Donner au droit civil la place de choix qui lui revient

Louise Vadnais
Mal aimé, le droit civil n’en reste pas moins au centre de plusieurs grands enjeux de notre société.
Après des décennies passées à l’ombre des autres disciplines, le droit civil s’apprête à prendre la place qui lui revient, se réjouit Benoît Moore. Ce dernier, professeur à la Faculté de droit depuis six ans, est le titulaire de la nouvelle chaire de droit civil qui sera officiellement lancée le 11 mai.

«En droit comme ailleurs, les étudiants sont aspirés par les modes. Après le droit public, le droit constitutionnel et le droit international, c’est actuellement le droit des affaires qui a la vedette. Bien que le droit civil ne soit jamais à la mode, il est intemporel et c’est lui qui assure le lien entre les différentes branches du droit. On le retrouve partout, par exemple en droit des affaires et en droit du commerce électronique. Le civiliste, c’est un peu l’ami de service.»

Un don substantiel du juge Jean-Louis Baudouin, à la Cour d’appel du Québec depuis 1989, professeur à la Faculté de droit pendant plus de 25 ans et artisan de la réforme du Code civil du Québec, a donné le coup d’envoi au projet d’une chaire de droit civil.

«La renommée de cet éminent juriste, parmi les plus influents de la seconde moitié du 20e siècle, auteur réputé d’ouvrages sur la bioéthique, les obligations et la responsabilité civile, a largement contribué à attirer d’autres donateurs, cabinets, organisations, diplômés et amis», souligne le professeur Moore, qui a fait sa maitrise en droit civil à l’Université sous la direction du juge Baudouin, auquel il voue toujours une profonde admiration: «C’est aussi pour souligner sa prestigieuse carrière et son immense contribution à l’évolution du droit civil que la Chaire porte son nom.»

«Le droit des gens, le droit de l’équilibre»

Le droit civil ou droit privé est au centre de bien des enjeux dans la société. Pluralité des modèles familiaux, mariage, filiation et adoption entre homosexuels, polygamie, volontés de fin de vie, cessation de traitement, euthanasie et aide au suicide comptent parmi les situations qui vont intéresser la Chaire durant les cinq prochaines années.

Si le droit privé est une idée qui recouvre une réalité plurielle, pour le professeur Moore, c’est d’abord «le droit des gens, le droit de l’équilibre». Le droit civil s’attarde à protéger les vulnérabilités physiques, psychologiques et économiques des gens. «On pense à l’inviolabilité du corps et de l’image, aux personnes âgées, aux mineurs. Avant, le droit restait passif à l’égard de ces éléments. Aujourd’hui, il se donne les moyens de créer l’équilibre. Tous les civilistes se réclament de cette réalité du respect ou du rétablissement de l’équilibre», affirme le titulaire.

Spécialisé en droit de la famille, Benoît Moore s’est entouré de civilistes issus de disciplines diverses afin de «bâtir des ponts à l’intérieur et à l’extérieur de la Faculté». Trois professeurs de la Faculté de droit siègeront au comité scientifique: Didier Lluelles, spécialisé en droit des assurances, Patrice Deslauriers, coauteur avec Jean-Louis Baudouin d’un ouvrage sur la responsabilité civile, et Élise Charpentier, concernée par le droit des biens et des suretés et l’histoire du droit.

Deux juristes de l’extérieur en feront également partie: Jean-Guy Belley, directeur du Centre de recherche en droit privé et comparé de l’Université McGill, et Serge Gaudet, associé au sein du cabinet montréalais Heenan, Blaikie.

Rayonnement et pérennité du droit civil

Le rayonnement du droit civil est au cœur des préoccupations de la Chaire. Certes, établir des relations avec la pratique y contribue, mais pour le titulaire ce rayonnement passe d’abord par la pérennité du droit civil dans le milieu universitaire. «À la maitrise en droit, peu d’étudiants choisissent la spécialisation en droit civil pour leur mémoire», déplore le professeur Moore, qui entend bien renverser la vapeur, notamment en attirant des professeurs ou des chercheurs étrangers.

Pour y arriver, la Chaire envisage la création d’une bourse prestigieuse afin d’inviter un jeune collègue, ou encore un étudiant québécois ou étranger sur le point de terminer sa thèse, à venir passer une année à la Faculté. «Ces gens, figures dominantes de leur génération, amènent d’autres gens dans leur sillon et les retombées profitent à l’ensemble de la Faculté.»

Le titulaire pense aussi à mettre sur pied un cycle de conférences données par des étudiants en fin de maitrise, «les meilleurs issus de toutes les facultés de droit», dans le but de leur offrir une tribune qui les ferait connaitre et ainsi de créer une stimulation intellectuelle. «Nous voulons favoriser l’émulation et susciter une synergie à la faveur du droit civil et du même coup encourager l’éclosion de jeunes carrières.»

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