis[11].  Isaac Azimov n’aurait pas été surpris: « Il y a, écrivait-il en 1980, un culte de l'ignorance aux États-Unis, et il y en a toujours eu. La vague de l’anti-intellectualisme a été un fil conducteur permanent dans notre vie politique et culturelle, nourrie par la fausse notion selon laquelle la démocratie signifie que ‘’mon’’ ignorance vaut tout autant que votre savoir [12]

Azimov balaye trop large lorsqu’il parle de tous les Américains. Mais il faut savoir qu’il y a aux États Unis un clivage de classes abyssal que les Européens comprennent mal. Un immense fossé sépare le quart inférieur du quart supérieur, tandis qu’en Europe occidentale même les personnes les moins instruites et les moins fortunées sont presque aussi bien informées que les plus privilégiées. Rien de surprenant quand on sait que l’élite des médias américains s’engage à fournir ‘’ des informations de qualité pour un public de qualité ‘’, laissant à tous les autres le soin de se débrouiller avec le contenu indigent ou déformé des journaux télévisés ou de certains sites Internet[13]

Pour ces autres qui doivent se débrouiller avec un contenu indigent, il est vrai que l’ignorance, pourvu donc qu’elle soit authentique, est vertu suprême. Toute prétention à l'expertise produit une explosion de colère. On crie immédiatement à l’“abus d'autorité” fallacieux, aux signes évidents d'un “élitisme redoutable” et à un effort délibéré d’étouffer le dialogue nécessaire à une "vraie" démocratie. Les Américains croient maintenant qu’avoir des droits égaux dans un système politique signifie également que l’opinion de chacun sur n'importe quoi doit être acceptée comme égale à celle des autres. Tel est le credo de bon nombre de personnes, même s’il s’agit d’un non-sens évident et dangereux[14]

Les adversaires de Donald Trump apparaissaient donc comme faux, fourbes, incompétents, menteurs. Empêtrés dans leur croyance en la trilogie de la démocratie libérale (Information, liberté, bien commun) ils pataugent, statistiques en main, dans les preuves scientifiques étayant une vision du monde articulée qui, ils en sont certains, va persuader les masses dont ils supposent qu’elles aspirent à la liberté, l’égalité et la fraternité. En 2016, lorsqu’elle fit face à Donald Trump, Hillary Clinton, démonisée à un extrême degré par une pré campagne de publicité négative qui s’étendait sur vingt années, ne pouvait plus rien dire qui puisse changer la mauvaise opinion qu’une partie de cet électorat avait d’elle. Elle commit alors une erreur qui lui couta presqu’aussi cher que les brioches coûtèrent à Marie Antoinette qui n’avait pas compris que la France s’en allait vers une révolution. Elle traita les supporters de son adversaire de bande de minables (A basket of deplorables). Les indécis qui formaient un pourcentage décisif s’étouffèrent d’indignation et votèrent pour Donald Trump.

C’est bien une révolution

De fait, une révolution (au sens de changement radical de pouvoir) se préparait depuis une demi-siècle, et qui n’avait de populiste que l’apparence. C’est le temps du grand passage de la sphère d’un pouvoir public à un celle d’un pouvoir privé, d’un nouvel ordre mondial reposant sur des critères radicalement différents. Nous ne parlons pas ici d’une étape du capitalisme mais d’une redéfinition du bien commun lequel est calculé en fonction de son utilité dans les lois du marché dont on suppose qu’elles sont en harmoniques. C’est une de ces révolutions qui jalonnent la très riche histoire des échanges humains documentée par Fernand Braudel. C’est un de ces « défis » dont nous parle Toynbee, ces instants où se décident les partages de nouveaux territoires, accès et produits selon la formule d’Harold Lasswell qui définit parfaitement le champ politique : « Qui obtient quoi, quand et comment. »

À la question « qui » veut le pouvoir ? La réponse est simple. Si simple même qu’on pourrait dire avec John Kenneth Galbraith « qu’elle en est repoussante pour l’esprit. Lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi important, un mystère plus profond nous semble être la seule réponse décente ». Et pourtant cela n’a plus rien de mystérieux

Aux États-Unis donc, une partie du « secteur privé » voulait le pouvoir, non pas plus de pouvoir mais tout le pouvoir qu’il n’était même pas question de partager avec le secteur public qu’il fallait privatiser : santé, armée, police et prisons inclusivement. Nous sommes dans un tout autre registre que celui auquel l’Europe est habituée. Lorsqu’en France par exemple, on manifeste contre le gouvernement, on manifeste en fait contre un gouvernement que l’on veut remplacer par un autre. Le populisme américain veut la mort de tout gouvernement, ne cherche pas à le remplacer et n’a aucune conscience qu’il est déjà contrôlé par un autre pouvoir. Et il ne s’agit surtout pas d’anarchie, comme en rêvent les libertaires aveuglés par leur haine de toute forme de gouvernement, et qui n’ont pas compris qu’un pouvoir quasi absolu sera délégué à des décideurs en chair et en os.

On avance sur un terrain difficile où les concepts classiques de la politique et l’économie politique ne sont plus adéquats. Car ce n’est pas un pouvoir constitué; il ne siège pas en tant que tel à la Chambre des représentants ni au Sénat mais il est représenté par l’aile ultra du parti Républicain alias, le GOP (Grand Old Party) dont la mission n’est pas de gérer la sphère publique mais, nous ne le répéterons jamais assez, de la détruire.

 Et c’est un pouvoir mondial quoiqu’il utilise les nationalismes et dictatures politiques en tout genre à des fins pratiques. C’est un pouvoir sans visage même s’il est incarné par des hommes que Paul Krugman, prix Nobel d’économie, appelle les « milliardaires à la barre des pouvoirs publics ».

On commence aussi à mieux les connaître grâce aux enquêtes en profondeur de Jane Mayer sur les milieux financiers  [15], ou à celles de Divina Fau Meiss sur les médias [16] ou les analyses de Serge Truffaut [17]

Cela dit, même s’ils existent et sont relativement peu nombreux, ils ne se réunissent pas autour d’une table pour discuter de leur agenda commun que dans les romans de science-fiction ou les films de James Bond.   

Quoique…. il y eut bien une réunion initiale….

Le coup d’envoi a été donné au début des années soixante-dix : des millionnaires ultraconservateurs se sont effectivement rencontrés pour former un groupe d’action dont le but avoué était de sauver le pays de « l’emprise immonde du libéralisme satanique ».

Soyons plus précis, c’était en août 1971 :   Lewis Powell signa un manifeste qui fut diffusé, en toute confidentialité, par la Chambre de commerce des États-Unis. Il y dénonçait l’Attaque du système américain de libre entreprise. Sur le point d’être nommé à la Cour suprême, l'avocat Powell était un homme connu et respecté par le monde des affaires du pays. Sa mise en garde est tombée, avec la force d’un verset de la Sainte Écriture : « La survie de ce que nous appelons le système de libre entreprise, déclara-t-il, réside dans l'organisation, la planification et la mise en œuvre minutieuses à long terme, sur une période indéfinie, et avec tout le financement disponible d’une une action unifiée, tout azimut.  

Traduction : des milliards de dollars allaient être investis dans une propagande en règle dont le but était de s’infiltrer à tous les niveaux de l’enseignement, d’envahir tous les médias, afin de revenir à la doctrine du laissez-faire, endossée par le parti Républicain, et qui glissa à partir des années quatre-vingts vers une doctrine du laissez-tout-faire.

 Lewis Lapham compara l’entreprise à une pieuvre silencieuse dans un article choc paru en 2008 : « Les tentacules de la rage »[18]. La métaphore de « la pieuvre » n’est pas anodine : elle est non seulement associée à la mafia, mais aussi elle fut le surnom de la Standard Oil qui contrôla 90 % du pétrole américain.

On ne regarda pas à la dépense à commencer par la reconstruction de la pensée dans les centres de recherches et les universités avec l’aide des toutes puissantes « fondations » Ainsi fut créé « Le mécanisme non institutionnel le plus puissant jamais mis en place dans une démocratie, dans le seul but de promouvoir un système de croyances ». Les fondations ne sont pas nouvelles et ont contribué à l’essor des grandes universités américaines. Mais nous changeons ici de registre. Alors que les fondations philanthropiques traditionnelles ont continué à financer des projets au coup par coup, dans des secteurs très diversifiés, les fondations de la Nouvelle Droite ont conduit une politique étroitement ciblée et concentrée. Cette mutation s’est opérée dans les années 1990, sous l’impulsion de « familles » de pensée financièrement puissantes comme la Scaife Family Foundation, la Koch Family Foundation, la John M. Olin Foundation ou The Tentacles of Rage. Harper’s Magazine October 28, 2008: ou encore l’Adolph Coors Foundation. Elles financent et soutiennent les cinq principales institutions de la Nouvelle Droite – The Heritage Foundation, The American Enterprise Institute, The Free Congress Research and Education Foundation, The Cato Institute et Citizens for a Sound Economy – ainsi que quatre magazines conservateurs The National Interest, The Public Interest, The New Criterion et The American Spectator[19].

À titre d’exemple:  John M Olin a créé la fondation Olin et a dépensé près de 200 millions de dollars pour promouvoir « l ’idéologie de marché libre et d’autres idées conservatrices sur les campus du pays »., Il a financé une nouvelle approche de la jurisprudence appelée « loi et économie », en accordant 10 millions de dollars à Harvard, 7 millions à Yale et Chicago et plus de 2 millions à Columbia, Cornell, Georgetown et l'Université de Virginie.

Le montant de l'argent dépensé a été et est encore sans commune mesure. Entre 2005 et 2008, les Kochs ont consacré à eux seuls près de 25 millions de dollars à des organisations s’opposant à la lutte contre le réchauffement climatique. Une étude réalisée par un professeur de l’Université Drexel a révélé que 140 fondations conservatrices avaient dépensé 558 millions de dollars sur sept ans pour soutenir ce même objectif [20].

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l’objet de toutes les attentions ainsi que de toutes les largesses fut une famille d’économistes de l’École de Chicago dont certains reçurent un prix Nobel:  Milton Friedman (1976), George Stigler (1982), Gary Stanley Becker (1992), Ronald Coase (1991) et Robert E. Lucas (1995). Friedrich Hayek, Prix Nobel en 1974, peut également être considéré comme appartement à l’École de Chicago. 

L’intérêt évident de leurs études est que l’état politique avec ses lois et règlementations administrant l’harmonisation d’un bien commun est remplacé par l’état économique qui repose sur un acte de foi en une harmonie préétablie qui présiderait aux lois du marché.[21]

L’argent des mécènes fut bien placé. Sous l’égide de l’École de Chicago, sur des décennies, les structures de langage et de pensée changent dans les universités, médias et cercles politiques au point où il n’est plus possible de formuler une question politique sans référant économique où le bien commun est défini uniquement en termes de croissance économique.

Ce système de croyance est si simple qu’il sied à la logique binaire de l’informatique et qu’il nous impose une morale ou plutôt une discipline universelle : « la discipline du marché » laquelle est reliée à l’idée de concurrence libre, absolument nécessaire si l’on veut maximiser l’efficacité et donc les rendements. Les règlements et lois (vus comme non naturels, immoraux et inefficaces) ne sont pas jugés nécessaires car une main invisible veillera à tout, nous disciplinant au besoin. Selon cette doctrine, c’est le marché qui s’est chargé de discipliner et mettre au pas la Grèce, la France et l’Espagne, pays coupables d’être trop généreux envers des improductifs.

Ainsi comprendrons-nous mieux peut-être les politiques américaines faites de déréglementations et de privatisations qui, sur plus de trente ans, ont réduit le pouvoir de l’État ainsi que l’idée de Bien Commun à la simple croissance économique.« La main invisible »  telle qu’interprétée par Milton Friedman, frappa la réalité politique de plein fouet au point où nombreux sont ceux qui avancent l’hypothèse selon laquelle jamais philosophie politique, si ce n’est celle de Marx, ne contribua autant à changer la répartition des pouvoirs dans le monde en général et aux États-Unis en particulier.

Il faut savoir que Milton Friedman, qui est mort à un âge avancé, a eu jusqu’au bout l’énergie des grands prosélytes. Il a parcouru le monde de l’Inde à l’Islande en passant par le Chili, la Chine et les États-Unis où il se multiplia. Forts des conseils qu’il leur prodigua, les présidents, qu’ils soient démocrates ou républicains, acceptèrent comme une nécessité cette discipline du marché que Friedman disait nécessaire à la survie. On n’en discuta pas même les prémisses. Les présidents successifs parlèrent tous la même langue, utilisant des mots tirés d’un discours unique dont nous analyserons longuement la fabrication s’appuyant sur les sciences cognitives et le financement du lobbying.

On ne peut en effet comprendre la vie politique des États-Unis sans connaître l’influence du lobbying qui désespère, entre autres, l’un des observateurs les plus profonds de la scène politique américaine, Bill Moyers « Nos hommes politiques, déclare-t-il lors d’une conférence, ne sont guère que des blanchisseurs d’argent dans le trafic de pouvoir et de politiques ». Il ne s’agit pas ici d’une de ces phrases théâtrale aux quelles la scène politique française nous a habitués : aux États-Unis le passage de pouvoir du public au privé est un fait pratiquement accompli.

Cela est d’autant plus pernicieux qu’un passage est balisé entre le monde universitaire et les médias.  Dans un livre au titre explicite (The Republican Noise machine), David Brock, un conservateur à l’ancienne, explique comment[22]. Ce n’est pas tant la visibilité médiatique qui compte, dit-il, mais par-delà cette visibilité, la possibilité de modifier les orientations politiques. Elle consiste à formuler une argumentation critique et à proposer des solutions alternatives pour les faire avancer le plus tôt possible en fonction du calendrier politique annoncé par le Congrès. Ce faisant, leurs opposants, y compris les grands partis, sont contraints de prendre en considération leurs arguments. Ceux-ci se sont radicalisés autour des politiques de moralité et d’un programme unifié de valeurs fondamentales : individualisme, famille traditionnelle, privatisation des services publics, déréglementation du secteur industriel et de l’environnement, dévolution de la souveraineté aux États fédérés. [23]

Sous Georges W. Bush, le grand mouvement de privatisation avança par bonds y compris celle d’une partie de l’armée qui était déployée dans une guerre contre le terrorisme. On parla de conservatisme compatissant, ce qui signifiait en clair : redonner aux églises et autres entreprises l’éducation des enfants et la responsabilité des soins, jugés prohibitifs, qui incombaient à l’état providence. L’élection de Barack Obama réveilla en sursaut la machine bien huilée et ce d’autant qu’il entreprit immédiatement un projet de loi d’assurance santé et commença à parler environnement et réglementations

Il était temps donc pour les milliardaires à la barre de faire du clientélisme populaire et d’appeler un sauveur. Ou plutôt on devait maintenant chauffer à blanc les émotions de toute une partie de la population qui avait été savamment grillée sur les braises pendant des décennies. Si des milliards de dollars avaient été investis pour former dans la bonne direction le monde universitaire et une partie de la presse, des sommes encore plus importantes furent versées années après années dans les médias populaires. Nous ne le répéterons jamais assez : il ne s’agit pas de quelques donations à des groupes partisans qui sont de mise dans la vie politique moderne depuis qu’elle existe.  Nous allons parler milliards de dollars et d’un auditoire captif qu’on estime à plus du tiers de l’électorat américain.

On ne peut pas comprendre le phénomène Trump si on ne comprend pas que le « trumpisme » l’a précédé et va lui survivre.

Chauffage à blanc médiatique

Ce mouvement n’a guère été étudié par le monde universitaire dit de gauche qui vivait depuis la guerre du Vietnam dans l’arrogance de faire partie d’un mouvement historique : la marche vers la démocratie universelle. « Toute idée conservatrice, soupira John Kenneth Galbraith, était perçue comme une espèce d’irritant qui ne méritait pas le nom d’idée ». Encore moins pensait-on faire des études sur le terrain et descendre à un niveau de vulgarité qui ne méritait que le sarcasme. Ce sont les journalistes qui, en majorité, ont fait ce travail.

Ce qui explique que tout le monde fut pris par surprise lorsqu’un mouvement populaire apparemment sorti de nulle part, le Tea party apparut lorsque Obama brigua un deuxième mandat. Les braves gens brandissaient des pancartes l’accusant d’être Karl Marx, The ONE (le Satan de l’Apocalypse) ou le Joker. Je donne ici un petit aperçu du niveau de colère : « Dieu nous a donné une Nation chrétienne », « Parle pour toi, Obama : nous sommes un pays chrétien ». D’autres propos sont rédigés à l’encre de la xénophobie : « USA sort de l’ONU », « Fermez les frontières AUJOURD’HUI », « Qu’est-ce qu’un pays musulman a jamais fait pour vous ? ». La religion n’est pas loin et nous y reviendrons. Les pancartes se multiplient autour du thème : « Une éducation sans la Bible est inutile. »

On en fit les gorges chaudes ou on se plongea dans les études sur le populisme mais sans grand enthousiasme. Après tout, ce n’était pas un parti politique qui, par définition, nomme des candidats à la législature.

Mais ce petit mouvement, complétement financé et instrumentalisé par les milliardaires à la barre fut l’instrument qui installa au Congrès les Ultra Républicains qui purent ainsi proclamer être la voix du peuple, une voix radicalisée, gonflée de haine et pompée de peur, et qui a préparé le terrain via le Congrès à la venue de leur messie. …

Le Tea party et ses papas gâteaux

Le Tea Party semblait sorti du néant ou plutôt de l’imagination d’une bloggeuse qui, en 2009, appela à une révolte similaire à celle du Tea Party de Boston contre les impôts imposés sur le thé par la monarchie britannique, au XVIIIe siècle. Des manifestations « spontanées » du mouvement s’ensuivirent et des citoyens « ordinaires » protestèrent contre le déficit, les impôts et un gouvernement trop envahissant. Ainsi se forma apparemment ce Party qui, malgré son nom, n’est pas un parti politique, un troisième parti en formation qui aurait l’intention de siéger un jour au Congrès au côté des Démocrates et des Républicains.

Le pluriel est de mise dans ce mouvement qui, à première vue, paraît éclectique. Sous la bannière commune « Moins de taxe, moins de gouvernement ! » se regroupent des paranoïaques semi-délirants en paroles et brutaux en action, des intégristes religieux martelant la Bible de leurs poings, des athées qui agitent la Constitution américaine, des libertaires, des jeunes ne trouvant pas de travail, des mères de famille inquiètes pour eux, de nombreux préretraités au passé tranquille, des nostalgiques d’une Amérique toute-puissante, des économistes paniqués, des arrivistes en quête de pouvoir, de célébrité et de fortune, des illettrés et des docteurs en droit ou en philosophie et l’inimitable « Joe the plumber » se plaignant de impôts et qui, fort d’un succès télévisé de deux minutes, a brigué l’investiture républicaine à la Chambre des Représentants. Plus tard, on y retrouvera des indignés qui n’auront comme points communs avec les premiers Indignés que la force de leur sentiment. Mais ainsi en va-t-il des mouvements populaires… en surface.[24]

La diversité s’arrêta à la couleur de la peau. Elle était dans sa grande majorité blanche. Quoique dans un premier temps on évita toute insulte directe, un courant raciste était discernable, surtout dans les États du Sud.

C’est aussi un mouvement d’immense colère populaire contre ceux qui sont perçus comme des moochers, ceux qui profitent du système : immigrants, femmes célibataires qui font porter la responsabilité de leurs enfants au gouvernement, bénéficiaires du bien-être social, vus comme paresseux, escrocs, tire-au-flanc, faux malades, vrais drogués.

Une des autres attaques importantes porta sur le système scolaire américain qui garantit le droit de tous les enfants à une éducation. Sous le prétexte de faillite dans cette mission, le Tea Party demande ni plus ni moins que l’enfant soit rendu corps et âme aux parents et  aux églises, notamment à celles de la christianité toxique, qui entrent dans la lice, évangélistes en tête. L’Église catholique, celle qui déclare le riche indigne de rentrer au Paradis (tel le chameau qui ne pourra pas passer par le trou d’une aiguille) ne sera pas, c’est le cas de le dire, en odeur de sainteté.

Si la colère fusa dans tous les sens, notamment sur les aides et services qui étaient imputés aux institutions fédérales, elle s’est alors peu manifestée sur la manière dont les banques et autres institutions privées géraient leurs entreprises.

C’est un paradoxe, mais peu surprenant, lorsqu’on sait que le mouvement du Tea Party a été largement financé par trois géants de la finance que Frank Rich appela les sugar dadies (papas gâteau) aux poches très profondes et très …discrètes.

Écoutons-le : il est un des meilleurs analystes de la politique américaine Il n’y a qu’un élément, écrit-il, absent de ce qui est écrit sur le soulèvement populiste apparemment spontané et sans leader de l’Amérique : les papas gâteau qui le financent. Il y en a trois particulièrement généreux. Vous avez entendu parler de l’un d’eux, Rupert Murdoch. Les deux autres, les frères David et Charles Koch, sont encore plus riches, avec une richesse combinée dépassée uniquement par celle de Bill Gates et de Warren Buffett parmi les Américains.

Ils se sont cachés derrière les façades des fondations, telles The Americans for Posterity qui financa le Tea Party de concert avec deux autres (The Heritage Foundation, The Cato. Elles fournirent des speakers, des points de rencontre, des communiqués de presse, des moyens de transports et autres supports logistiques Les papas gâteaux, bien qu’invisibles, étaient partout.

On connaît leur but : Ils veulent se débarrasser 1) de la férule légale de l’État qui freine la croissance et les empêche de s’approprier et d’exploiter de nouveaux territoires 2) des trois responsabilités économiques que l’état assume : allocation des ressources, la fonction de distribution, la fonction des régulations et des coûts de l’État exorbitant lorsqu’il se veut État providence. Bref, ils veulent que la plus grande partie du secteur public sinon son entièreté passe aux mains du privé.  

Le spot publicitaire se danse avec le Tea Party comme un rap alternant entre deux messages : Il y a nous, nous, nous, les bons américains travailleurs et courageux et il y eux, eux, eux, eux ces vermines, ces politiciens corrompus qui profitent de nous, nous, nous aidés par la presse qui nous ment, ment, ment. Et on répète, répète. Hitler le disait lui-même : « La répétition fait la vérité. » C’est simpliste mais c’est diaboliquement efficace.

La rage des Talkshows

Dans les années quatre-vingt, les talkshows radiophoniques avaient commencé le travail de la répétition, distillant sans relâche sur les ondes, insultes, calomnies et haine ouverte envers les féministes, les écologistes, les minorités et plus particulièrement les immigrants.

C’est l’époque des fourches. On ne veut pas juste un changement de politique, on réclame sans cesse des têtes. On veut des coupures sanguinaires dans les allocations de l’État. Sous George W. Bush, une partie des Républicains commencent à les leur donner. Paul Krugman l’avoue : « Cela fait peur ».  Ce Prix Nobel d’économie n’arrive pas à trouver le sens des mesures économiques imposées par la Banque des règlements internationaux, qui s’en prend aux plus fragiles et aux démunis. Il cherche ses mots : Il le dit très vite à la fin d’un article « On dirait qu’ils ont affaire à un besoin impératif et profond d’infliger des souffrances, d’expurger le péché ou quelque chose comme cela ».[25]

Et c’est précisément de cela qu’il s’agit.

Lorsqu’Obama arriva au pouvoir en 2008, la rage monta d’un cran chez les « Cinquante-trois (53) millions d’auditeurs des 91 % des talkshows radiophoniques qui étaient conservateurs : 2570 heures de discours conservateurs étaient ainsi programmées chaque jour de la semaine à comparer avec les 254 heures de programmes dits progressistes ».  Le financement était (depuis trois décennies) et est toujours bien sûr assuré par les mêmes dons qui financèrent le Tea Party, à coup de centaines de millions de dollars[26]   

Dans la très bonne étude qu’il a consacrée aux talk shows radiophoniques, Mort Sébastien nous invite à faire connaissance avec l’animateur Rush Limbaugh, qui anime un talk-show conservateur américain très populaire et qui a joué un rôle important dans la vie politique du pays, notamment dans la reconquête du pouvoir par les Ultra Républicains en 2016. Son analyse vaut la peine d’être reprise ici.

Entre son lancement en diffusion sous licence (syndication) sur cinquante-cinq stations à travers le pays en août 1988 et les élections de mi-mandat de novembre 1994, qui ont marqué le retour d’une majorité républicaine au Congrès, The Rush Limbaugh Show est parvenu à s’imposer comme la première émission radiophonique toutes catégories confondues.

Cette année-là, Rush Limbaugh retrouve quotidiennement quelque vingt millions d’auditeurs sur pas moins de 650 stations. Depuis, le genre s’est diversifié sous l’effet de l’arrivée sur les ondes nationales de nouvelles émissions dont les animateurs ont développé un discours qui leur est propre sur la base d’un socle idéologique commun. Ainsi, au tournant des années 2000, Laura Ingraham, Michael Savage et Sean Hannity ont rejoint Rush Limbaugh dans le classement des animateurs de talk-shows radiophoniques les plus écoutés, toutes catégories confondues, et se hissent dans les cinq premières places du classement à l’automne 2009, Rush Limbaugh demeurant à la première place. L’audimat a quelque peu évolué depuis lors, mais en février 2014, Rush Limbaugh était toujours en tête du classement avec 14 millions d’auditeurs hebdomadaires, chiffre élevé pour un genre radiophonique qui demeure un média de niche.

 L’une des stratégies que déploient les animateurs de talk-shows radiophoniques pour attirer à eux les auditeurs consiste à dénoncer constamment l’idée d’un parti pris socio libéral (liberal bias) des médias grand public (mainstream media) et d’une collusion avec les forces du Parti démocrate : à leurs yeux, les journalistes trahissent la norme d’objectivité censée régir leur travail d’investigation. Ainsi, cette accusation, établie comme un paradigme indiscutable, légitime le propre parti-pris conservateur des animateurs de talk-shows conservateurs, tout autant qu’elle permet à ces derniers de prétendre donner de la visibilité aux citoyens conservateurs dont les idées sont sous-représentées dans les médias traditionnels

À cet effet, l’une des stratégies, poursuit Mort Sébastien, consiste à ouvrir les ondes en sollicitant l’intervention des auditeurs sur les sujets évoqués au cours de l’émission…. La participation des citoyens ordinaires est une des caractéristiques fondamentales des émissions radiophoniques aux États-Unis. Dès la fin des années 1960, plus de mille stations de radio à travers le pays propose aux auditeurs d’intervenir sur les ondes, ce qui a eu pour effet l’émergence de ce que certains chercheurs en communication ont décrit comme la démocratie du cadran téléphonique (dial-in democracy).

Toutefois, les animateurs de talk-shows radiophoniques conservateurs recourent également à un procédé plus subtil pour inclure le public dans leurs émissions : il s’agit de tirer pleinement profit de l’espace intime qu’offre la radio pour rappeler constamment aux auditeurs et auditrices que c’est bien à eux que l’animateur s’adresse et qu’il parle en leur nom. Ainsi, le propos des animateurs est émaillé de marqueurs dialogiques comme « let me tell you something » ou des vocatifs tels que « you people » qui suggèrent que le public de ces émissions n’est pas envisagé comme simple cible du message mais fait également partie du message, et sa présence, inscrite dans le discours-même de l’animateur, se manifeste par une utilisation très appuyée de la fonction phatique du langage[27] 

Presque tous les fondamentalistes, les terroristes qui recrutent pour Daesh entre autres utilisent la fonction phatique du langage dont l'objet est d'établir ou de prolonger la communication entre le locuteur et le destinataire sans servir à communiquer un message. Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit fonctionne (« Allo, vous m'entendez? »), à attirer l'attention de l'interlocuteur ou à s'assurer qu'elle ne se relâche pas (« Dites, vous m'écoutez? ») ou, en style shakespearien, « Prêtez-moi l'oreille! » − et à l'autre bout du fil, « Hm-hm! ». Cette accentuation du contact − la fonction phatique, dans les termes de Malinowski (...) −peut donner lieu à un échange profus de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers dont l'unique objet est de prolonger la conversation. 

En termes plus brutaux, il s’agit de faire croire à l’auditeur qu’il est écouté, qu’il est compris, qu’il y a conversation, un de ces moyens de séduction, hautement efficace, utilisés également par ceux qu’on appelle les dragueurs.

Une fois le contact de complicité établi, il ne reste plus qu’à prêcher ce que l’on veut prêcher.

Si vous écoutez Limbaugh, vous (l'auditeur) n'êtes jamais en faute. Vous êtes parfait. Vous êtes le cœur exceptionnel de l'exceptionnalisme américain. Le problème, ce sont eux - ces libéraux, ces étrangères, ces féministes, etc., au mieux des idiots et au pire de traîtres, qui vous détruisent et vous empêchent d’avoir la belle vie que vous méritez. : Nous avons une crise du gaz ? Ils refusent de nous laisser forer et utiliser le nucléaire. Nous avons une crise de l’éducation ? Ils ont un préjugé contre les écoles privées. Nous avons une crise de soins de santé ? C’est leur façon d’excuser le big gouvernement

Le dialogue entre l’animateur et l’auditeur est d’autant plus intime qu’on parle réalité. On invite tout le monde à donner des exemples de turpitude du gouvernement voleur et menteur et profiteur des deniers publics :il y aurait bien des critiques à faire sur la manière dont l’état providence a été géré.

De fait, Il y avait beaucoup des critiques à faire sur les abus et les exemples de mauvaise gestion étaient nombreux. Mais il ne s’agit pas ici pour les animateurs de prôner une gestion transparente et responsable. L’animateur n’est pas un journaliste qui dans des émissions de radio ou de télévisions enquête sur les crimes politiques avec preuves et analyses à l’appui, interviewant de multiples sources et demandant des réformes. Les talk-shows ne sont pas là pour informer, enquêter et faire de l’éducation civique. Ils veulent le rejet total de Satan, le Big Government. Si un auditeur ou une auditrice qui n’appartient pas à la tribu tente de téléphoner, même pour apporter une petite rectification l’animateur l’abreuve de sarcasmes et d’insultes et ferme la ligne brutalement. Les bénéficiaires de l’état providence, quel que soit leur handicap, sont couverts d’insultes.

Rien n’est épargné pas même les enfants malades : l’une des vedettes les plus virulentes de ces shows, dont il faut savoir qu’il a un doctorat, s’en prend, ce jour-là, à l’autisme « Voilà que maintenant la maladie du jour est l’autisme, hurle le Joker dans son micro. Vous savez ce que c’est, vous, l’autisme ? Eh bien moi je vais vous le dire. Dans 99 % des cas, il s’agit d’un enfant trop gâté qu’on n’a pas remis à sa place. C’est ça l’autisme. Qu’est qu’on me raconte que ces mômes-là crient ou restent silencieux ? Est-ce qu’ils n’ont pas un père pour leur dire : « Arrête ton cirque. Cela ne te mènera à rien dans la vie. Arrête de faire ton malin. Tiens-toi droit. Deviens un homme. Et arrête de rester sur ton derrière à brailler et hurler, espèce d’idiot. [28]

La Fox News

Intéressons-nous aux variations de la colère lorsqu’elle devient visuelle avec la Fox News, la chaine de télévision regardée par 85 millions de ménages (il s’agit de ménages composés de personnes seules et de couples).

La Fox News fait partie du groupe Fox Entertainment, possédé en majorité par le groupe de Rupert Murdoch, un papa gâteau particulièrement puissant, incontournable. Il est l'actionnaire majoritaire de News Corporation, l'un des plus grands groupes médiatiques du monde. En 2015, il est classé 32e personnalité la plus puissante du monde et 76e fortune mondiale par la revue Forbes. Avec une fortune personnelle estimée à 9 milliards de dollars, le magnat australo-américain est depuis plusieurs années régulièrement classé parmi les cent hommes les plus riches et les plus puissants de la planète.

 Au dernier recensement de février 2015, 95 millions d’Américains (soit un peu moins d’un tiers de la population) regardaient Fox News, soit 82% des clients de la télévision par câble et par satellite.

La Fox est moins obscène que les talk-shows, inégalables dans le genre mais les cibles des critiques du discours sont les mêmes. C’est moins rageur mais plus hargneux. Il n’y a aucun contre discours, critiques, pauses. Insultes entre les dents, loi du plus fort, nationalisme exacerbé (le drapeau des États-Unis toujours en arrière-plan du newsreader à l’antenne), il n’y a plus de barrière entre le commentaire personnel, qui tient bien souvent de l’éructation de café du commerce, et la présentation objective des faits.

Il faut un ennemi, c’est d’une manière générale celui qui pense différemment, qui refuse l’hégémonie des armes à feu, le débat contradictoire et posé, le parti démocrate étant une cible régulière, puis désormais l’étranger quel qu’il soit, et, inversement, le parti républicain est encensé outrageusement et en permanence. Avec les employés de Murdoch, écrit Jean Louis Legalery, on est très exactement dans ce que Jean-Jacques Lecercle appelle « la violence faite au langage et au locuteur par les contraintes ».

 Les pauvres sont présentés d’abord comme paresseux et dangereux. Ils sont bien évidemment étrangers en général dans la logorrhée foxienne (et donc ce ne sont pas de vrais américains) et vivent aux dépens des autres [29] Inlassablement Fox News n’a qu’un but, cliver, rejeter, mépriser celles et ceux qui pensent, agissent, se comportent différemment. Encenser les riches et les puissants, mettre au pilori les pauvres, les déshérités, tel est le programme quotidien à travers des mensonges. Quant à la pensée de Fox News et de son propriétaire, elle consiste à susciter la haine. « La haine, c’est l’hiver du cœur. » (Victor Hugo, poème XX, Il fait froid, du livre II des Contemplations, décembre 1830). Il n’en demeure pas moins que c’est une sinistre caisse de résonnance. [30]

Pour comprendre l’importance de ce qui est incompréhensible pour les Européens, il faut savoir que Donald Trump regarde tous les soirs la Fox qui donne sa bénédiction à son vocabulaire de violence.

Ce qui ne signifie pas que la philosophie politique n’a pas apporté une gravitas au propos, lesquels ont été empruntés à une femme, philosophe, dont les romans, pleins de mépris à l’égard de la vermine qui inspire les discours de la Fox, ont été financés pendant plusieurs décennies à coups de milliards de dollars. Elle s’appelait Ayn Rand.

Ayn Rand la passionaria du capitalisme

Cette Américaine d’adoption, née en Russie au début du siècle dernier, fut la pasionaria d’un capitalisme fondamentaliste attaquant le marxisme, cela va sans dire, mais aussi toutes les formes de socialisme européen, vers lesquelles se tournaient trop, selon elle, les États-Unis. Elle le fit à travers un discours philosophique à la gloire de l’individu mais ce ne sont pas ces écrits philosophiques qui furent la source de sa popularité.

Ce sont des romans fleuves à la gloire de l’individu entrepreneur qui en firent l’égérie incontestable d’une déferlante dont le but était de détruire l’état. Un but très clair puisque Rand le répétait : l’état c’est le mal.

Durant les années quatre-vingt, son roman-phare La Révolte d’Atlas se vendait en moyenne à 77 000 exemplaires annuellement pour atteindre à 95 000 durant la décennie suivante. Selon une étude menée conjointement en 1991 par la Librairie du Congrès américain et le Club du Livre du mois, La Révolte d’Atlas arrive en seconde place après la Bible, dans la liste des livres qui ont exercé le plus d’influence sur la pensée des Américains. Le fait est connu mais n’est pas apprécié à sa juste valeur car il faut comprendre ce que représente la Bible aux États-Unis où la pratique religieuse est intense.  

Il faut dire que la générosité des papas gâteaux qui ont financé radio et télévision conservatrices n’a connu aucune limite lorsqu’il s’est agi de celle qu’on appela La Déesse du marché. [31]Gary Weiss suivit la trace des généreuses donations et publia un livre au titre évocateur :  Ayn Rand Nation: The Hidden Struggle for America’s Soul

Elle y mit toutes ses passions. Tous ses romans mettaient en scène des héros beaux et solitaires (les entrepreneurs-créateurs) méprisant les parasites méprisables (politiciens, fonctionnaires, récipiendaires, immigrants illégaux, pauvres, ineptes et incapables) qui comme tous les parasites vivent aux dépens de leur corps porteur et dont il s’agit, ni plus ni moins de se débarrasser au risque pour le corps social d’y laisser sa peau. C’est théâtral et sans nuances, mais efficace pour construire ce genre de mythos sur lequel reposent les idéologies dures qui réclament des héros, et des victoires retentissantes par l’épée ou le canon et pour finir, le piétinement de l’ennemi, ici sans arme : la vermine.

Dans ses textes philosophiques comme dans ses romans, elle répète donc sans arrêt la mantra « l’État c’est le mal », employant le mot evil, si lourd de sens en anglais. Une variante est « l’État est le plus mortel ennemi des hommes ». En 1964, lors d’une interview donnée à Play Boy, elle s’explique : « Ce que nous avons aujourd’hui n’est pas une société capitaliste, mais une économie mixte – c’est-à-dire un mélange de liberté et de contrôles, lesquels sont en train de tendre vers une dictature. Les événements dans La Révolte d’Atlas se passent dans une société qui a atteint ce stade de dictature. Quand cela arrivera, si cela arrive, le temps sera venu de faire la grève mais pas avant ». Elle incite les géants (Atlas) de l’entreprise à se révolter, à se débarrasser de tout règlements et lois qui entravent la création de la fortune.  

Il est possible que Donald Trump se soit inspiré du discours qu’elle prononça à West Point en 1974 pour inscrire sur sa casquette : Make America great Again  : « Je peux dire – et il ne s’agit pas d’une banalité patriotique, mais avec une connaissance complète des racines métaphysiques, épistémologiques, morales, politiques et esthétiques nécessaires – que les États-Unis d’Amérique sont le pays le plus grand, le plus noble et, dans ses principes, le seul moral de l’histoire du monde. L’Amérique c’est le pouvoir de l’argent : Si vous me demandez de nommer la plus remarquable caractéristique des américains, je choisirais – parce qu’elle inclue toutes les autres – le fait qu’ils sont le peuple qui a inventé l’expression ‘’ faire de l’argent ‘ ».’

On ne s’étonnera pas qu’elle ait compté parmi les disciples les plus fervents de sa pensée, une élite politique et d’affaires dont faisait partie notamment Alan Greenspan, président pendant près de vingt ans de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis. L’homme qui pleura derrière le cercueil de son égérie (recouvert d’une gerbe de fleurs en $ barré) comme un enfant, n’a jamais caché qu’elle lui avait inspiré sa politique du total laisser-faire économique. Il est le plus connu de ses disciples mais la liste de personnalités toutes aussi influentes se réclamant d’elle est longue. En 1967, Ted Turner (dans sa période pré Jane Fonda) fit ériger 248 panneaux d’affichage gigantesques au nom de John Galt, le héros de La Révolte d’Atlas.

Après sa mort, les admirateurs continuèrent à lui rendre hommage. Et parmi les plus récents, de nombreux chefs d’entreprise dont Jimmy Wales le créateur de Wikipédia, Ronald Reagan, des noms de la presse écrite et parlée, des juges, notamment de la Cour suprême, des chefs de file du Tea Party et un bon nombre d’élus républicains à la Chambre des Représentants. Paul Ryan – le représentant du Wisconsin et président du Comité de la Chambre pour le budget répète à qui veut l’entendre que la lecture d’Ayn Rand a été le catalyseur qui l’a poussé à entrer en politique.

S’ajoutent à partir de 2010, les jeunes, en particulier les jeunes gens, séduits par l’éthique en noir et blanc de Rand et par sa vénération de l’homme solitaire, ignoré par un monde qui ne comprend pas ses dons. …

Les plus âgés qui entourent Donald Trump ne sont pas de reste et ne tarissent pas d’éloges. L’ex secrétaire d'État Rex Tillerson a désigné La révolte d’Atlas comme son livre préféré, tandis que le premier choix de Donald Trump (plus tard abandonné) au poste de secrétaire du travail, Andy Puzder, est le PDG d'une chaîne de restaurants appartenant à Roark Capital Group - un fonds d'investissement privé nommé d'après un des héros randiens. L’ex directeur de la CIA, Mike Pompeo, est un autre conservateur qui est un fervent admirateur. 

Trump n’est pas un idéologue et ne connaît probablement d’Ayn Rand que ses positions sommaires. Cela dit, il ne peut qu’avoir été inspiré par elle.

Un journaliste du Guardian le souligne: Trump ne peut qu’aduler Rand qui met sur un piédestal l’entrepreneur capitaliste mâle, l’homme d’action alpha qui domine les petites gens et les bureaucrates insignifiants - et fait avancer les choses[32][33].

C’est correct mais un peu court. D’abord le mot alpha est trop vague couvrant tous les comportements directifs ou agressifs d’un mâle (ou d’une femelle). C’est un mot qu’on utilise à tort et à travers, en faisant des comparaisons inadéquates avec les grands singes, par exemple.

Au niveau idéologique on comprendra que Donald Trump s’identifie d’autant plus au héros randien que Ayn Rand lui octroie dans sa politique un droit transcendant : et séparé : le droit des monarchies dites absolues. Le héros, le créateur-entrepreneur, ne doit rien à personne, n’a aucune imputabilité. Il est le souverain auquel on doit tout parce qu’on lui doit tout. Ses héros, l’architecte Howard Roark de La Source vive (The Fountainhead) ou John Galt de La Révolte d’Atlas, soliloquent au fil des pages, exaltant l’égoïsme du créateur qui ne sert personne et ne vit que pour lui-même. C’est uniquement en vivant pour soi que l’homme est capable de réaliser une œuvre qui est l’honneur de l’humanité. Le créateur n’a besoin ni des autres, ni de Dieu, ni de la nature.  Le héros Randien est vénéré par la femme.  Si Ayn Rand pense que les femmes et les hommes sont intellectuellement égaux, sous le couvert d’une science de sa création (la « psycho- épistémologie »), elle affirme que « l‘essence de la féminité est la vénération – le désir d’admiration de l’homme », qu’une « femme idéale doit vénérer les hommes, et qu’un homme idéal est le plus haut symbole de l’humanité ».

Du coup, le héros randien est en dehors de la morale. Howard Roark s’enflamme, ponctuant ses déclarations du leitmotiv “Je tiens à déclarer”. Il clame son indépendance et répète qu’il n’est pas un homme qui existe en fonction des autres dans une société d’esclaves ; ce qui lui permet d’ajouter qu’il ne se reconnaît envers les hommes aucune obligation autre que celle de respecter leur indépendance, comme il exige qu’ils respectent la sienne. « Je n’ai besoin ni de justification ni de sanction pour être ce que je suis, dit-il. Je suis ma propre justification et ma propre sanction ». En retour, ses employés bénéficieront de sa création sous la forme d’une manne de prospérité qui retombera sur ceux qui travailleront pour lui.

« Je suis ma propre justification et ma propre sanction », une affirmation qui résume toute la politique de Trump. !

C’est ce qu’il n’a cessé de dire depuis son élection.

Voici pour la partie consacrée à la préparation de l’avènement de Donald Trump. Elle ne traite ici que des Media classiques de ce qui fut pour reprendre la Lapham  « mécanisme non institutionnel le plus puissant jamais mis en place dans une démocratie, dans le seul but de promouvoir un système de croyances ».

Mais ce n’est pas la fin de notre analyse des médias : la toile ajouta non seulement une dimension nouvelle mais comme nous allons le voir tisse des fils invisibles qui rendent les pouvoirs non seulement plus puissants mais quasiment indestructibles. ….

 

 

 


 

[1] À la quasi veille des élections américaines de 2012 je publiais: Haine Froide, à quoi pense la droite américaine? La date choisie n’était ni politique ni même opportuniste. C’était une coïncidence. Moins fortuit en revanche était le titre d’un article vieux de 24 ans : De Thomas More à Donald Trump .
Il ne s’agissait pas cette fois de coïncidence. Ce n’était pas non plus fantaisie d’auteure en quête d’associations chocs, et c’était encore moins une intuition. J’en manque totalement. Je suis une laborieuse qui s’efforce à faire une lecture à ras des textes philosophiques que je replace dans leur contexte historique; lesquels à cette époque, étaient principalement ceux des philosophes du Moyen Âge et de la Renaissance. En 1992, Donald Trump me paraissait le mieux caractériser (au sens de caricature) la fin de parcours d’une idéologie politique moderne qui avait commencé à se construire sur le modèle de l’Utopie de Thomas More , cette belle idée libérale, qui se meurt sous nos yeux.

Nicole Morgan : Le Saint la mégère et le truand. L’Encyclopédie de l’Agora

http://agora.qc.ca/documents/le_saint_la_megere_et_le_truand


 

 

[2] Dans un discours prononcé à Washington en 1967, voici ce que dit exactement H. Rap Brown: “I say violence is necessary. Violence is a part of America’s culture. It is as American as cherry pie. Americans taught the black people to be violent. We will use that violence to rid ourselves of oppression if necessary. We will be free, by any means necessary.

 

[3] En 1995, Umberto Eco publiait dans la New York Review of Books un essai intitulé Ur-Fascism, adapté d’un discours qu’il avait tenu à la Columbia University: il y revenait sur son expérience personnelle du fascisme italien, et avançait une grille d’analyse des signes avant-coureurs du basculement d’un régime politique vers le fascisme. Un texte traduit en français est paru en 2017

Umberto Eco:  14 signes pour reconnaître le fascisme. Les nouveaux dissidents.  7 avril 2017 https://www.lesnouveauxdissidents.org/single-post/2017/07/24/umberto-eco-14-signaux-pour-reconna%c3%aetre-le-fascisme.

[4] Carl Jung dans une interview accordée en 1947 avait mis en garde les États-Unis contre l’Hubris à venir qui aveugle les victorieux. Le psychanalyste jungien James Hillman parle de déni de mort. Dans cet interview, il parle de l’obsession du futur qui est en fait un déni qui ne fait qu’ajouter à la décrépitude en cours. .  Pythia Peay : America and the shift of Ages : An Interview with William James Hilllman

https://www.huffpost.com/entry/america-and-the-shift-in_b_822913

 

[5] The Better Angels of Our Nature (La Part d’ange en nous,  Les Arènes,2017). 

[6] Boswell nous explique que that Samuel Johnson prononca la phrase fameuse en avril 1775.  (Patriotism is the last refuge of a scoundrel) Il précisa qu’il ne s’agissait ici que d’un faux patriotisme.

[7] Why is populism suddenly all the rage?  The Guardian, 20 Novembre 2018

https://www.theguardian.com/world/political-science/2018/nov/20/why-is-populism-suddenly-so-sexy-the-reasons-are-many

 

[8] Ibrahim Warde, Le Monde Diplomatique. Le diktat iranien de Donald Trump.

https://www.monde-diplomatique.fr/2018/06/WARDE/58766

 

[10]  Frank Rich. The Original Donald Trump. NYMagazine Avril2018.

 http://nymag.com/intelligencer/2018/04/frank-rich-roy-cohn-the-original-donald-trump.html

 

[11] Nicole Morgan. La pathétique fin de la cause pathétique  

http://agora.qc.ca/documents/politique_rhetorique_et_art_du_mensonge_ Politique, rhétorique et art du mensonge.

 

[12] Isaac Azimov. A Cult of Ignorance Column in Newsweek 21 Janvier 1980

 

[13]  Rodney Benson: Métamorphoses du paysage médiatique américain. Le Monde Diplomatique, septembre 2017.

https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/BENSON/5783

 

[14]  Tom Nichols. América’s Cult of Ignorance. Avril 2017 https://www.thedailybeast.com/americas-cult-of-ignorance

 

[15] Jane Mayer Dark Money: The Hidden History of the Billionaires Behind the Rise of the Radical Right. Random House Canada

[16]  Divina Fau-Meiss Les médias et l'information dans l'Amérique de George W. Bush  Vingtiéme Siécle. Revue d’histoire 2008-1 (no 97) pages 143 à 157

[17]  Serge Truffaut. Anatomie d’un désastre. Éditions Somme toute. 2017

http://editionssommetoute.com/livre/anatomie-dun-desastr

 

[18]  Lewis Lapham The Tentacles of Rage. Harper’s Magazine October 28, 2008:

 

 

[19] Divina Fau-Meiss Les médias et l'information dans l'Amérique de George W. Bush  Vingtiéme Siécle. Revue d’histoire 2008-1 (no 97) pages 143 à 157

[20] Jane Mayer. Dark Money, op.cit.

 

[21] John Kenneth Galbraith. La maîtrise sociale de l’économie Par Ludovic Frobert CNRS / ENS LSH

Publié chez Michalon, collection « Le bien commun », 2003.

 

 

[22] David Brock The Republican Noise Machine: Right-Wing Media and How It Corrupts Democracy . Crown publishers. 2004

 

[23] La stratégie de la Nouvelle Droite envers les grands médias est multiforme : elle consiste à les surveiller, à les intimider et à les supplanter par des médias alternatifs. La Nouvelle Droite possède donc son observatoire, Accuracy in the Media (AIM, acronyme signifiant à la fois la cible et le but en anglo-américain), en pare-feu à Fairness and Accuracy In Reporting (FAIR, acronyme signifiant la justice et l’impartialité), qui publie le Media Monitor en réponse à Extra ! En outre, elle s’est dotée d’instituts de recherche spécialisés dans les médias, comme The Center for Media and Public Affairs, The Center for the Study of Popular Culture, The Media Research Center et The Center for Science, Technology and Media. Ces institutions, aux financements puissants, ont pour mission de critiquer les médias généralistes, et notamment ceux de service public (PBS et NPR) pour leur manque d’objectivité et leur penchant « libéral ». Divina Frau Meigs. Op.cit. https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2008-1-page-143.htm

 

[24] Nicole Morgan. Haine froide. À quoi pense la droite américaine. Paris, Le Seil. 2012.

[25] Paul Krugman Dollars, Cents and Republican Sadism. NYTimes 11 janvier 2018

[26]  The Economist . Politics New Cash Nexus. 17 Juin 2011 https://www.economist.com/democracy-in-america/2011/06/17/politics-new-cash-nexus

 

 

[27] Mort Sébastien Le statut du public des talk shows radiophoniques conservateurs des États-Unis « youfolks  »ou la stratégie d’inscription du public

  http://www.revue-interrogations.org/Le-statut-du-public-des-talk-shows

[28] Michael Savage https://tunein.com/podcasts/Conservative-Talk/The-Savage-Nation-p20626/

[29] Jean LouisLegalery. Fox News, Incubateur de haine et de mensonges. 29 mars 2017 https://blogs.mediapart.fr/jean-louis-legalery/blog/290317/fox-news-incubateur-de-haine-et-de-mensonges

 

s

[31] Jennifer Burns Goddess of the Market: Ayn Rand and the American Right. Oxford University Press. Octobre 2009.

 

 

[32]  Jonathan Freedland. The new age of Ayn Rand: How she won over Trump and Silicon Valley. 10 avril 2017.https://www.theguardian.com/books/2017/apr/10/new-age-ayn-rand-conquered-trump-white-house-silicon-valley

 

[33]

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