Évolution historique de la composition, de Bach à Beethoven, selon Wilhelm Furtwängler

Clémence Prayez

L’évolution que Furtwängler analyse de Bach à Beethoven est du même type que celle qui a vu la Grèce antique passer de l’épopée au drame. C’est un chemin qui va de la description à une confrontation à la réalité (1). Bach exprimait dans sa musique une souplesse vitale et un équilibre nerveux dans la stricte régularité des rythmes qu’il utilise et la rigueur formelle qu’il développe. Sa musique présente une unité parfaitement équilibrée comme si elle reposait en elle-même, son développement répond à une logique tranquille et organique jamais troublée. Son processus de composition est basé sur une énergie que Furtwängler appelle végétale. Chez Mozart, cette énergie est devenir (Furtwängler n’est pas plus précis sur la nature de ce devenir). L’évolution de la composition se poursuit et se termine avec Beethoven et le devenir-développement qui cherche à accorder le mouvement de la musique avec l’émotion de l’âme. « Bach et Beethoven ont le point commun de pouvoir faire s’achever en elle-même une totalité en tant qu’événement réel, indépendamment de son créateur (2) », dit Furtwängler dans une partie consacrée à Bach. Il définit ces deux compositeurs comme « architectes des mondes », ayant réussi à accorder ensemble le subjectif et l’objectif par la « rencontre d’une volonté objective de création avec une puissante subjectivité, dans la polarisation de l’une par l’autre (3) ». Cette ambivalence de l’acte de création entre objectivité et subjectivité est définie : « À tout instant, l’homme change et fait peau neuve ; le rôle de l’artiste est de le représenter versatile, dépendant, mortel, ébranlé de toutes parts. […] L’homme est inchangé depuis les origines ; le devoir de l’artiste, c’est de le représenter essentiel, unique, éternel, jamais entamé (4) ».

Dans cette citation apparaît la notion de devoir du compositeur ; il a pour tâche de faire fusionner l’homme individuel et l’humanité pour donner à l’auditeur une parfaite synthèse de la nature humaine dans ses faiblesses et dans ses forces. Beethoven a, selon Furtwängler, poussé cette recherche d’unité à la perfection en donnant à ses oeuvres, encore plus que Bach, le principe de leur propre développement. C’est-à-dire que, à partir d’un thème simple (celui de la Cinquième Symphonie dont il fait l’analyse dans un texte de 1951 par exemple) la musique vient à se développer d’elle-même, nécessairement.

1 Cela est défini particulièrement dans le troisième entretien de ce recueil.
2 Voir p. 268.
3 Voir p. 271.
4 Voir p. 101.

Source : Clémence Prayez, Wilhelm Furtwängler, Musique et verbe – De quoi résulte l’accomplissement d’une oeuvre musicale comme nécessité organique ? Texte présenté dans le cadre d’un séminaire de phénoménologie de la musique dirigé par Patrick Lang, année 2012-2013, Université de Nantes, p. 2.




Articles récents