Les enjeux stratégiques de l'eau et les initiatives internationales récentes (1)

Ministère des Relations internationales du Québec
Le présent document a été publié en mai 1999 par la Direction générale des politiques et la Direction des relations interministérielles et des affaires sectorielles du MRI.

Il expose sommairement les principaux enjeux mondiaux de l'eau et fait état du droit international relatif aux ressources en eau partagées. Un survol des principales initiatives internationales et de l'évolution des principes d'action adoptés par la communauté internationale au cours de la présente décennie est ensuite présenté, notamment ceux adoptés lors du Sommet de Rio. Enfin, les engagements internationaux du Québec relatifs à l'eau sont détaillés, notamment les engagements pris dans le cadre de conventions environnementales internationales et ceux contractés dans le cadre de la coopération nord-américaine.

Ce document est le premier d'une série de quatre. Les trois autres s'intitulent :

2. Gestion intégrée des ressources en eau : modèles étrangers et expériences récentes

3. Les marchés internationaux de l'eau : exportation d'eau douce et marché des infrastructures et des services urbains

4. Modes de gestion des services municipaux et partenariats public-privé dans le monde : survol de quelques expériences


1. Les enjeux mondiaux de l'eau

1.1 La répartition des ressources mondiales d'eau douce

L'eau recouvre 71 % de la surface de la Terre, mais l'eau douce ne représente que 2,5 % de l'eau présente sur la planète. Soixante-dix pour cent de l'eau douce présente sur Terre se retrouve sous forme de calottes glaciaires et la quasi-totalité du reste se retrouve dans le sol sous forme d'humidité et à l'intérieur de nappes aquifères profondes. Seulement 0,007 % de l'eau douce de la planète est accessible pour l'usage humain.

Le débit annuel total des cours d'eau de surface et des nappes souterraines est de 44 800 km3 par an, dont 12 500 km3 sont aisément accessibles pour l'usage humain. Ce débit est caractérisé par une variabilité saisonnière considérable, plus de 60 % du débit annuel mondial étant généré lors de périodes d'inondations suivies de sécheresses pouvant s'étendre sur plusieurs années dans certains cas.

Outre ces variations saisonnières, le débit mondial se caractérise par une importante variation géographique. En effet, 9 pays se partagent 60 % du débit annuel mondial. À lui seul, l'Amazone transporte 16 % du débit annuel mondial et le Congo-Zaïre, près du tiers du débit annuel africain. Inversement, les zones arides et semi-arides, qui représentent 40 % des terres émergées de la planète, ne bénéficient que de 2 % du débit mondial.




1.2 La population mondiale et les pénuries d'eau douce

L'humanité utilise actuellement 54 % des ressources accessibles en eau, soit environ 6000 km3 par année. Cette proportion pourrait s'élever à 70 % en 2025. Or, les nouvelles sources d'approvisionnement sont de plus en plus coûteuses à exploiter en raison de leur éloignement, de leur inaccessibilité (nappes aquifères profondes, sources montagneuses, etc.) ou des impacts environnementaux impliqués. Cette contrainte laisse entrevoir des pénuries grandissantes dans plusieurs régions du globe.

La consommation d'eau potable a été multipliée par 7 au XXe siècle, consommation caractérisée par une intensification du phénomène à partir de 1950 et une multiplication par 2 au cours des 20 dernières années. La croissance de la population mondiale est à la base de cette augmentation de la consommation d'eau. En effet, la population de la Terre a été multipliée par 4 au XXe siècle, passant de 1,6 milliard d'individus, en 1900, à 6 milliards au tournant du XXIe siècle. Cette croissance de la population entraîne une seconde cause de l'augmentation des retraits d'eau douce, soit l'intensification de la production agricole, notamment celle de l'agriculture irriguée. Finalement, l'industrialisation a entraîné une augmentation des retraits d'eau douce et des rejets polluants dans la plupart des régions du monde.



On estime que le débit mondial par habitant a diminué de 37 % depuis 1970. Entre 1970 et 1994, le débit annuel per capita a été divisé par 3 en Afrique, par 2 en Asie et par 1,5 en Amérique du Sud. Ainsi, les Nations unies estiment qu'un tiers de la population mondiale, soit 2 milliards de personnes dans 80 pays, se retrouve actuellement en situation de contrainte hydrique modérée à grave. Plus précisément, 460 millions de personnes, soit 8 % de la population mondiale, vivent dans des pays faisant face à des situations de contraintes hydriques avancées et 25 % de la population mondiale se retrouve en situation de contrainte modérée.

Les régions les plus touchées sont le Moyen-Orient, l'Asie centrale, l'Inde, l'Afrique sub-saharienne et, de manière générale, les zones arides et semi-arides de la planète. Les besoins en eau sont si considérables qu'en plusieurs endroits, le débit des cours d'eau diminue vers l'aval, plusieurs cours d'eau n'atteignant plus la mer pour des périodes variables durant l'année. C'est le cas notamment du Nil, du Gange, du fleuve Jaune en Chine et du Colorado, aux États-Unis. La mer d'Aral, en Asie centrale, qui était, en 1960, le quatrième plan d'eau douce à l'échelle mondiale, ne couvre plus aujourd'hui que 50 % de sa superficie initiale, en raison notamment de l'irrigation intensive des cultures de coton. Quant aux nappes phréatiques, elles sont en déclin sur tous les continents et plusieurs nappes fossiles, créées par la fonte de glaciers il y a plusieurs milliers d'années, s'épuisent rapidement.

Les Nations unies anticipent une croissance de 45 % de la population mondiale entre 1995 et 2025. Cette hausse portera la population mondiale à 8,3 milliards d'individus en 2025, ce qui entraînera des pressions importantes sur les ressources en eau douce du globe. On estime que les retraits d'eau douce augmenteront de 12 % par décennie au cours de cette période. On anticipe donc que les deux tiers de la population mondiale devraient se retrouver en situation de contrainte modérée à grave en 2025, dont 2,3 milliards de personnes en situation de pénurie grave.

1.3 La sécurité alimentaire mondiale

La production agricole a augmenté considérablement depuis le début des années 1950. La révolution verte, qui s'est déroulée à partir de 1950, a permis à la production alimentaire de surpasser la croissance de la population mondiale. L'utilisation de nouvelles semences, de fertilisants, de pesticides, mais surtout le recours systématique à l'irrigation ont permis de réaliser cet exploit. Ainsi, la croissance annuelle de la production céréalière dans le monde, depuis 1961, a été en moyenne de 3 %. Le rendement mondial moyen est passé de 1,06 tonne par hectare en 1950 à 2,7 tonnes par hectare en 1997, soit une augmentation de 155 %. La production alimentaire mondiale par habitant a augmenté de 38 % entre 1950 et 1984, pour décliner ensuite de 6 % entre 1984 et 1997.

Huit cent quarante millions de personnes souffrent actuellement de la faim dans le monde et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que la production alimentaire mondiale devra être multipliée par 2 d'ici l'an 2050 pour satisfaire les besoins d'une population grandissante. La production alimentaire devra être triplée dans les pays en développement et quintuplée en Afrique et au Moyen-Orient, 2 régions où la rareté des ressources en eau douce constitue déjà de sérieuses contraintes à la production agricole.



Source : World Watch Institute


Une grande partie des progrès réalisés depuis 50 ans provient d'une augmentation de 1 % par année de la superficie des terres irriguées dans le monde. L'agriculture irriguée contribue pour près de 40 % à la production mondiale, alors qu'elle n'est appliquée que sur 17 % des terres cultivées. Les prélèvements d'eau à cette fin ont augmenté de 60 % depuis 1960. Globalement, on estime que l'agriculture est responsable de 70 % des prélèvements d'eau dans le monde et de 93 % de la consommation mondiale d'eau douce. Entre 40 % et 50 % de l'eau prélevée est perdue en raison de techniques d'irrigation inefficaces.

La superficie des terres irriguées dans le monde croît actuellement moins rapidement que la population mondiale. Les Nations unies estiment que 80 % de l'augmentation de la production alimentaire mondiale requise pour faire face à la croissance démographique devra provenir de l'agriculture à irrigation intensive. Cela signifie que les prélèvements d'eau douce à des fins d'irrigation devraient augmenter de 50 % à 100 % d'ici 25 ans pour rencontrer les besoins alimentaires mondiaux, ce qui représente pratiquement toute l'eau économiquement disponible sur la planète.

L'intensification agricole des 50 dernières années a considérablement affecté les sols et les ressources en eau douce à travers le monde. Plusieurs des nappes souterraines utilisées pour l'irrigation sont en voie d'épuisement, ayant baissé de plusieurs dizaines de mètres en certains endroits, ce qui entraîne parfois un affaissement des sols. Par exemple, le niveau de la nappe aquifère des plaines du centre de la Chine, d'où provient 40 % de la production agricole du pays, a baissé d'un à deux mètres. En Inde, on estime que la production du pays pourrait chuter de 25 % en raison de la surexploitation des nappes souterraines. Globalement, on évalue que la production agricole engendre un déficit annuel de 160 millions de mètres cubes d'eau, soit l'équivalent de 10 % de la production mondiale.

L'usage intensif d'engrais chimiques et de pesticides en agriculture entraîne une contamination des cours d'eau et des nappes souterraines. De plus, l'irrigation intensive entraîne une dégradation des sols, notamment par leur salinisation. La FAO estime que 20 % des 250 millions d'hectares des terres irriguées dans le monde sont affectées par le sel, chiffre qui progresse à raison de 1,5 million d'hectares par année. Dans l'ensemble, 300 millions d'hectares sont sévèrement dégradés dans le monde et 1,2 milliard d'hectares le sont modérément, ce qui représente 10 % du couvert de végétation mondial. Les Nations unies estiment que près de 25 % des terres émergées de la planète sont menacées par la désertification.

La FAO affirme que la sécurité alimentaire mondiale devra passer par les biotechnologies et par l'adoption de nouvelles techniques d'irrigation plus efficaces. On estime que des mesures d'efficacité dans l'irrigation pourraient mener à des économies d'eau douce de l'ordre de 60 % à 70 %, libérant ainsi des ressources essentielles à la croissance de la production. Déjà, dans plusieurs pays, on utilise des eaux usées légèrement traitées dans l'irrigation pour compenser la rareté grandissante de la ressource. On fonde beaucoup d'espoir en une nouvelle révolution verte qui, cette fois, serait centrée sur la durabilité.

1.4 Les défis urbains du prochain siècle

En 1995, la Terre comptait 321 villes de plus d'un million d'habitants et 15 mégapoles de plus de 10 millions d'habitants. Ces chiffres doubleront au cours des 30 prochaines années. Le globe comptera 64 villes de plus de 5 millions d'habitants en 2025. Quatre-vingt-dix pour cent de la croissance démographique se déroulera en zone urbanisée au cours de cette période, le taux d'urbanisation passant de 37 % à 56 %. Cette croissance effrénée entraînera des pressions énormes sur les ressources en eau, tant sur le plan des retraits qu'en ce qui concerne les rejets polluants.


Les villes en 2025
Population totale:
   
+10 millions d'habitants:
+5 millions d'habitants:
+1 millions d'habitants:

Taux d'urbanisation:

4,7 M

30
64
650

56%

90% croissance de la population mondiale en zone urbanisée

Un milliard quatre cents millions d'individus, soit 25 % de la population mondiale, n'ont pas accès à une eau potable de qualité. Un milliard trois cents millions de personnes ont eu accès à l'eau potable entre 1980 et 1990 mais le niveau d'investissement, depuis lors, n'a pas permis de suivre la croissance de la population. Le nombre de résidents des villes en développement n'ayant pas accès à l'eau potable a augmenté de 60 % au cours de la dernière décennie pour se fixer à 380 millions. On estime que la consommation d'eau des populations urbaines doublera au cours des 30 prochaines années et que la consommation industrielle quadruplera pendant la même période.

La moitié de la population du globe ne dispose pas d'infrastructures d'assainissement. Le nombre de personnes desservies par de telles infrastructures a augmenté de 750 millions au cours des années 1980, mais la croissance de la population a fait en sorte que 300 millions de personnes se sont ajoutées, entre 1990 et 1997, aux 2,6 milliards qui n'avaient pas accès à l'assainissement. Dans l'ensemble, 90 % des eaux usées des pays en développement sont rejetées sans traitement, ce qui entraîne des conséquences dramatiques pour la santé, les écosystèmes et l'économie des régions touchées. La contamination des rivières, des lacs et des nappes souterraines, par les déchets humains, industriels et agricoles constitue donc l'un des problèmes les plus importants dans les pays en développement.

Le problème de l'eau potable et de l'assainissement dans les pays en développement se pose dans un contexte de contraintes importantes sur les plans du financement et des modes de gestion des ressources. Dans plusieurs villes, on devra consacrer l'équivalent de 1 % du produit intérieur brut simplement pour maintenir les niveaux de services actuels, sans pour autant être en mesure de les étendre à une plus grande proportion de la population. C'est dans ce contexte que les villes des pays en développement font de plus en plus appel à des consortiums privés financés en partie par les institutions multilatérales de financement, comme la Banque mondiale, afin de se doter de systèmes d'alimentation en eau potable et d'assainissement pouvant répondre aux besoins de la population. De grands progrès doivent également être réalisés en ce qui concerne la gestion des ressources en eau potable et des services urbains.

1.5 Les enjeux de la santé

On évalue à 250 millions annuellement le nombre de personnes atteintes de maladies reliées à une eau impropre à la consommation dans le monde. Chaque année, ces maladies font entre 5 et 10 millions de victimes, ce qui représente approximativement 7 % des décès reliés à des maladies dans le monde. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que la moitié de la population des pays en développement, en grande majorité des enfants, est affectée par des maladies infligées directement par une eau de mauvaise qualité ou indirectement, par l'intermédiaire d'organismes porteurs d'infections et de virus. Dans ces pays, 80% des cas de pathologies recensés trouvent leur origine dans une eau de mauvaise qualité.

Parmi les maladies les plus fréquentes, on retrouve la malaria qui menace 2 milliards de personnes, atteignant annuellement plus de 100 millions de personnes et entraînant 2 millions de vies humaines par année. Le choléra qui suit fréquemment des catastrophes naturelles a connu une recrudescence au cours des années 1990, notamment en Amérique du Sud et en Afrique. La typhoïde, la fièvre Dengue, les vers intestinaux, la fièvre jaune, la dysenterie et plusieurs autres maladies intestinales figurent dans la liste des maladies reliées à l'eau. Par ailleurs, la contamination agricole et industrielle est à l'origine de maladies industrielles tels les cancers, les malformations congénitales et les maladies du système nerveux et du système immunitaire. La contamination par les métaux lourds et les produits toxiques se retrouve à l'origine de ces maladies.



Les coûts sociaux et économiques de ces maladies sont difficiles à quantifier, mais une évaluation conservatrice permet d'arrêter plusieurs centaines de milliards de dollars par année les coûts de ces pathologies en soins de santé et en activités économiques perdues. La seule épidémie de choléra au Pérou, en 1991-1992, a coûté à ce pays un milliard de dollars en revenus d'exportation et en recettes touristiques perdus. Les coûts sociaux et économiques extraordinaires associés à ces maladies constituent un frein au développement des pays les plus pauvres de la planète.

Une grande partie de la solution à ce problème réside dans le traitement des eaux usées urbaines et industrielles dans les pays en développement. L'élimination progressive de certains produits hautement toxiques tels les polluants organiques persistants (POPS) incluant les BPC, le DDT et les métaux lourds (plomb, mercure, etc.) dans les procédés industriels et dans l'agriculture, font également partie des solutions. Finalement, des campagnes d'éradication de certaines maladies, soutenues par l'OMS et plusieurs organisations de coopération internationale, commencent à porter leurs fruits. Par exemple, un programme d'éradication du ver de Guinée a permis de réduire les cas d'infection de 97 % en une décennie.

1.6 Les changements climatiques

Les changements climatiques attendus au cours du prochain siècle dépassent en amplitude toutes les transformations vécues au cours des 10 000 dernières années. Le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC) anticipe une augmentation des catastrophes naturelles, des inondations et des sécheresses ainsi que des transformations radicales des zones côtières. Déjà, en 1998, 300 millions de personnes ont été déplacées par des inondations sans précédent à travers le monde. Certaines données supportent également la thèse d'un lien entre le réchauffement planétaire et la fréquence comme l'amplitude de macro-phénomènes tel El Niño.

Ces transformations climatiques ne seront pas sans affecter les ressources en eau douce. Les précipitations annuelles et saisonnières, les taux d'évapotranspiration, le couvert nuageux, l'humidité des sols, les chutes de neige ainsi que leur fonte sont quelques uns des facteurs dont les variations auront un impact direct sur les régimes hydrologiques saisonniers et annuels des eaux de surface et souterraines.


Des températures plus élevées vont rendre le cycle hydrologique plus vigoureux. Ceci se traduira par des sécheresses et des inondations plus intenses dans diverses régions du globe, alors que cette intensité diminuera dans d'autres zones. Plusieurs modèles indiquent une augmentation de l'intensité des précipitations, laissant présager la possibilité d'un accroissement du nombre d'épisodes de précipitations extrêmes.
GIEC, 1996

On anticipe, en général, un accroissement des précipitations de 3 % à 15 % résultant en une hausse de 1,5°C à 3,5°C de la température moyenne selon les régions. On constate déjà, quant aux précipitations, la confirmation de plusieurs indices qui avaient été prévus dans les modèles climatiques. Les taux d'évapotranspiration augmenteront de 40 % en certains endroits, affectant les régimes hydriques des régions les plus touchées. On prévoit des baisses de 40 % à 70 % du débit annuel moyen dans certains bassins situés dans des régions arides. Les débits minimum et maximum varieront aussi de manière importante. L'humidité des sols est susceptible d'augmenter dans les régions tempérées et diminuera vraisemblablement dans les régions équatoriales.

L'humanité devra donc faire face à des transformations rapides des régimes hydriques, à une diminution du débit moyen des cours d'eau et à une augmentation des événements climatiques extrêmes. Les sécheresses et les inondations affecteront directement plusieurs activités humaines dont l'agriculture, la navigation, la production énergétique, la foresterie, les pêcheries, le tourisme et une multitude d'autres activités basées sur une certaine constance des régimes hydriques. Dans les zones côtières, la hausse du niveau des mers entraînera des inondations plus fréquentes, une pénétration plus profonde des eaux salées dans les estuaires ainsi que l'infiltration d'eau de mer dans les nappes souterraines situées près des côtes. Or, près de la moitié de la population de la Terre vit dans ces zones vulnérables et 16 villes de plus de 10 millions d'habitants y sont situées. Dans le delta du Nil, par exemple, une hausse d'un mètre du niveau de la mer Méditerranée entraînera le déplacement de 6 millions de personnes. Le Bangladesh pourrait voir jusqu'à un tiers de son territoire inondé alors que plusieurs petits États insulaires risquent de disparaître complètement sous l'eau.

Dans le bassin du Saint-Laurent et des Grands Lacs, certains experts anticipent une baisse de plus de 25 % du débit moyen à la hauteur de Montréal. La baisse du niveau des Grands Lacs pourrait également entraîner un déplacement des rivages de près de 6 kilomètres en certains endroits. L'estuaire marin du fleuve pourrait s'avancer jusqu'au lac Saint-Pierre, en amont de Trois-Rivières. Ces transformations auront des impacts, importants sur la navigation et sur les écosystèmes. Le potentiel hydroélectrique risque aussi d'être grandement affecté à la baisse. Les pays, provinces et États riverains devront donc gérer une diminution de la ressource et un accroissement des conflits d'usage, ce qui nécessitera sans aucun doute des arbitrages et des consensus difficiles à obtenir.

La gestion des ouvrages d'eau de par le monde constitue un autre défi important à relever dans le contexte de modifications aux régimes hydrologiques. Qu'il s'agisse d'infrastructures urbaines, d'ouvrages hydroélectriques ou d'installations de régulation du débit des cours d'eau, l'adaptation aux changements climatiques constituera un défi considérable. En effet, la plupart de ces ouvrages ont été conçus pour fonctionner de manière optimale sous les conditions climatiques actuelles.

Il est de plus en plus évident que les inondations deviendront bientôt un problème majeur dans les régions tempérées, ce qui nécessitera non seulement une adaptation aux sécheresses et aux pénuries chroniques d'eau, mais aussi aux inidations et aux dommages qui leur sont associés, ce qui soulève des préoccupations concernant l'effondrement possible des digues et des barrages.
GIEC, 1996


La seconde conférence mondiale sur les climats, tenue en 1991, concluait que « la conception de plusieurs ouvrages destinés à l'entreposage ou à l'acheminement d'eau est basée sur l'analyse des statistiques climatiques et hydrologiques passées. Plusieurs de ces ouvrages sont conçus pour une durée de vie de 50 à 100 ans, ou même plus encore. Les modèles statistiques sur lesquels la conception de ces ouvrages est basée ne constitueront plus des indicateurs fiables pour le futur.La conception et la gestion des ouvrages de retenue et des systèmes de régulation du débit des cours d'eau devraient tenir compte des variations hydrologiques anticipées».

L'humanité devra donc faire face à une incertitude grandissante quant à la nature des variations climatiques à anticiper. Les transformations anticipées aux régimes hydrologiques nécessiteront une surveillance accrue de la part de tous les acteurs concernés, l'élaboration de mesures d'adaptation et de plans d'urgence adaptés, ainsi que l'adoption d'une approche prudente en l'absence de base solide pour prévoir les événements climatiques et leurs impacts sur l'hydrologie. Il semble nécessaire dès maintenant d'anticiper une diminution de la ressource dans les plans de développement des ressources en eau douce, afin d'éviter une surexploitation éventuelle et les conflits d'usage qui en résulteraient. La convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui sera abordée dans une des sections suivantes, comporte plusieurs dispositions à cet égard.

1.7 La protection des écosystèmes et des espèces

L'eau constitue un milieu vivant soutenant une variété extraordinaire d'écosystèmes ainsi qu'une multitude d'espèces de la faune et de la flore aquatiques. Les écosystèmes aquatiques hébergent 12 % de toutes les espèces animales et 40 % des variétés de poissons dans le monde. Ces espèces et leurs habitats forment une composante fondamentale de l'équilibre aquatique qui assure le maintien de la qualité des cours d'eau. La surexploitation des ressources en eau conduit souvent à un appauvrissement du débit des cours d'eau, qui affecte les habitats et les zones de reproduction. De la même manière, la pollution industrielle ou agricole contamine la chaîne alimentaire et favorise le développement d'espèces nuisibles qui détériorent la qualité des eaux et propagent des maladies. Conséquemment, l'Union mondiale pour la nature (UICN) estime que 34 % des espèces de poissons d'eau douce sont en voie d'extinction.

Le destruction des zones humides à travers le monde est particulièrement préoccupante du point de vue du maintien des écosystèmes aquatiques. Celles-ci jouent, en effet, le rôle de filtres naturels et hébergent une imposante biomasse essentielle au maintien des écosystèmes. Quatre-vingt-sept millions d'hectares de zones humides, représentant 54 % de la superficie totale de ces zones aux États-Unis, ont déjà été détruits. Cette proportion atteint 90 % en Nouvelle-Zélande. Aux Philippines, 67 % des mangroves, forêts humides côtières, ont été détruites en soixante ans.

Un autre phénomène responsable de la disparition d'espèces est l'eutrophisation des cours d'eau, c'est-à-dire la prolifération d'algues à la suite du déversement massif et prolongé d'engrais, de matières fécales humaines ou animales, ou de détergents contenant des proportions importantes de phosphore et d'azote qui favorisent leur développement. Ces algues absorbent l'oxygène contenu dans l'eau et étouffent ainsi les autres espèces qui périssent par suffocation. La présence de coliformes favorise également le développement de bactéries et de virus qui seront ensuite transmis aux populations riveraines par contact direct ou par l'intermédiaire d'insectes ou d'espèces aquatiques comestibles.

Le maintien des populations de poissons d'eau douce est capital dans plusieurs régions qui en dépendent pour une partie importante de leur alimentation. La surpêche pratiquée dans plusieurs bassins entraîne un dérèglement des écosystèmes qui met en péril la source alimentaire de milliers de personnes. De plus, les rejets polluants d'origine industrielle contaminent la chaîne alimentaire, affectant ainsi les populations d'espèces comestibles et contaminant les consommateurs qui se retrouvent au sommet de la chaîne alimentaire. Plus de 700 espèces de poissons sont menacées ou en voie d'extinction dans le monde.

Dans les pays industrialisés et, dans une moindre mesure, dans les pays en développement, l'acidification des cours d'eau par la précipitation des rejets polluants industriels contribue à détruire les écosystèmes des lacs et des rivières. Malgré certains progrès réalisés à partir des années 1970, le problème conserve une ampleur préoccupante. On estime que les pluies acides ont conduit à un déclin de 40 % des espèces de poissons dans les lacs canadiens. L'urbanisation et son corollaire, l'artificialisation des rivages, constituent également des problèmes fondamentaux puisqu'elles affectent l'interface essentielle entre les écosystèmes terrestres et aquatiques. Elles contribuent aussi à accentuer l'érosion des sols et le dépôt de sédiments qui peuvent provoquer des débordements de cours d'eau. Les ouvrages de retenue, les réservoirs et les autres transformations au flux naturel des cours d'eau affectent également les écosystèmes et les populations d'espèces aquatiques. Finalement, la déforestation et la déperdition des sols agricoles entraînent une érosion qui multiplie la sédimentation dans les cours d'eau, pouvant mener à des inondations d'une ampleur catastrophique, comme ce fut le cas en Chine en 1998. L'État chinois a d'ailleurs interdit les coupes forestières dans certaines régions, à la suite de ces inondations qui ont affecté près de 50 millions de personnes.

Une dernière cause majeure de la disparition d'espèces aquatiques est l'introduction d'espèces exotiques colonisatrices. L'invasion biologique constitue en fait la seconde cause d'extinction d'espèces à travers le monde après la destruction d'habitats. Toutes catégories confondues, on estime que 20 % des espèces en danger dans le monde sont menacées par l'introduction d'espèces colonisatrices. Le lac Victoria, en Afrique, a perdu 200 sous-espèces endémiques alors que 150 espèces supplémentaires sont menacées depuis l'introduction de la perche du Nil pour fins d'exploitation commerciale. Chaque jour, 3000 espèces exotiques se déplacent dans l'eau de ballast des navires commerciaux. Le rythme d'introduction des espèces exotiques s'accélère : une nouvelle espèce était introduite toutes les trente-six semaines dans la baie de San Francisco en 1850, une toutes les vingt semaines en 1970 et une toutes les 12 semaines depuis 1990. Les coûts environnementaux et économiques de l'invasion biologique sont considérables. Les coûts de l'introduction de la moule zébrée dans la région des Grands Lacs s'élèveront à près de 5 milliards en l'an 2000.

Le maintien de l'équilibre et de la qualité des cours d'eau passe nécessairement par la réalisation du lien d'interdépendance existant entre ceux-ci et les écosystèmes aquatiques et riverains. Une connaissance accrue des fonctions des écosystèmes aquatiques dans le maintien de la qualité des ressources en eau (par exemple, leur rôle de purificateurs et de régulateurs des débits), de même que leur prise en compte dans la gestion de l'eau constituent un des fondements de la gestion durable des ressources en eau. De la même manière, la reconnaissance de la valeur socioéconomique des services rendus par les écosystèmes constitue un outil essentiel dans l'évaluation des coûts et des bénéfices associés au développement des ressources en eau. La Convention sur la diversité biologique, qui est abordée plus loin, contient de nombreuses dispositions visant à renforcer la protection de ces écosystèmes aquatiques.

1.8 Les conflits internationaux

Les bassins internationaux recouvrent 47 % de la superficie des terres émergées de la planète, à l'exclusion de l'Antarctique, et hébergent 40 % de la population mondiale. Cette proportion atteint 60 % en Afrique et en Amérique latine. Plus de 300 bassins majeurs sont partagés par 2 ou plusieurs pays à travers le monde, incluant plusieurs nappes souterraines. La rareté grandissante des ressources en eau, en plus de provoquer des conflits d'usage à l'intérieur même des frontières des États, soulève des conflits internationaux qui peuvent impliquer plusieurs pays.

L'eau constitue depuis l'Antiquité un objectif, un enjeu et un outil dans le cadre de conflits politiques et militaires. Léonard de Vinci et Machiavel ont collaboré au détournement des eaux de l'Arno dans un conflit entre Florence et Pise au début du XVIe siècle. Plus récemment, les forces serbes ont contaminé les puits albanais au Kosovo afin de provoquer le départ des populations locales. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a recensé 30 conflits politiques ou militaires internationaux reliés à l'eau. Le tableau ci-contre en présente quelques exemples.




En plus de constituer des sources ou des objectifs de conflits, les ressources en eau peuvent aussi être grandement affectées par des conflits militaires. Ainsi, la guerre du Kosovo a donné lieu à des épisodes de contamination catastrophiques. Plus de 80 usines chimiques ont été bombardées par l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ce qui a engendré des déversements massifs dans le sol, dans les nappes souterraines et dans le Danube. Lors de la guerre du Golfe en 1991, plus de 40 % des réserves d'eau du Koweït ont été contaminées de manière irréversible par des fuites de pétrole.

Le Moyen-Orient

Le Moyen-Orient constitue une zone internationale caractérisée par plusieurs conflits religieux et politiques. La région dépend de quelques cours d'eau importants pour son approvisionnement, ce qui fait en sorte que l'eau constitue un enjeu stratégique vital pour le développement économique et la survie même des États de la région. Cet enjeu a été au centre de plusieurs conflits depuis 40 ans.

Israël, la Jordanie, la Syrie, le Liban et la Palestine dépendent du bassin du Jourdain pour leur approvisionnement en eau. Plusieurs analyses soutiennent que la décision de la Syrie de réduire l'approvisionnement en eau des pays situés en aval, a provoqué la « guerre de six jours » en 1967, qui s'est terminée par l'occupation, par Israël, des hauteurs du Golan où le fleuve trouve sa source. Les sources du Golan et les nappes phréatiques des territoires occupés représentent 25 % de l'apport en eau douce d'Israël. Elles ont d'ailleurs été mises sous contrôle militaire en tant que ressource stratégique par l'État israélien.

La Turquie, la Syrie et l'Irak se partagent les eaux du bassin du Tigre-Euphrate. Puisque ce bassin trouve sa source en Turquie, ce pays se retrouve en position de force pour négocier l'allocation des ressources entre les trois pays. La Turquie a complètement arrêté le débit de l'Euphrate pendant plusieurs mois en 1990, afin de remplir un réservoir hydroélectrique. Par la suite, elle a maintes fois menacé de couper le cours du fleuve à nouveau si la Syrie et l'Irak accordaient refuge aux rebelles indépendantistes kurdes. Finalement, le projet d'une série de barrages en Turquie menace de réduire le débit du fleuve de 40 % en Syrie et de 90 % en Irak.

L'Afrique

Le bassin du Nil constitue une région où les conflits d'usage sont persistants et où la menace de conflit revient de manière récurrente depuis 30 ans. Le bassin du Nil couvre 3 030 300 km2 et occupe le territoire de neuf pays : l'Égypte, le Soudan, l'Ouganda, l'Éthiopie, le Burundi, le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie et la République démocratique du Congo. Plusieurs conflits majeurs ont éclaté entre l'Égypte et le Soudan, la menace de conflit armé ayant même été maintes fois utilisée par l'Égypte pour s'assurer d'un approvisionnement minimal devant les projets de retrait et de dérivation du Soudan.

Tous les cours d'eau majeurs de l'Afrique australe sont partagés entre 11 pays riverains dans une région où persistent plusieurs conflits armés. Il s'agit de l'Angola, du Botswana, du Lesotho, du Malawi, du Mozambique, de la Namibie, de l'Afrique du Sud, du Swaziland, de la Tanzanie, de la Zambie et du Zimbabwe. Plusieurs initiatives de coopération ont été lancées dans la région, mais les conflits d'usage et la surexploitation des ressources demeurent des problèmes préoccupants dans la région.

L'Asie

Des conflits d'usage persistent également en Asie dans le bassin de l'Indus. Ce bassin couvrant une superficie de 906 500 km2 est partagé par le Tibet (occupé par la Chine), l'Inde et le Pakistan qui sont trois puissances nucléaires aux relations particulièrement instables. L'Indus a constitué une source de conflit incessante entre l'Inde et le Pakistan jusqu'à la signature d'un traité entre les deux pays en 1960. L'Inde s'est également retrouvée au centre d'un conflit avec le Bangladesh concernant l'utilisation des eaux du Gange et de 50 autres rivières partagées par les deux pays. Finalement, le projet népalais de construction d'un barrage hydroélectrique sur le Gange a suscité un conflit avec l'Inde.

Les conflits d'usage internationaux, avec les risques de conflits militaires qu'ils impliquent, ont donné lieu au développement d'un ensemble de traités bilatéraux et multilatéraux à l'échelle internationale. L'ancien président soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, a suggéré d'intégrer une entente sur la limitation des dommages environnementaux à la convention de Genève sur les conflits armés. Le développement du droit international relatif à l'eau et la multiplication des initiatives de coopération visent à prévenir les conflits d'usage et à assurer une utilisation durable et équitable des ressources partagées. Malgré les progrès réalisés depuis 40 ans et l'accélération récente des initiatives internationales en la matière, le risque de conflit et l'épuisement rapide des ressources poussent plusieurs analystes à prédire l'éclosion de nombreux conflits reliés à l'eau au cours du prochain siècle.

2. Le droit international relatif à l'eau

Le droit international de l'eau est caractérisé par un grand éclatement. Il repose, en fait, sur quelques principes de droit coutumier, sur quelques instruments et conventions internationales d'application générale, et sur une multitude de traités et d'ententes bilatérales et multilatérales réglementant l'utilisation des ressources en eau dans les bassins transfrontaliers. En 1984, la FAO a recensé 3600 traités internationaux comportant des dispositions sur l'eau conclus à travers l'histoire, dont plus de 2000 sont encore actifs. Depuis 1945, près de 300 traités relatifs à l'allocation et à la gestion des ressources en eau dans les bassins transfrontaliers ont été conclus. Le droit coutumier et les conventions internationales traitent d'aspects aussi variés que la navigation, l'hydroélectricité, la lutte contre la pollution, la régulation des débits, la conciliation des usages, la répartition des ressources et de nombreuses autres questions.

2.1 Les principes et les ententes de portée mondiale

Les doctrines classiques

Le droit international moderne relatif à l'eau est né à la fin du XIXe siècle et est fondé sur le concept de la souveraineté territoriale. Deux doctrines s'affrontent depuis lors. La doctrine Harmon, du nom du procureur général des États-Unis à la fin du XIXe siècle, fondée sur le principe de la souveraineté territoriale illimitée, tandis qu'une seconde doctrine s'appuie sur l'intégrité territoriale illimitée.

La doctrine Harmon a été énoncée lors d'un conflit entre les États-Unis et le Mexique au XIXe siècle concernant l'allocation des eaux du Rio Grande à la frontière entre les deux pays. Une série de dérivations par les Américains avait réduit l'approvisionnement en eau du Mexique. Le gouvernement américain soutenait que, puisque cette eau trouvait son origine et circulait en sol américain, les États-Unis étaient en droit d'en disposer à leur guise. À l'opposé, le Mexique s'appuyait sur la doctrine de l'intégrité territoriale illimitée soutenant que les pays situés en aval étaient en droit d'exiger le maintien du flot des cours d'eau sur les plans quantitatifs et qualitatifs, sans quoi il en résultait une atteinte à l'intégrité territoriale du pays. Une troisième doctrine, celle de l'usage antérieur, était également articulée par le Mexique qui soutenait que les habitants riverains mexicains étaient en droit d'exiger le maintien des quantités d'eau traversant la frontière puisqu'ils avaient été historiquement les premiers à exploiter la ressource.

Ces doctrines continuent d'être évoquées par des pays riverains lors de conflits d'usage internationaux, selon les situations propres à chaque pays. Cependant, elles ont été largement discréditées et remplacées par des principes de droit qui tentent d'établir un compromis entre ces positions inconciliables.

Les principes de droit coutumier

Le droit coutumier relatif à l'eau s'est considérablement développé au XXe siècle, élaborant une série de principes permettant d'atténuer les doctrines basées sur la souveraineté illimitée. Les principes de communauté d'intérêt, de souveraineté territoriale limitée et d'utilisation équitable et raisonnable ont été introduits et ont permis de résoudre plusieurs conflits internationaux. Ces principes sont habituellement repris sous une forme ou sous une autre dans les traités bilatéraux ou multilatéraux relatifs aux ressources en eau. Ils ont notamment été repris et énoncés explicitement dans les déclarations de Stockholm et de Rio sur l'environnement et le développement.

Une première tentative de systématisation du droit international de l'eau a été réalisée, en 1966, avec l'adoption par l'International Law Association des Règles d'Helsinki. Les Règles d'Helsinki, énoncent, à l'article 6, que « Chaque État du bassin a, sur son territoire, un droit de participation raisonnable et équitable aux avantages que présente l'utilisation des eaux du bassin de drainage international ». Cet énoncé introduit pour la première fois la notion d'équité dans l'allocation des ressources en eau partagées.

La Déclaration de Stockholm sur l'environnement et le développement, adoptée en 1972 lors de la première conférence internationale sur l'environnement et le développement, énonce une série de principes repris, par la suite, dans de nombreuses conventions internationales, de même que dans la déclaration de Rio sur l'environnement et le développement en 1992. Le principe 21 de la Déclaration de Stockholm confirme le droit des États d'exploiter les ressources naturelles sur leur territoire dans la mesure où cette exploitation ne cause pas de préjudice aux États voisins ou aux régions ne relevant d'aucune juridiction nationale. Dans le cas de l'eau, il s'agit d'assurer aux États riverains situés en aval un approvisionnement constant d'une eau qui ne doit pas avoir été substantiellement et qualitativement modifiée. Le principe établit donc un équilibre entre la souveraineté sur les ressources et la protection des ressources partagées.




Le principe 24 de la Déclaration de Stockholm invite les États à coopérer afin d'assurer la protection de l'environnement. Dans le domaine de l'eau, le principe 24 reprend la notion d'utilisation équitable et durable des ressources en eau partagées. Cette coopération doit être basée sur le respect de la souveraineté des États, sur l'égalité des entités souveraines et sur la protection de l'environnement. Le principe 24 invite les États à conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux afin de prévenir les différends ou de les résoudre de façon pacifique. Il ouvre donc la porte à la conclusion d'accords régionaux de nature bilatérale ou multilatérale, lesquels constituent l'essentiel du cadre légal s'appliquant aux ressources en eau partagées.


Principe 24

Déclaration de Stockholm

Les questions internationales se rapportant à la protection et à l'amélioration de l'environnement devraient être abordées dans un esprit de coopération par tous les pays, grands ou petits sur un pied d'égalité. Une coopération par voie d'accords multilatéraux ou bilatéraux ou par d'autres moyens appropriés est indispensable pour limiter efficacement, prévenir, réduire et éliminer les atteintes à l'environnement résultant d'activités exercées dans tous les domaines, et ce, dans le respect de la souveraineté et des intérêts de tous les États.

Le principe de notification, lorsque des activités réalisées sur le territoire d'un pays sont susceptibles de causer des impacts significatifs sur le territoire de pays voisins, est un autre principe dont l'application est fondamentale dans le domaine de l'eau. Ce concept, repris dans le principe 19 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, est intimement lié aux deux autres puisqu'il implique une obligation de communiquer aux États situés en aval les conséquences probables de projets de détournement ou de retenue, par exemple. Le devoir de notification constitue la base essentielle de la prévention des préjudices pour les États situés en aval et peut favoriser l'établissement d'un dialogue sur l'allocation des ressources.




Le principe 21 de la Déclaration de Stockholm a été confirmé comme faisant partie intégrante du droit coutumier international relatif à l'eau dans une décision de la Cour internationale de justice (CIJ), rendue en 1997, dans une dispute impliquant la Slovaquie et la Hongrie concernant le détournement des eaux du Danube pour la construction d'un barrage hydroélectrique. La Cour a également confirmé la préséance des traités et l'interdiction d'agir de manière unilatérale dans l'allocation des ressources en eau partagées. La CIJ a également réitéré la nécessité d'en arriver à une solution négociée dans le cadre d'une décision qui a été suivie de près par les observateurs de nombreux pays aux prises avec des différends similaires.

Les ententes et les traités internationaux

Plusieurs ententes et traités internationaux portent spécifiquement sur l'eau ou comprennent des dispositions relatives aux ressources en eau. L'étude détaillée de ces instruments juridiques dépasse le cadre du présent document, mais il est essentiel de citer la Convention sur les modifications à l'environnement, la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux, et la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation. Les ententes environnementales internationales comportent également des dispositions relatives à l'eau dont il sera fait état dans la section sur les engagements internationaux du Québec.

La Convention sur les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, développée par la Commission du droit international après 27 ans de travaux, a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1997. La convention codifie les principes et les règles de droit coutumier qui doivent guider les États dans la négociation d'ententes futures sur les cours d'eau transfrontaliers. Cent trois pays ont soutenu l'adoption de cette convention qui doit maintenant être ratifiée par 35 pays pour entrer en vigueur. Elle souffre toutefois de l'absence de 2 acteurs de taille : la Chine et la Turquie, qui ont refusé de la signer. Seulement 7 pays l'avaient ratifiée en décembre 1998.

La convention reprend pour l'essentiel le principe 21 de la Déclaration de Stockholm en obligeant les États à prendre les mesures appropriées pour prévenir les dommages qui peuvent être infligés aux autres États par leur utilisation des ressources en eau (article 7). Elle reprend également le principe 24 en exigeant que les États d'un bassin versant coopèrent sur une base d'égalité, d'intégrité, de bénéfices mutuels et de bonne foi afin d'assurer une utilisation optimale des ressources en eau et une protection appropriée des cours d'eau internationaux (article 8).




La convention comporte également des dispositions visant à assurer un échange régulier d'informations, ainsi que des exigences en matière de notification et de consultation entre les États. Elle établit des obligations en matière de prévention des catastrophes et de mesures d'urgence. L'entente favorise une utilisation équitable et rationnelle des ressources en eau en fonction des critères suivants : population, climat, hydrologie, écologie, besoins socioéconomiques et conservation. Elle favorise également la gestion commune des cours d'eau et comporte plusieurs dispositions environnementales. Enfin, elle définit un cadre de règlement pacifique des différends.




La Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux, adoptée dans le cadre de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies et à laquelle le Canada et les États-Unis sont parties de concert avec les pays européens membres de la Commission, énonce également une série de principes de droit d'importance. Le principe d'usage raisonnable et équitable est repris à l'article 2 (2c), de même que les principes de coopération et de concertation (articles 9 et 10). Les principes de précaution (article 2 (5a)), de pollueur-payeur (article 2 (5b)) et de gestion patrimoniale visant à préserver les usages des générations futures s'ajoutent à une obligation d'information du public énoncée à l'article 16. Cette convention, bien qu'elle ait une portée géographique limitée, n'en énonce pas moins une série de principes et d'obligations qui dépasse largement le cadre des ententes classiques relatives à l'eau.

Bien qu'il s'agisse essentiellement de conventions cadres établissant des principes généraux qui doivent trouver leur application concrète dans des ententes bilatérales ou régionales, ces ententes constituent des avancées significatives dans la codification du droit international relatif à l'eau avec l'objectif ultime d'assurer une utilisation durable des ressources et de prévenir les conflits d'usage.

2.2 Les traités et les ententes de nature régionale

Des centaines d'ententes bilatérales et multilatérales régissent les ressources en eau à l'échelle des bassins transfrontaliers ou des cours d'eau partagés. Ces ententes constituent l'épine dorsale du droit international de l'eau et son principal véhicule de mise en _uvre. Elles régissent généralement l'allocation des ressources, la réglementation de la navigation et de la production d'énergie, la surveillance et le contrôle de la qualité de l'eau, ainsi que les principes de gestion conjointe à appliquer.

Les bassins partagés sont de plus en plus assujettis à des traités internationaux. La plupart de ces traités sont de nature bilatérale mais un nombre croissant d'ententes multilatérales sont conclues. Quatorze ententes multilatérales ont été conclues en 1993 seulement. En 1996, un protocole a été signé par huit pays d'Afrique australe concernant les cours d'eau partagés de la région.




Plusieurs traités bilatéraux majeurs ont été signés au cours des dernières années. Le traité de paix entre Israël et la Jordanie, en 1994, comportait des dispositions spécifiques en termes d'allocation des ressources en eau qui garantissaient un débit minimal à la Jordanie en provenance d'Israël. Ce partage des ressources a été remis en question par Israël, en 1999, à la suite d'une diminution significative du débit annuel du fleuve. L'Inde et le Bangladesh ont conclu, en 1996, un traité de partage des eaux de 50 rivières transfrontalières entre les deux pays. L'entente prévoit la création d'une commission conjointe des rivières sur le modèle nord-américain.




3. Les initiatives internationales dans le domaine de l'eau

La communauté internationale a lancé plusieurs initiatives pour résoudre les problèmes de l'eau depuis 20 ans. Cette activité multilatérale s'est accélérée et approfondie au cours des années 1990, permettant à la communauté internationale d'énoncer une série d'objectifs et de principes qui doivent assurer la cohésion des interventions dans le domaine de l'eau. On espère aussi que la coordination des initiatives dans le domaine de l'eau permettra d'engendrer des synergies qui permettront de faire face aux défis énoncés précédemment.

3.1 La décennie de l'eau potable et de l'assainissement (1980-1990)

La première Conférence des Nations unies sur l'eau s'est tenue en 1977 à Mar del Plata, en Argentine. Cette conférence a contribué à renforcer la coopération internationale et à

stimuler les activités internationales dans le domaine de l'eau. Les travaux de la conférence ont permis d'établir un consensus sur le principe suivant : Tous les peuples, quels que soient leurs niveaux de développement et leurs conditions socioéconomiques, ont le droit d'avoir accès à de l'eau potable dans des quantités et d'une qualité rencontrant leurs besoins essentiels. C'est à la suite de cette conférence que l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a créé le Programme hydrologique international mondial (PHI) afin de standardiser les données sur l'eau à travers le monde.

Dans cette foulée, l'Assemblée générale des Nations unies lança, en 1980, la décennie de l'eau potable et de l'assainissement. Durant cette décennie, 100 milliards de dollars furent investis dans des projets destinés à l'eau potable et à l'assainissement, permettant de desservir 1,3 milliard de personnes en eau potable et de fournir des services d'assainissement à 750 millions de personnes.




En 1990, le constat du fait que 1,3 milliard d'êtres humains n'avaient toujours pas accès à une eau potable et que 2,6 milliards de personnes ne bénéficiaient toujours pas de services d'assainissement adéquats a mené à la tenue d'une Consultation mondiale sur l'eau potable et l'assainissement dans les années 1990. La consultation, qui s'est tenue à New Delhi, en Inde, a souligné la nécessité de fournir, de manière durable, un approvisionnement suffisant en eau potable et des services d'assainissement convenables à tous et a mis l'accent sur l'approche consistant à assurer « un minimum pour tous, plutôt qu'un maximum pour quelques uns ».

3.2 La conférence de Dublin

La Conférence de Dublin sur l'eau et l'environnement a réuni, en janvier 1992, plus de 500 participants comprenant les représentants d'une centaine de pays et de 80 organisations internationales. La conférence a produit la Déclaration de Dublin sur l'eau dans la perspective d'un développement durable, qui constitue une étape importante dans l'orientation des initiatives internationales subséquentes. La déclaration de Dublin a d'ailleurs été reprise en partie à la conférence de Rio, quelques mois plus tard.

Les principes de Dublin

La déclaration de Dublin contenait quatre principes directeurs qui ont, par la suite, fait référence en la matière (voir page suivante). Le premier principe favorise une gestion intégrée de l'eau à l'échelle du bassin versant en tenant compte de l'ensemble de ses usages et des milieux naturels qui la composent. Le second principe soutient la participation active et démocratique des communautés à la définition et à la mise en _uvre des solutions liées aux problèmes de l'eau. Le troisième principe souligne le rôle central que jouent les femmes dans la gestion et la préservation des ressources en eau. Il vise à s'assurer qu'elles soient parties prenantes des décisions et qu'elles se voient allouer les ressources pour mettre en oeuvre des pratiques durables.

Finalement, le quatrième principe de la déclaration de Dublin en appelle à la reconnaissance de l'eau comme bien économique. Ce principe s'oppose à une conception de l'eau en tant que bien public, comme l'air par exemple. L'eau est une ressource finie, caractérisée par une rareté grandissante. La reconnaissance de sa valeur économique est un des fondements de son exploitation durable dans le respect de l'ensemble de ses usages. La controverse générée par ce principe provient du fait que l'on confond souvent, d'une part, la reconnaissance de l'eau comme bien économique, c'est-à-dire un bien caractérisé par la rareté dont il faut assurer une gestion efficiente avec, d'autre part, le marchandisage et la privatisation de l'eau qui sont deux questions distinctes.

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Principes de Dublin

Principe 1 : L'eau douce - ressource fragile et non renouvelable - est indispensable à la vie, au développement et à l'environnement

Comme l'eau est indispensable à la vie, la bonne gestion des ressources exige une approche globale qui concilie développement socioéconomique et protection des écosystèmes naturels. Une gestion efficace intégrera l'utilisation du sol et de l'eau pour la totalité d'un bassin versant ou d'un aquifère.

Principe 2 : La gestion et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons

Pour ce faire, il faut que les décideurs, comme l'ensemble de la population, soient bien conscients de l'importance des ressources en eau. Les décisions seraient donc prises à l'échelon compétent le plus bas en accord avec l'opinion publique et en associant les usagers à la planification et à l'exécution des projets relatifs à l'eau.

Principe 3 : Les femmes jouent un rôle essentiel dans l'approvisionnement, la gestion et la préservation de l'eau

Les arrangements institutionnels relatifs à la mise en valeur et à la gestion des ressources en eau tiennent rarement compte du rôle primordial des femmes comme utilisatrices d'eau et gardiennes du milieu vivant. L'adoption et l'application de ce principe exigent que l'on s'intéresse aux besoins particuliers des femmes et qu'on leur donne les moyens et le pouvoir de participer, à tous les niveaux, aux programmes conduits dans le domaine de l'eau, y compris la prise de décisions et la mise en _uvre, selon les modalités qu'elles définiront elles-mêmes.

Principe 4 : L'eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique

En vertu de ce principe, il est primordial de reconnaître le droit fondamental de l'homme à une eau salubre et à une hygiène adéquate pour un prix abordable. La valeur économique de l'eau a été longtemps méconnue, ce qui a conduit à gaspiller la ressource et à l'exploiter au mépris de l'environnement. Considérer l'eau comme un bien économique et la gérer en conséquence, c'est ouvrir la voie à une utilisation efficace et équitable de cette ressource, à sa préservation et à sa protection.

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Le programme d'action de Dublin

La conférence de Dublin a aussi produit un programme d'action dont le premier élément est le recul de la misère et de la maladie, qui doit passer en priorité par la mise en place de services d'approvisionnement en eau potable et d'assainissement pour les populations pauvres. Un second élément, relié au précédent, est la rationalisation de l'urbanisation par l'établissement de sources d'approvisionnement et de modes de consommation durables, notamment par une tarification adéquate. De plus, les rejets polluants urbains et industriels doivent faire l'objet d'un meilleur contrôle afin d'éviter une dégradation des ressources en eau potable.

Un autre champ d'action se situe au niveau de la production agricole où l'on appelle un changement de pratiques vers des techniques économisatrices d'eau dans le but d'assurer la sécurité alimentaire mondiale. Le recyclage de l'eau est identifié comme une des pistes de solution dans ce secteur ainsi que dans le secteur industriel. Le programme de Dublin accorde aussi la priorité à la protection contre les catastrophes naturelles dans le contexte des changements climatiques anticipés. On y prône, en outre, l'établissement de mesures de surveillance et de prévention des sécheresses et des inondations ainsi que des mesures d'adaptation à l'élévation du niveau des mers dans le but de prévenir les pertes de vies humaines et les dégâts matériels.

En ce qui concerne les écosystèmes, le programme d'action souligne que l'eau constitue un milieu de vie abritant de nombreuses espèces dont dépend le bien-être de l'homme. Il suggère le développement d'une gestion intégrée des bassins versants avec une approche écosystémique. Une attention particulière est portée à la gestion conjointe des bassins internationaux. On y prône l'élaboration et l'exécution de plans d'aménagement intégrés dans des accords internationaux.

Le programme d'action de Dublin appelle au renforcement des connaissances sur l'hydrologie mondiale dans le contexte des changements appréhendés aux régimes hydrologiques. Il favorise également le renforcement des capacités par la formation, la participation et la sensibilisation des communautés. La déclaration de Dublin lance finalement un appel à la mobilisation des ressources financières appropriées pour sa réalisation et prévoit la réalisation d'une évaluation détaillée de sa mise en oeuvre avant l'an 2000.

3.3 Le Sommet de Rio et Action 21

La seconde Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, tenue à Rio en juin 1992, a repris plusieurs des principes et recommandations de la conférence de Dublin dans le domaine des ressources en eau. Le chapitre 18 d'Action 21, le plan d'action adopté lors du sommet, traite spécifiquement des ressources en eau douce de la planète. Ce chapitre est un ambitieux programme d'actions comportant sept domaines d'activités complémentaires, pour lesquels sont définis des principes orienteurs, des mesures concrètes et des échéanciers.

Action 21 - Domaines d'activités

  • Mise en valeur et gestion intégrée des ressources en eau.
  • Bilan des ressources hydriques.
  • Protection des ressources en eau, de la qualité de l'eau et des écosystèmes aquatiques.
  • Approvisionnement en eau de boisson et assainissement.
  • L'eau et l'urbanisation durable.
  • L'eau et la production vivrière et le développement rural durables.
  • L'impact des changements climatiques sur les ressources en eau.
  • La mise en valeur et la gestion intégrée des ressources en eau

    Le chapitre 18 d'Action 21 favorise une gestion intégrée de l'eau à l'échelle des bassins versants. Cette gestion intégrée doit tenir compte du caractère multifonctionnel de la ressource et intégrer les eaux souterraines aux eaux de surface. L'eau y est présentée comme une ressource naturelle, un bien social et un bien économique, tout en étant un milieu naturel vivant dont il faut assurer la protection. Les projets définis dans ce cadre doivent donc établir un équilibre entre ces fonctions de la ressource, c'est-à-dire être économiquement rentables, socialement adaptés et durables au plan environnemental. Sur les plans politique et légal, la fragmentation des responsabilités et des lois est considérée comme un obstacle à une gestion intégrée et durable. On prône dans le chapitre 18 d'Action 21 le développement de mécanismes de coordination et d'application efficaces à l'intérieur des pays et pour les bassins internationaux.





    L'évaluation des ressources en eau

    Le second domaine d'activités consiste à réaliser une évaluation des ressources en eau, le manque de connaissance étant souvent à la source d'une utilisation non rationnelle de la ressource. Ce manque de connaissance est considéré particulièrement criant dans le cas des eaux souterraines. On y propose, comme objectif, la réalisation d'une évaluation mondiale des ressources disponibles et de leur qualité qui doit être combinée à une évaluation des besoins futurs, de manière à identifier les disparités entre l'offre et la demande en eau douce.

    La protection des ressources en eau, de la qualité de l'eau et des écosystèmes aquatiques

    Action 21 préconise une approche globale de l'eau dans une perspective d'interdépendance entre l'homme et les écosystèmes naturels. On y prône la défense des écosystèmes aquatiques et la protection de la santé humaine par la réduction de la contamination d'origine urbaine, industrielle ou agricole. L'érosion, la sédimentation, le déboisement, la désertification, la dégradation des sols et la création de réservoirs artificiels sont identifiés comme des phénomènes et des activités comportant des impacts négatifs sur les écosystèmes et sur la qualité des ressources en eau. On y propose l'adoption d'une approche préventive dans le développement des ressources de concert avec le développement de modes d'évaluation et de la gestion des risques. Ces deux approches doivent être renforcées par l'application du principe de pollueur-payeur. Finalement, la conservation des terres humides est jugée prioritaire en raison de leur importance comme filtres naturels et comme écosystèmes renfermant une importante diversité biologique.

    L'approvisionnement en eau potable et l'assainissement
    L'approvisionnement en eau potable et l'assainissement sont abordés dans le cadre des travaux de la conférence de New Delhi et considérés comme des droits fondamentaux. On souligne que dans les pays en développement, ces problèmes sont intimement reliées à ceux de la santé et de la pauvreté. On favorise la gestion des services par les communautés locales avec des mesures de soutien appropriées, l'adoption de techniques appropriées et la mobilisation des ressources financières nécessaires à la prestation de services pour tous les êtres humains.

    L'eau et le développement urbain durable

    Reconnaissant les défis posés par l'urbanisation croissante de la planète, Action 21 préconise une approche durable au développement urbain. La pression du développement urbain sur les ressources en eau y est jugée particulièrement problématique. On y propose le développement de modes de gestion durables sur le plan environnemental permettant d'assurer un minimum d'approvisionnement de manière constante et à des prix raisonnables en l'an 2000. La répartition efficace et équitable des ressources en eau y est jugée primordiale.

    L'eau et la durabilité de la production alimentaire mondiale

    Le chapitre 18 d'Action 21 souligne que la durabilité de la production alimentaire passera nécessairement par un recours à des pratiques rationnelles et efficaces en matière de conservation et d'utilisation de l'eau. Ceci est particulièrement pertinent dans le cas des techniques d'irrigation, de l'utilisation des sols et des retraits en eau dans le cadre d'une intensification de l'agriculture. La préservation des espèces de pêche commerciale constitue aussi un enjeu fondamental dans la sécurité alimentaire de plusieurs régions. On favorise l'implication constante des collectivités locales dans l'allocation et la préservation des ressources en eau et des sols.

    L'impact des changements climatiques sur les ressources en eau

    Action 21 se préoccupe des impacts des changements climatiques sur les ressources hydriques. Le document favorise l'établissement de programmes de surveillance continue des ressources en eau permettant de comprendre et de quantifier les variations hydrologiques qui résulteront des changements climatiques. Une priorité particulière est accordée aux régions sujettes aux sécheresses ou aux inondations. Des mesures d'adaptation et d'atténuation des impacts des sécheresses, des inondations, ou de la hausse du niveau des mers doivent être développées.

    Action 21 est un instrument de référence qui a permis de faire le bilan des initiatives internationales réalisées précédemment et d'effectuer une synthèse des objectifs, des priorités et des moyens d'action à mettre en place sur un horizon allant de 5 ans à 25 ans et plus. Les initiatives subséquentes ont toutes repris à leur compte les objectifs élaborés dans le chapitre 18 d'Action 21 dans le but d'en assurer la réalisation.

    3.4 La conférence de Noordwijk

    La Conférence ministérielle sur l'eau potable et l'assainissement s'est tenue à Noordwijk, aux Pays-Bas, en 1994. Le but de la conférence était de mettre en oeuvre les mesures définies dans le chapitre 18 d'Action 21. La conférence a produit un plan d'action en 5 chapitres.




    L'eau et les populations

    Le premier chapitre traite des questions relatives à l'eau et aux populations et vise, entre autres, à favoriser la sensibilisation des populations à l'utilisation rationnelle des ressources en eau. Il a également comme objectif de favoriser la participation des communautés locales dans le développement et la mise en oeuvre de plans d'action relatifs à l'eau, ainsi que dans la gestion des services d'eau. L'éducation et la formation y sont encouragées. Sur le plan institutionnel, le développement de cadres décisionnels participatifs est préconisé, ainsi que la transparence dans la prise de décisions.




    L'eau, la santé et l'environnement

    Dans cette section, le plan d'action de Noordwijk préconise la réalisation d'inventaires des ressources en eau et l'identification des problèmes et des contraintes relatives à l'approvisionnement en eau potable et à l'assainissement. La conférence appelle les États à développer des stratégies de développement durable telles que préconisées dans Action 21. Des politiques de tarification appropriées et équitables doivent également être développées en tenant compte de la capacité de payer des populations, en intégrant des considérations de gestion de la demande et en appliquant le principe du pollueur-payeur. La préservation de la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines, notamment par la gestion intégrée des bassins et par la réduction des contaminants, est favorisée.

    L'eau et les institutions

    Le programme d'actions de Noordwijk prône le renforcement du rôle de l'État comme facilitateur et régulateur des services d'eau. La surveillance des services à l'échelle internationale est un rôle fondamental de l'État. Dans l'éventualité d'une implication du secteur privé, l'État doit s'assurer de la qualité du service par une réglementation appropriée et faire en sorte que la tarification appliquée soit économiquement efficace et socialement équitable. Les gouvernements doivent favoriser l'intégration de la gestion de l'eau et soutenir les investissements dans ce secteur. L'autonomie des agences, gérant les services d'eau à l'échelle locale, doit être renforcée.

    L'eau et la mobilisation de ressources financières

    La conférence de Noordwijk favorise la décentralisation de la gestion au plus petit échelon possible, afin de favoriser l'efficience dans l'allocation des ressources financières. Un système de tarification permettant l'autofinancement des services d'eau est considéré comme primordial pour leur développement et leur maintien. Les populations pauvres ne doivent, en aucun cas, être pénalisées par les nouvelles tarifications. Des lignes directrices précises pour les investissements doivent être définies et les possibilités d'impliquer le capital privé doivent être envisagées parmi d'autres mesures innovatrices de financement. Un appel est lancé à la Banque mondiale et aux autres institutions multilatérales de financement, afin qu'elles contribuent en priorité au développement de projets dans le secteur de l'eau potable et de l'assainissement.

    L'eau et le monde

    Le programme d'action de Noordwijk énonce une série de mesures de coopération internationale devant soutenir les objectifs qu'il fixe. La mobilisation de ressources financières appropriées, le transfert de technologies et le partage d'expertises en matière de gestion des services d'eau potable et d'assainissement sont énoncés comme priorités d'action. Un appel est lancé aux institutions de l'Organisation des Nations unies (ONU) afin qu'elles soutiennent activement la mise en oeuvre des mesures relatives à l'eau contenues dans Action 21. Finalement, les participants à Noordwijk en appellent à la Commission du développement durable des Nations unies, afin qu'elle se penche sur la mise en oeuvre d'Action 21 dans le domaine de l'eau et suggèrent la création d'un forum ou d'un conseil mondial de l'eau permettant de traiter de l'ensemble des problèmes de l'eau en un seul et même forum.

    3.5 La conférence de Paris

    La Conférence internationale sur l'eau et le développement durable s'est tenue à Paris, en mars 1998, à l'initiative de la France et de l'UNESCO. La conférence a réuni 600 participants provenant de 84 pays, incluant des représentants d'organisations internationales et d'organisations non gouvernementales (ONG) actives dans le domaine de l'eau. Des ateliers ont été tenus sur les usages des ressources en eau, sur le développement institutionnel et sur la gestion et les ressources financières. La conférence a également produit une déclaration ministérielle et un plan d'action en 3 chapitres.

    L'amélioration des connaissances sur les ressources en eau et leurs usages en vue d'assurer une gestion durable

    On y préconise l'établissement de systèmes intégrés de surveillance des ressources en eau, de leurs usages et des écosystèmes. On vise à mieux comprendre et anticiper les tendances en matière de pollution et d'usages, en vue d'en mesurer les impacts sur un certain nombre d'indicateurs. Parmi ces indicateurs, on retrouve notamment les sources de pollution ponctuelles et diffuses. La condition des écosystèmes aquatiques des lacs et des rivières, des zones humides et des eaux souterraines ainsi que les mesures et connaissances concernant les événements météorologiques et hydrologiques extrêmes font aussi partie des indicateurs à surveiller.


    La promotion du développement des ressources humaines
    et des capacités institutionnelles

    Le plan d'action de Paris vise à soutenir la gestion intégrée de l'eau en soutenant le développement des capacités institutionnelles à plusieurs niveaux. Une réforme des législations et des réglementations doit être entreprise, de manière à favoriser une approche intégrée. Sur le plan institutionnel, des agences de l'eau ayant des responsabilités claires et bénéficiant de ressources financières définies doivent être mises sur pied. Les institutions et les procédures de prise de décisions doivent être conçues de manière à permettre la participation des autorités locales, des usagers et de la société civile en général.




    Les institutions ainsi créées doivent étudier et planifier le développement des bassins versants dans une perspective à long terme. Des programmes d'investissement nationaux, basés sur des plans d'investissement reposant sur les principes d'utilisateur-payeur et de pollueur-payeur, doivent être mis en place. Finalement, des outils de gestion des ressources transfrontalières doivent être développés, afin de mettre en oeuvre ces plans d'utilisation durable des ressources en eau.

    La définition de stratégies de gestion durable de l'eau et l'identification des sources de financement appropriées

    Les stratégies de gestion de l'eau doivent être conçues de manière à permettre une mise à jour continue. La transition graduelle vers un recouvrement entier des coûts reliés à l'eau doit permettre de susciter des investissements publics et privés. Il importe, par-dessus tout, que ces transformations soient définies dans le cadre de processus transparents et ouverts au sein desquels les usagers et le grand public pourront intervenir de manière démocratique.

    3.6 Les travaux de la CDD des Nations unies

    Lors de sa sixième session annuelle en 1998, la Commission du développement durable des Nations unies (CDD) a abordé le thème de la gestion stratégique des ressources en eau douce. Le processus, qui a mené aux décisions prises en juin 1998, a impliqué plusieurs mois de travaux ainsi que des rencontres d'experts internationaux sur des thèmes spécifiques telles l'agriculture et l'industrie. La CDD a également pris acte des orientations adoptées lors de la conférence de Paris et des conférences précédentes. La CDD a produit une série de décisions visant à poursuivre la mise en oeuvre des engagements pris au Sommet de Rio. Reprenant plusieurs des éléments identifiés dans les conférences précédentes, la CDD concentre ses décisions dans quatre domaines.

    L'information et les données pour la prise de décisions

    La CDD prône l'établissement de réseaux d'information et de surveillance sur les ressources en eau. Elle soutient également l'implication des communautés locales dans la surveillance des ressources en eau et des écosystèmes. Le développement d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs sur l'évolution des ressources en eau, constitue une piste d'action privilégiée par la CDD. Dans le cadre des changements climatiques, on propose de développer des mécanismes de consultation et de préparation aux inondations, aux sécheresses et aux autres événements climatiques extrêmes, incluant l'élaboration de mesures d'urgence, de systèmes avancés d'alerte et de mesures d'atténuation des impacts.

    Les institutions, le renforcement des capacités et le financement

    La CDD encourage la révision des cadres législatifs, de manière à faciliter une gestion intégrée des ressources en eau. Elle favorise la création de mécanismes nationaux de coordination de l'ensemble de la gestion des ressources en eau. La CDD propose également de déléguer les responsabilités de la gestion de l'eau aux échelons les plus bas, afin que les décisions soient prises le plus près possible de la ressource concernée. La participation effective des communautés locales et des populations est favorisée, ainsi que le développement de partenariats entre le secteur public, le secteur privé et les organisations non gouvernementales, afin de renforcer les capacités locales et de réunir le financement nécessaire aux travaux requis.

    La coopération en matière de transfert de technologies et de recherche

    La CDD préconise une intensification de la recherche, afin de développer de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques qui permettront de satisfaire les besoins futurs. On souligne, notamment, le potentiel prometteur d'une réutilisation des eaux usées, de la désalinisation de l'eau de mer, du traitement des eaux usées, de nouvelles techniques d'irrigation. La CDD fait appel aux pays développés et aux industries, afin qu'elles transfèrent les technologies appropriées aux pays en développement selon des termes qui leur soient acceptables. On souhaite également un renforcement des programmes d'assistance technique soutenus par les organismes de développement et les institutions financières internationales.

    Les ressources et les mécanismes financiers

    Le rapport de la CDD souligne que la priorité doit être accordée à l'aspect social de la gestion des ressources en eau, c'est-à-dire que celle-ci doit être centrée en premier lieu sur les besoins des populations. On appelle, une fois de plus, à la mobilisation des ressources financières internationales nécessaires, afin d'offrir des services d'eau potable et d'assainissement aux populations les plus démunies. La CDD prône une meilleure coordination du financement international dans ce domaine. L'usage d'instruments économiques, afin de recueillir le financement nécessaire aux infrastructures, doit être acceptable du point de vue des couches défavorisées des populations concernées.

    Finalement, la CDD rappelle les engagements pris en vertu des conventions environnementales internationales et encourage les États à mettre en oeuvre les dispositions de ces conventions. Parmi celles-ci, mentionnons la Convention internationale sur la diversité biologique, la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques et la Convention de Ramsar sur les zones humides qui contiennent toutes trois des dispositions relatives aux ressources en eau.




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