Écoles privées vs écoles publiques: Le point sur la question

Guy Durand

Cet article fait vraiment le point sur la question. Il est succint et pourtant complet.  Dans cinq ans, dans dix ans, quand le débat fera de nouveau surface, on pourra s'y référer comme à un portrait juste de la situation en 2012.

Depuis le récent débat lancé par la Ministre Malavoy sur les écoles privées et les élèves en difficulté, beaucoup de choses ont été exprimées dans les médias sur notre système d’éducation et la place qu’y occupe le privé : taux inacceptable de décrochage scolaire, sous-financement du réseau public, envahissement des écoles publiques par les cas lourds. Mais cela dépend-il du réseau privé? Faut-il déshabiller Paul pour habiller Pierre? La solution «est attrayante, écrit Alain Dubuc, parce qu’elle explique les problèmes du secteur public par une cause extérieure, l’écrémage du privé, ce qui évite commodément au réseau public de faire son propre examen de conscience et de réfléchir aux errements du Ministère, aux commissions scolaires dysfonctionnelles ou aux effets de la culture bureaucratico-syndicale» (La Presse, 16 oct.). Essayons de faire la part des choses : d’abord mieux comprendre la situation du réseau privé, puis examiner ce qui pourrait être amélioré dans le réseau public.
(Photo: Guy Durand)

I - Description du réseau privé
Il est difficile de connaître les chiffres exacts, selon les dires même du Conseil supérieur de l'Éducation (Avis, avril 2007). Il faut pourtant essayer.

Ampleur et variété du réseau
Les écoles privées du primaire et du secondaire relevant du Ministère de l’Éducation du Québec (MÉQ) [car il existe quelques écoles qui relèvent d’autres ministères ou d’un pays étranger, comme les collèges Stanislas et Marie-de-France] regroupent environ 125 000 élèves, soit 12% de l’ensemble des élèves du Québec (30% dans la région de Montréal). En comparaison, ces élèves constituent en France 20 %; en Belgique 56%. Ailleurs au Canada : Colombie-Britannique 9.3%; Manitoba 6.5%; Alberta 4.8%. En Ontario, le taux est de 5%, mais il existe un réseau d’écoles séparées (c’est-à-dire d’écoles catholiques) qui s’étend sur l’ensemble du territoire.
Il s’agit d’une augmentation de 14% en 10 ans au Québec, mais de 31% dans les autres provinces. Et l’augmentation du taux au Québec s’explique en bonne partie par la baisse de natalité qui a affecté davantage le réseau public, sans qu’il y ait plus d’élèves dans le réseau privé.
Les institutions subventionnées sont réparties en quatre groupes: 1) Des établissements francophones. La presque totalité est regroupée dans la Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP): 190 établissements offrant l'éducation à plus de 110 000 élèves, dont 20 résidences scolaires et 12 écoles spécialisées pour élèves en difficulté d’apprentissage. 2) Des établissements anglophones de même type, regroupés dans l'Association des écoles privées du Québec/Quebec Association of Independent Schools (AEPQ/QAIS): 25 écoles accueillant 8 000 élèves. 3) Des établissements juifs regroupés dans l'Association des écoles juives (AEJ): 23 écoles accueillant près de 7 000 élèves. 4) Des établissements non réunis en association, dont 1 école arménienne, 2 grecques orthodoxes et 2 musulmanes (dont trois sont membres de la FEEP). Cette dernière catégorie regroupe environ 3 000 élèves. Il existe enfin quelques écoles ethno-religieuses affiliées à une commission scolaire dont le statut chevauche sur le privé et le public.
Les établissements privés sont très différents les uns des autres. Chacun a un énoncé de mission qui définit ses objectifs: les niveaux scolaires, la confessionnalité, les approches pédagogiques et les programmes d'activités parascolaires. Certains privilégient le développement des savoirs, d'autres misent résolument sur les arts (musique, théâtre, danse) ou le sport. Quelques-uns offrent un service de résidence. D'autres se spécialisent auprès des enfants handicapés. D'autres, enfin, se particularisent par l'accueil des immigrants.

Subventions
Depuis 1992, le gouvernement subventionne les écoles privées à 60% du montant de base que reçoit le réseau public pour un «élève comparable» (subvention de base per capita). Il s'agit évidemment d'une moyenne. Pour déterminer «l'élève comparable», on considère une vingtaine de facteurs, notamment la région, la grosseur de l'école, le cycle d'études (primaire ou secondaire), le milieu socio-économique.
L'école privée accueille souvent des élèves qui présentent toutes sortes de difficultés mineures: retard scolaire, trouble de comportement léger, trouble d'apprentissage, etc. Pour eux, contrairement au réseau public, l'école privée ne reçoit aucune subvention.
Concernant les élèves classés handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (souvent appelés EHDAA), il faut faire une distinction. Le réseau privé compte 12 écoles totalement réservées à des clientèles de cette catégorie. Celles-ci reçoivent des subventions presque équivalentes à ce que reçoit le réseau public. Mais si l'école privée accueille seulement quelques élèves identifiés comme EHDAA, elle ne reçoit aucune subvention pour ce faire. Le permis délivré par le Ministère ne le leur permet pas.
À titre comparatif, les subventions de l’État aux écoles privées sont de100% dans les Pays-Bas, en Belgique, au Royaume-Uni et en Suède; près de 90% en France; entre 80-85% au Danemark.
Dans les autres provinces canadiennes, la situation est variée. Au Manitoba, les subventions couvrent 50% de l'ensemble des coûts, y compris ceux des élèves handicapés et du transport scolaire. En Saskatchewan, elles sont de 100% au secondaire. En Alberta, au pré-scolaire, elles sont de 100%; au primaire et au secondaire, de 60%. En Colombie-Britannique, une catégorie d’écoles reçoit 50%; l’autre, 35%. Reste l’Ontario où les écoles privées reçoivent peu, mais où les écoles séparées sont subventionnées à 100%.

Profil socio-économique
Sur le plan économique, 20% des parents du réseau privé ont un revenu familial inférieur à $ 50 000. De plus, 37% des élèves reçoivent une aide financière de la part des établissements. En 2004-2005, le montant atteignait $4.5 millions.
Sur le plan de la mixité sociale, la situation est variée. Sur l’île de Montréal, 1/3 des parents des élèves du privé ne sont pas d'origine canadienne. Ce qui est sensiblement identique au pourcentage du secteur public.

Profil académique
La sélection des meilleurs candidats vaut pour quelques écoles très connues, situées en particulier à Montréal et Québec. Ces établissements sont cependant peu nombreux : une dizaine au plus. Ailleurs, les "examens d'admission" sont des examens de classement qui permettent de constituer des groupes homogènes et/ou d'offrir des services spéciaux. Certaines écoles n’ont même pas d’examens de sélection : elles exigent une simple rencontre pour faire connaissance. En réalité, dans l'ensemble du Québec, en 2004, plus de 70% des jeunes qui se sont présentés aux examens d'admission en Sec. I ont été admis; 17% ont été refusés faute de place; et 5% l'ont été parce que les établissements ne disposaient pas des ressources financières nécessaires aux besoins particuliers de ces jeunes.
Depuis plusieurs années, le réseau privé accepte des élèves présentant un retard scolaire. En gros, environ 25% des établissements privés ont un taux d'élèves en retard scolaire égal ou supérieur à 15% (il est de17% au public). Bien plus, en 2002-2003, par exemple, 16% des écoles privées avaient un taux de retard scolaire plus élevé (24%) que celui du réseau public.
En élargissant la question à l'ensemble des difficultés scolaires graves, difficultés d’apprentissage, on découvre que, en 2004-2005, près de 30% des établissements membres de la Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP) offrent des programmes spécifiques aux élèves éprouvant des difficultés scolaires: groupes restreints, deux premières années du secondaire en trois ans, cours d'appoint dans les matières de base, cours de méthodologie du travail. Et cela sans aide financière de l'État. Un exemple particulier: à l'école St-Joseph de St-Hyacinthe, il y a trois groupes de 25 élèves qui font secondaire I et II en trois ans, grâce aux dons de la communauté religieuse. L’absence de subvention affecte les pensionnats, qui reçoivent souvent des élèves qui souffrent de difficultés familiales ou scolaires; mais non les 12 établissements spécialisés en adaptation scolaire (EHDAA), au sein de la FEEP, qui travaillent étroitement avec les commissions scolaires et qui reçoivent des subventions égales à celles des établissements publics.
II – Les enjeux
Ces chiffres et manières de faire, on le sait, soulèvent ou couvrent des enjeux éducatifs et sociaux importants.

La sélection des élèves
Il est normal que des écoles privées se donnent un objectif particulier et mettent en oeuvre les moyens pour l'atteindre. On trouve le même phénomène dans plusieurs écoles publiques (écoles internationales, sections internationales, concentrations sports/études, arts/études) où la sélection sur dossier académique existe parce que les candidats doivent suivre un programme scolaire plus exigeant ou voir le programme régulier en moins d’heures à cause du temps consacré à leur spécialité. Dans l’ensemble, les écoles privées sont plus petites que les établissements publics et ne peuvent offrir des sections spécialisées. Pourquoi ne pas considérer le réseau privé dans son ensemble (comme une grande commission scolaire) où quelques écoles sélectionnent en regard du dossier scolaire; la très grande majorité ne le faisant pas, par nécessité ou par vision sociale. Comme l’écrit Yves Boivert, «Le système scolaire doit se soucier des élèves en difficulté. Mais il doit aussi offrir un espace à ceux qui ont des talents et des intérêts particuliers et le goût de les développer. Parmi les succès du public depuis 20 ans, on compte plein d’initiatives qui supposent une forme de sélection et d’enrichissement de l’enseignement. […] La sélection n’est pas l’ennemi du système scolaire. » (La Presse, 13 oct. 2012)

Les élèves en difficulté
Si on veut obliger toutes les écoles privées à accepter tous les élèves qui se présentent, donc plus d’élèves en difficulté, il faudrait ajuster leur financement, à savoir leur donner les subventions additionnelles que les écoles publiques reçoivent pour ces types d’élèves, comme le demande d’ailleurs l’Avis du CSÉ signalé précédemment (Orientation #4, qui n’est cependant pas reprise dans les Recommandations). Il est injuste de leur reprocher de ne pas accepter davantage d'élèves en difficulté sans leur donner de subventions pour les services supplémentaires exigés (orthophonistes, orthopédagogues, travailleurs sociaux, psychologues) alors que les écoles publiques reçoivent des sommes particulières pour ce faire.

L’économie publique et valeurs sociales
Dans le système actuel de subventions, l’État économise 40% des coûts (ce que paient les parents), soit une économie de $240 millions. Selon l’économiste Pierre Fortin, si tous les élèves du privé passaient au public, l’État devrait assumer une dépense additionnelle de $400 millions. Divers autres économistes ont essayé de chiffrer combien l’État devrait débourser de plus que maintenant selon la proportion d’élèves qui quitterait le privé pour le public advenant une diminution des subventions. Il n’est pas certain que cette hausse soit compensée par la diminution des subventions au privé.
De toute façon, si l’État diminuait ses subventions de façon importante, cela porterait atteinte au droit des parents à choisir l’éducation pour leurs enfants, droit fondamental reconnu par les chartres internationales, l’école privée devenant pratiquement réservée aux riches. Cette hypothèse accentuerait ainsi l’inégalité entre les riches et les pauvres.
Quant au pourcentage de la subvention (60%), il est le fruit d’un compromis historique qui reste acceptable et ne se comporte pas si mal en regard de ce qui se passe dans les autres provinces et les autres pays. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que les parents qui envoient leurs enfants au privé paient aussi les taxes scolaires imposées à tous par les Commissions scolaires.

III - Valoriser l'école publique
Il y a quelque temps, la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) a publié un document très intéressant (Plateforme pédagogique) visant à valoriser l'école publique et, du coup, diminuer le décrochage scolaire. Plusieurs pistes sont à retenir : recentrer l'école sur la transmission des savoirs plutôt que sur les apprentissages, revoir le rôle de l'enseignant, permettre le redoublement de classe, supprimer les programmes par cycle de deux ans, cesser l'intégration massive des élèves en difficulté. Toutes pistes à explorer.
Dans un article récent, Josée Boileau pointe la motivation des parents à choisir le privé. «Les enquêtes le démontrent, écrit-elle, ils ne sont pas en quête d’excellence quand ils visent le privé, mais d’encadrement. Pour leurs enfants, ils veulent des devoirs, beaucoup!, des profs disponibles après les classes, des heures de dîner sous surveillance…» (Le Devoir, 13-14 oct.). Bernard Amyot, pour sa part, insiste sur l’importance de créer un sentiment d’appartenance fort chez les professeurs, les professionnels et les cadres (La Presse, 17 oct.).
Je voudrais insister sur quelques autres pistes inspirées du réseau privé. 1) Augmenter l’encadrement des élèves, la discipline, les règles vestimentaires : c’est un des motifs importants des parents pour choisir le réseau privé. 2) Organiser des groupes d’élèves stables, au moins durant les premières années du secondaire : les jeunes de cet âge ont besoin d’un sentiment d'appartenance, et plusieurs sont perdus et désorientés quand ils arrivent dans les polyvalentes actuelles. 3) Concentrer sur un seul semestre l’enseignement des «petites matières» plutôt que de l’étaler sur l'ensemble de l'année: d’un côté, cela valoriserait la matière aux yeux des élèves et de l’autre, faciliterait la tâche des enseignants qui auraient moins de groupes à rencontrer concurremment ainsi que moins de préparations différentes à faire. 4) Au lieu du redoublement pur et simple, regrouper les élèves faibles pour faire secondaires 1 et 2 en trois ans: le classement serait perçu moins négativement par les élèves et l'adaptation pédagogique serait plus facile pour les maîtres.
Nos deux filles ont beaucoup aimé leur polyvalente, en particulier à cause d’un professeur de musique, dédié, qui formait un orchestre comme activité para-scolaire.
***
Le système éducatif idéal n'est pas celui qui met tous les élèves sur le même pied, mais celui qui s’ajuste à leurs besoins, talents et possibilités. Pour améliorer le système québécois, il faut éviter les solutions radicales, générales, pour mieux cibler les objectifs et choisir les meilleurs compromis entre les diverses valeurs en jeu.

Guy Durand
Professeur émérite de l’Université de Montréal
L’auteur a publié en 2007 L’école privée. Pour ou contre, Éditions Voix parallèles.

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