Conseils à un jeune maire

René Laurin


René Laurin vient de quitter la mairie de Joliette après avoir servi ses concitoyens pendant douze ans. En tant que confrère de collège, j’ai eu le privilège de voir la vidéo de son discours d’adieu, un bilan où les contributions à la vie culturelle de la ville occupent une large place. J’en ai conclu qu'il aurait bien des conseils pertinents à donner aux jeunes qui se lancent en politique municipale en dépit des scandales qui ont discrédité ce milieu récemment. Voici l’essentiel de notre dialogue.

J.D.

De tous les confrères, tu es celui qui avait le plus d'entregent, comme on disait à l'époque. Tu as sans doute eu toujours beaucoup d'amis, ce qui expliquerait tes succès en politique. Comment peut-on demeurer honnête en politique quand on a beaucoup d'amis? Quels conseils donnerais-tu à ce propos à un jeune qui se lance en politique.

RENÉ LAURIN
En politique comme en affaires ou comme en tout autre domaine, la façon la plus sûre de demeurer honnête c’est de demeurer transparent.

J.D.
N’y a-t-il pas bien des choses qui doivent rester cachées dans une administration? La transformation de la transparence en un idéal nous met sur une piste dangereuse. Ne vaudrait-il pas mieux remettre à l’honneur la vertu de prudence. Elle consiste entre autres choses à distinguer les choses qu'il faut cacher de celles qu'il faut révéler. (Voir nos dossiers Prrudence et Transparence


RENÉ LAURINTu as raison. Il arrive souvent que, pour des raisons stratégiques, certains documents ou informations doivent rester confidentiels au stade de l’étude d’un projet.
La divulgation prématurée de certains éléments pourrait mettre en péril la réalisation de tout le projet dans sa conception originale. Mais une fois la décision prise , il est essentiel que les vraies raisons qui ont conduit à cette décision soient connues du public. Dans cette optique, la prudence s’inscrit en amont du processus décisionnel alors que la transparence s’impose plutôt en aval.

J.D.
Et les faux amis?

RENÉ LAURIN
Les faux amis, par exemple, vous offriront leur appui inconditionnel à la promotion d’un nouveau projet, mais vous laisseront tomber dès que la première opposition publique leur fera craindre de perdre un client. On peut se demander où se trouvaient les vrais amis du maire Tremblay lors de sa comparution à la commission Charbonneau.

J.D.
Dans le monde municipal, dans Lanaudière en particulier, les leaders devaient savoir depuis longtemps comment les choses se passaient à Laval, à Terrebonne, etc. Pourquoi ce milieu municipal n'a-t-il pas fait lui-même le nettoyage qui s'imposait?

RENÉ LAURIN Personnellement, j’avais souvent entendu certains entrepreneurs ou certains bureaux d’ingénieurs DIRE qu’il leur était très difficile d’obtenir des contrats de la ville de Terrebonne mais surtout de la ville de Laval, sans préciser pourquoi.
Sans accusations précises, il est bien difficile de porter un jugement sur des collègues d’autres municipalités qui, malheureusement, sont trop souvent victimes de rumeurs mal fondées ou d’insinuations malveillantes.
De plus il est important de respecter l’autonomie de chaque municipalité et de faire confiance aux contribuables de ces villes qui sont les mieux placés pour enquêter sur chaque situation paressant douteuse.
D’autre part, il faut reconnaître que les medias ont joué un rôle irremplaçable dans toute cette histoire indicible et continue de le faire avec beaucoup de succès.

J.D.
De quels médias parles-tu? Si je ne m’abuse, il s’agit de médias nationaux. Les médias locaux sont-ils en mesure d’assumer une quelconque responsabilité dans ce domaine? Je me souviens d’un fait précis survenu VERS 1992-93. À St-Michel des Saints, pour la énième fois, une entreprise déclare faillite pour éviter de payer sa dette à la CSST. Elle rouvre ses portes un peu plus tard sous un autre nom et reçoit des félicitations d’un ministre pour sa création d’emplois. À St-Michel à peu près tout le monde savait ce qui se passait…et personne ne protestait. Quant aux journaux locaux et régionaux, ils n’ont pas réagi, du moins selon mes sources à l’époque.
On me dit qu'il n’y a même plus d’éditoriaux dans les journaux locaux. À quelles conditions selon toi, pourrions-nous avoir une presse locale plus libre?

RENÉ LAURINLes médias locaux ou régionaux ont des budgets plus modestes, mais ils sont quand même présents à toutes nos séances du Conseil. Ils interviennent à chaque période de questions et leur reportages sont souvent repris par la presse nationale, laquelle n’hésite pas à ouvrir une enquête si la nouvelle leur semble suffisamment ¨juteuse¨ pour intéresser un plus grand public. ( Ce fut le cas à la ville de Saint-Jérôme , l’an passé).

J.D.
Depuis l'arrestation du policier Roberge, les observateurs les plus lucides de la scène publique se demandent s'il est encore possible de résister au crime organisé au Québec. Connais-tu des endroits où le nettoyage a été réussi?

RENÉ LAURIN
Le crime organisé cherche à s’implanter partout où un bassin de population est suffisamment grand pour permettre une activité illégale, clandestine et lucrative.
Les lieux privilégiés de ces criminels sont les bars et les endroits publics mal éclairés et bien fréquentés par les jeunes des deux sexes.
Les meilleurs moyens de contrer ces activités sont la prévention et la dénonciation précoce au moindre signe de la présence d’individus louches sur notre territoire.
On peut aussi avoir recours à des caméra de surveillance, à un bon éclairage des endroits publics et à une présence policière accrue aux heures les plus propices.

J.D.
Que conseillerais-tu à un élu qui est victime de chantage et craint pour sa sécurité?

RENÉ LAURIN
Je lui conseillerais de dénoncer sans hésiter ses maîtres-chanteurs et de demander l’aide de la police.

J.D.
Les élus municipaux sont-ils assez bien payés pour rester honnêtes?

RENÉ LAURIN
La loi des Cités et Villes prévoit un montant minimum à titre d’honoraires pour les élus municipaux, mais ces montants sont vraiment insuffisants. Cependant, la loi permet aussi aux élus municipaux de déterminer le montant des honoraires qui doivent leur être versés par la ville ou la municipalité. Ces montants sont sujets à l’approbation des contribuables par voie de référendum, mais cette procédure est rarement utilisée. Si les maires et les conseillers n’en demandent pas plus, à certains endroits, c’est peut-être qu’ils sont très généreux ou qu’ils estiment être rémunérés selon leur juste valeur réelle.

J.D.
On me dit que dans certaines villes, ont plaçait deux beaux lampadaires devant les maisons des anciens maires. Accorde-t-on dans le Québec actuel suffisamment d’importance à cette reconnaissance sous forme d’honneurs.

RENÉ LAURIN
Cette coutume existe aussi à Joliette depuis des dizaines d’années. Toutefois, les deux lampadaires sont installés devant la maison du Maire pour la durée de son terme seulement; à l’élection d’un nouveau maire, les lampadaires sont transférés devant la résidence de ce dernier.

NDLR
Nous aurions dû formuler notre question ainsi : Le sens de l’honneur est l’un des fondements de l’éthique. Pour sauver notre honneur nous posons souvent des gestes que l’amour du Bien ne suffirait pas à nous inspirer. Nos maires sont-ils suffisamment reconnus par notre société pour que leur sens de l’honneur en soit nourri?




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