Confucius et l'éducation
Bref survol biographique
Confucius (551-479 avant l'ère chrétienne), dont le patronyme était Qiu et le prénom Zhongni, naquit à Quyi, ville de la principauté de Lu (aujourd'hui Qufu, dans la province du Shandong). Nobles de la principauté de Song qui s'étaient enfuis au pays de Lu à la suite de troubles politiques, ses ancêtres s'étaient peu à peu déclassés. Alors qu'il n'était encore qu'un enfant, Confucius perdit son père, modeste fonctionnaire, laissant sa famille dans la misère. D'abord petit employé chargé de l'administration du bétail puis des greniers, il accéda vers la quarantaine aux fonctions de préfet (Zai), et de responsable des travaux publics (Sicong) de Zhongdu, puis de responsable de la sécurité et de la justice (Sikou) de la principauté de Lu.
Plus tard, il parcourut avec ses disciples les pays de Wei, Cao, Song, Zheng, Chen, Cai, etc., exposant ses points de vue politiques et enseignant sa doctrine morale, mais sans succès. Il revint finir sa vie dans la principauté de Lu, où il se consacra à l'écriture et à l'enseignement.
Toute sa vie, Confucius eut la passion d'apprendre et d'enseigner. Il fut un grand érudit aux multiples talents et, de son vivant même, sa réputation s'étendait fort loin. Avant lui, sous la dynastie des Zhou, les études s'effectuaient dans l'administration sous la conduite de fonctionnaires de celle-ci. L'enseignement général était le monopole exclusif des nobles, mais il était dénié au peuple. Au surplus, la notion même d'enseignant professionnel à plein temps était inconnue. L'enseignement visait à dispenser aux nobles une formation à la fois civile et militaire par l'étude des «six arts» : rites, musique, tir à l'arc, conduite des chars, calligraphie et mathématiques.
Confucius vécut à la fin de la période «des Printemps et des Automnes» au moment où la société chinoise, passant de l'esclavagisme au féodalisme, connaissait des troubles et subissait de profonds changements. Les «études au sein et par l'administration» perdaient progressivement leur fondement politique et économique tandis que la culture se popularisait. Conscient de cette tendance, Confucius brisa le monopole exercé sur l'éducation par la classe noble en ouvrant une école privée, accueillant aussi bien les pauvres que les riches. «Mon enseignement, disait-il, est destiné à tous, sans distinction.» Il commença à s'attacher des disciples quand il eut atteint la trentaine. Il en eut au total trois mille, dont 72 maîtrisèrent les «six arts». Par sa taille, le nombre de ses élèves comme par la qualité de son niveau, l'école de Confucius était unique en son temps. De son vivant et par après, son enseignement eut une influence considérable dans les domaines de l'éducation, de la politique, de l'économie, de la culture, aussi bien que dans celui de l'éthique et de la morale. Il s'y consacra près d'un demi-siècle jusqu'à ce que la maladie l'emporte à l'âge de 72 ans.
Ses vues sur l'éducation
Pendant ce demi-siècle, Confucius, non content de former excellemment de nombreux étudiants, ne cessa de faire la synthèse de ses expériences pédagogiques, élaborant ainsi sa propre doctrine de l'éducation.
Qui doit être éduqué?
La première question à laquelle l'éducateur doit répondre est celle de savoir à qui adresse son enseignement. A ce sujet, Confucius disait que son enseignement était destiné à tous, sans distinction (Wei Ling gong, Entretiens). Parmi ses élèves figurèrent aussi bien des gens du peuple que des nobles, ce qui, en ce temps-là, élargit considérablement l'accès à l'éducation.
En ouvrant à un plus grand nombre d'individus les portes du savoir, il favorisa l'essor de l'enseignement général dans la Chine ancienne, contribuant par là tout à la fois aux réformes politiques et à la diffusion de la culture et illustrant le caractère humaniste de l'enseignement confucéen et dont l'influence sur les écoles et les académies privées de la société féodale fut
considérable. Une telle approche devait aussi contribuer à créer les conditions nécessaires pour que la classe montante des propriétaires fonciers puisse acquérir le pouvoir que confère l'instruction et générer elle aussi des hommes de talent.
Rôle et objectifs de l'éducation
Partant du principe politique qu'il faut de la vertu pour gouverner et observant, sur le plan psychologique, que «par leur nature, les hommes sont proches, mais que c'est dans leurs pratiques qu'ils divergent» (Yang Huo, Entretiens), Confucius montra que l'éducation joue un rôle fondamental dans le développement de la société tout comme dans la formation de l'individu. Non seulement l'éducation offre un moyen et ouvre une voie pour assurer le règne de la vertu, mais elle peut aussi modifier la nature humaine et l'améliorer qualitativement. En élevant le niveau de moralité de chacun, c'est la société tout entière qu'elle rend plus vertueuse: lorsque; dans le royaume, chacun agit avec droiture, alors le royaume est bien administré, dans l'ordre et selon la loi. Même s'il est excessif d'avancer que le règne de la vertu peut être assuré par l'éducation, le souci de privilégier celle-ci et l'idée qu'il faut agir sur chaque individu pour hausser le niveau moral de la société méritent aujourd'hui encore l'attention. Ces principes marqueront tous les théoriciens de l'enseignement et les dirigeants de l'époque féodale, qui, pour la plupart, insisteront sur le fait que l'éducation permet d'améliorer les qualités de chacun et d'assurer l'ordre et la sécurité dans le pays, et qu'il importe donc de la développer. Mais c'est seulement depuis Confucius que l'attachement à l'éducation est devenu graduellement une des grandes traditions de la société féodale chinoise.
Une autre question à laquelle tout éducateur doit apporter une réponse est celle du type de personne à former. Dénonçant le système fondé sur le favoritisme et la transmission héréditaire des charges aux nobles qui avait cours en son temps, Confucius préconisa que les nominations se fassent en fonction du mérite en cherchant «à promouvoir les plus capables» (Zi Lu, Entretiens). Il pensait que l'éducation devait avoir pour objectif de former des gens capables (xiancai) - qu'il appelait aussi shi (gentilshommes) ou junzi (hommes de bien) - «alliant compétence et vertu», qui feraient ensuite carrière dans l'administration et prendraient part au gouvernement, de sorte que l'idéal d'un royaume régi avec intégrité serait réalisé. «Tu estimes avoir assez étudié? Engage-toi alors dans une fonction dans l'administration» conseillait-il à ses disciples (Zi Zhang, Entretiens). Cette conception qui s'opposait radicalement au système de la transmission héréditaire des charges influa sur le système de formation et de recrutement des fonctionnaires adopté ultérieurement par la société féodale et servit de base théorique au système de sélection mis en place sous les Han, puis au système d'examens impériaux qui restera en vigueur depuis les Sui et les Tang jusqu'à la chute de la dynastie mandchoue, tout en fournissant le principe directeur de l'ensemble du système éducatif féodal. Jusqu'à ce jour, la Chine est restée fidèle à ces deux traditions: former des personnes alliant compétence et intégrité morale et n'attribuer les postes qu'en fonction du mérite.
Contenus
Dans le droit fil de ces objectifs, Confucius conçut l'éducation selon deux grands volets: l'éducation morale, qui serait privilégiée, et la transmission des connaissances.
L'éducation morale devait nécessairement occuper la première place, puisqu'il s'agissait de former des individus de grande vertu pour aider le prince à gouverner de façon intègre. Elle devint donc la base de l'enseignement confucéen. Conformément aux intérêts de la classe des propriétaires fonciers féodaux, Confucius remodela les conceptions de la morale héritées du passé et énonça une série de règles nouvelles visant à mettre fin au chaos politique et à la décadence morale de son époque. Sa pensée éthique est indissociable de sa pensée philosophique et politique et se caractérise par une vitalité peu commune qui en fit le moteur du développement de la civilisation féodale pendant plus de deux millénaires. L'essence de sa doctrine éthique est l'«humanité» ou «bienveillance» (ren), c'est-à-dire l'amour du prochain. Cette vertu se manifeste dans toutes les formes de rapports entre les êtres humains et est à la source des autres qualités: la piété filiale (xiao), le respect des aînés (ti), la loyauté (zhong), l'attitude respectueuse (gong), la magnanimité (kuan), la fidélité (xin), la diligence(min), l'altruisme (hui), l'affabilité (wen), la bonté (liang), la frugalité (jian), la tolérance(rang), l'indulgence (shu), la sagesse (zhi), le courage (yong). C'est cette même vertu qui amène à se garder de tout excès, à ne pas craindre les difficultés, à discerner l'aimable du haïssable et à se conduire avec honnêteté et droiture. Ces formes de vertu procèdent du ren, qui prescrit aux êtres humains de se témoigner mutuellement sympathie, sollicitude et respect, et de veiller les uns sur les autres. Afin que tous ces impératifs éthiques puissent renforcer le sens de la responsabilité de chaque individu et de la société tout entière, Confucius insistait pour que chacun cultive la vertu et reçoive une éducation morale. Grâce aux efforts déployés personnellement à cet égard par chacun, les affaires familiales seront en ordre, le pays sera bien gouverné, le peuple vivra en sécurité et la paix régnera dans le monde. L'éducation morale était donc pour Confucius le moyen de mettre en oeuvre son idéologie de la vertu. Considéré comme le fondateur de l'enseignement de la Chine féodale, il en a défini le contenu de base en élaborant son éducation morale et en a déterminé la nature et les orientations de développement. Bien plus, son éthique a fixé et réglementé l'ensemble des rapports sociaux dans la Chine féodale.
Mais Confucius se préoccupait tout autant de la formation intellectuelle de ses disciples, c'est-à-dire de leur faire acquérir un bagage culturel, des compétences et des savoir-faire. Pour leur inculquer les valeurs morales de la société féodale, les bases d'une bonne culture générale et les compétences requises pour exercer des fonctions officielles, il mit au point six manuels qui furent considérés comme les textes fondamentaux de l'enseignement et de l'apprentissage: le Livre des Odes (Shi), le Livre des documents (Shu), le Livre des rites(Li), le Livre de la musique (Yue), le Livre des mutations (Yi) et les Annales des printemps et automnes (Chunqiu). Ces ouvrages didactiques traitent essentiellement des rapports sociaux et de l'éthique, mais abordent aussi de très nombreux autres domaines, entre autres la philosophie, l'histoire, la politique, l'économie, la culture ou l'art de la musique. Ils constituent les premiers manuels d'enseignement relativement complets de toute l'histoire de l'éducation chinoise. Depuis «L'exhortation à l'étude» de Xunzi, on les désigne avec déférence sous le nom de jing (livres canoniques ou classiques). Le livre de la musique est perdu, mais les cinq autres classiques confucéens ont constitué pendant plus de deux mille ans les ouvrages fondamentaux de l'enseignement féodal chinois. Partout ailleurs dans le monde, aucun autre ouvrage didactique n'a été utilisé aussi longtemps et avec autant de constance.
Depuis que l'empereur Wudi de la dynastie des Han fonda en 124 avant l'ère chrétienne le Collège impérial et ordonnant de «proscrire toutes les écoles de pensée et de ne s'en tenir qu'à la seule doctrine confucéenne», la Chine féodale a fait du culte de Confucius et l'étude des livres canoniques les pièces maîtresses d'un système d'enseignement conçu pour servir les intérêts de la classe dominante. Il faudra attendre 1919 pour le voir contesté par la violente offensive du «Mouvement du 4 mai».
Outre les six classiques, l'enseignement de Confucius portait aussi sur les six arts, à savoir les rites, la musique, le tir à l'arc, la conduite des chars, la calligraphie et les mathématiques. Tandis que les six classiques canoniques visaient essentiellement à transmettre une culture générale, les six arts avaient pour objet l'acquisition, par la pratique, des compétences et de savoir-faire. Confucius estimait qu'en combinant l'étude des six classiques et la maîtrise des six arts, l'étudiant développerait convenablement son sens moral tout en acquérant une solide culture générale et que par ce double apprentissage, il aura les compétences nécessaires pour devenir un bon fonctionnaire.
Centrée sur la politique et la morale, l'éducation confucéenne se limite aux principes qui font «l'homme de bien» et aux moyens que le fonctionnaire doit savoir utiliser. Les sciences naturelles y sont à peine effleurées, l'art du commerce et celui de l'agriculture totalement ignorés. Une autre caractéristique majeure de la théorie et de la pratique pédagogique de Confucius et, après lui, de l'enseignement féodal, est le mépris du travail manuel et de ceux qui s'y livrent. À l'exception de quelques modifications mineures, les contenus de l'éducation sont demeurés durant toute l'époque féodale conformes aux choix et aux priorités fixés par Confucius.
Quelques principes
Au cours de la longue période où il enseigna, Confucius élabora progressivement un ensemble de principes dans lesquels on distingue un éclairage matérialiste et dont beaucoup sont conformes aux lois générales de la pédagogie. En bref, il proposait de dispenser aux étudiants un enseignement conforme à leurs aptitudes, de les inspirer et de les guider, de les faire progresser par étapes, de s'instruire soi-même en enseignant, d'expliquer le présent à la lumière du passé, de s'adonner consciencieusement à l'étude et d'y prendre plaisir, de mener de pair la théorie et la pratique, l'étude et la réflexion, de faire en sorte que la conduite personnelle corresponde aux principes étudiés, d'encourager la réflexion personnelle, de tenir compte de l'âge des apprenants, de se maîtriser et de pratiquer l'introspection, de donner l'exemple, de rectifier ses erreurs et de s'améliorer, d'endiguer le mal et d'exalter le bien, d'être content que ses fautes soient signalées, de ne pas craindre de se corriger, d'oublier les griefs du passé, etc. Ces principes sont chez Confucius le fruit d'une profonde intuition que confirmera souvent l'épreuve de la pratique.
Les enseignants
Confucius s'est beaucoup exprimé sur la question des enseignants. Il fut lui-même considéré comme un remarquable pédagogue qui fut vénéré dans la société féodale en tant qu'exemple et modèle par d'innombrables générations d'enseignants.
Il considérait qu'un bon enseignant doit avant tout se passionner pour son travail et s'y consacrer avec zèle. Il doit ensuite posséder un savoir vaste et maîtrisé, condition indispensable pour que l'élève progresse à son contact. Pour obtenir de bons résultats, il doit en outre, selon Confucius, aimer ses élèves, bien les connaître, comprendre leurs particularités psychologiques, se demander comment les faire accéder à la connaissance, et mettre au point à cet effet des méthodes efficaces. Confucius estimait que le plus grand témoignage de vertu pour un pédagogue était d'enseigner et encore d'enseigner afin d'aider ses élèves à s'épanouir.
L'enseignant devait avoir en outre de fermes convictions politiques, se montrer modeste et prudent dans ses relations avec autrui, transmettre son savoir de façon désintéressée et sans en rien garder par divers soi, s'exprimer avec élégance et de manière vivante, veiller à sa propre moralité et joindre l'exemple aux paroles.
Aujourd'hui encore, la déontologie de Confucius éducateur, la façon dont il s'acquittait lui-même de cette tâche et son attachement à «la juste voie» sont considérés comme son meilleure et sa plus grande contribution à la cause de l'éducation.
Éducation et économie
Confucius ne s'est guère étendu sur les rapports entre l'éducation et l'économie, mais il a cependant exprimé l'idée qu'il fallait d'abord assurer la prospérité avant d'éduquer. Une population instruite, nombreuse et prospère était à ses yeux la clé d'une bonne administration, ce qui non seulement mettait en évidence l'importance de l'éducation, mais montrait en outre que le développement de celle-ci devait se fonder matériellement sur celui de l'économie. Un Etat ne peut être bien administré que si sa population est florissante et si sa prospérité lui permet d'avoir de plus en plus accès à l'éducation. Cette vue de l'économie de l'éducation reflète une sorte de matérialisme encore élémentaire.
Psychologie de l’éducation
Dans ce domaine, Confucius appliquait, consciemment ou non, certains principes de psychologie pour résoudre les problèmes concrets auxquels il était confronté, et il formula quelques remarques relatives à ce que nous appelons aujourd'hui la psychologie différentielle, la psychopédagogie, la psychologie de l'éducation morale et la psychologie de l'enseignant. En ce qui concerne le processus éducatif, il fit sur la diversité des étudiants - en termes d'intelligence, d'aptitudes, de caractère, d'aspirations, de centres d'intérêt, de goûts, - des observations témoignant d'une réflexion attentive qui l'amenèrent à proposer quelques principes pédagogiques, comme «l'adaptation de l'enseignement aux aptitudes de l'élève» et l'efficacité de la démarche consistant à «éclairer et à provoquer les questions» des enseignés.
Mais la réflexion de Confucius sur l'éducation ne s'est pas limitée à ces quelques domaines et les chercheurs qui en ont récemment étudié d'autres dimensions, notamment philosophiques et sociologiques, estiment qu'elles comportent d'autres aspects à explorer et où les éléments rationnels, par exemple, ne manquent pas.
On voit de ce qui précède que Confucius avait esquissé une conception conforme aux intérêts de la classe des propriétaires fonciers de la Chine de son temps et commencé lui-même à la mettre en oeuvre. Il a établi les fondements de l'éducation féodale au moment de l'histoire où le système esclavagiste cédait la place au système féodal, apportant à la création de l'enseignement de celui-ci une importante contribution historique, qui, à l'évidence, fit date en révolutionnant l'éducation chinoise. Aussi occupe-t-il une place unique dans l'histoire de l'éducation en Chine et son influence est telle que si on faisait abstraction de son apport, l'histoire du développement de l'éducation dans notre pays deviendrait incompréhensible.
L'influence de Confucius
La pensée de Confucius n'a pas seulement exercé une profonde influence sur le développement de la société chinoise, et en particulier de l'éducation et de la morale, elle a aussi eu un impact hors de Chine. À différentes époques de l'histoire et dans divers contextes, elle a été diffusée par toutes sortes de canaux dans de nombreux pays à l'est et à l'ouest.
Confucius et sa doctrine n'appartiennent pas seulement à la Chine, mais au monde tout entier où il est reconnu comme une des grandes figures de la civilisation et de la culture universelle.
La propagation de la pensée confucéenne a été plus ancienne à l'est qu'à l'ouest et y a laissé une empreinte plus profonde. Ses idées pénétrèrent en Corée et au Vietnam voici plus de deux mille ans, à l'époque des Qin et des Han. En 285 de l'ère chrétienne, elles filtrèrent de la Corée au Japon. Du Vietnam, elles gagnèrent plusieurs pays de l'Asie du Sud-Est et du Sud. Dans ces pays où elles se sont imposées depuis des siècles, elles ont imprimé leur marque sur les coutumes et les traditions. Aussi le confucianisme y constitue-t-il, comme en Chine, le pilier de la culture et des traditions nationales. Nombre de chercheurs postulent l'existence depuis l'Antiquité d'une «aire culturelle confucianiste» dont la Chine est le noyau, et dont la Corée, le Vietnam et le Japon sont les principaux membres. Le confucianisme est devenu, avec le bouddhisme, le christianisme et l'islam, l'un des quatre grands systèmes culturels de la planète. Dès sa propagation, la pensée de Confucius influença profondément le développement de la politique, de l'économie, de la culture, et plus encore, de l'éducation et de l'éthique dans les pays de la région, notamment en Corée, au Japon et au Vietnam. Avant que ses idées n'y pénètrent, ces trois pays se trouvaient soit à la charnière de la société primitive et de la société esclavagiste, soit en train de passer de cette dernière à la société féodale. Ils n'avaient ni écriture, ni littérature, ni à plus forte raison d'écoles. Après l'introduction des classiques confucéens, ils adoptèrent les idéogrammes chinois, élaborèrent des livres dans cette écriture et se dotèrent à l'instar de la Chine d'écoles ou l'on enseignait la doctrine du Maître. On peut donc dire que c'est la propagation du confucianisme qui fut l'origine directe de la mise en place de leur enseignement scolaire. La formation des lettrés comme le recrutement des fonctionnaires, tout fut confucianisé. Pour ce qui est de la formation, l'enseignement scolaire de ces trois pays, à l'échelon central comme à l'échelon local, dans les écoles publiques comme dans les écoles privées, dans l'enseignement supérieur comme dans l'enseignement élémentaire, dans ses objectifs, ses contenus, dans la sélection et la promotion des enseignants, l'évaluation des étudiants et leur affectation, est remarquable se caractérisa par sa fidélité au confucianisme. L'image de Confucius fit l'objet d'un culte dans toutes les écoles et à tous les niveaux. Le Japon vénérait en lui «le premier des sages et le premier des maîtres», le Vietnam «le Sage qui fut le maître des dix mille souverains». Il était considéré comme un modèle pour les générations successives et l'incarnation la plus accomplie de la vertu, devant qui professeurs, élèves, et même l'ensemble de la société, devaient se prosterner. Le confucianisme imprégnait également l'éducation familiale et sociale, celle des femmes et celles des petits enfants, celle dispensée à la Cour impériale et celle des étudiants partis à l'étranger.
Dans ces pays aussi, les classiques confucéens servirent de matériels didactiques à l'époque féodale. En Corée, au Japon et au Vietnam, l'éducation féodale, comme en Chine, reposait sur le respect de Confucius et la lecture des livres canoniques. Il est donc légitime de considérer que ces trois pays n'ont fait, à l'époque féodale, qu'étendre le champ d'application de l'enseignement pratiqué alors en Chine.
Pour ce qui est du système de recrutement des fonctionnaires, des examens fondés sur le confucianisme furent, sur le modèle de la Chine, organisés durant onze siècles (de 788 à 1893) en Corée et durant plus de huit siècles (de 1075 à 1919) au Viet Nam. De tels examens ne furent certes pas institués au Japon, mais les Japonais furent les premiers à vénérer Confucius et à pratiquer les classiques, depuis les plus hauts dirigeants jusqu'aux fonctionnaires de tous grades en passant par les Shogun et leur entourage. La connaissance des idées de Confucius et des livres canoniques était également un critère important pour la nomination des fonctionnaires. De nos jours, Confucius continue d'occuper une place importante dans le système éducatif des pays de la région. Le Japon, Singapour, la Corée et le Sud-Viet Nam (avant la réunification du pays), notamment, sont demeurés fidèles à sa pensée, surtout dans le domaine de l'éducation morale. En 1982, le gouvernement de Singapour a exhorté les citoyens de ce pays à étudier et à propager la doctrine de Confucius, présentée comme énonçant «les principes essentiels de l'art de gouverner» et les règles morales de la vie en société; il a ensuite institué des cours d'éthique confucéenne dans l'enseignement secondaire et lancé de vastes campagnes d'éducation pour la promouvoir. Dans les autres pays d'Asie, l'empreinte du confucianisme sur l'éducation passée et présente des autres pays d'Asie, quoique moins profonde, est néanmoins perceptible à des degrés divers. Force est ainsi de reconnaître qu'aucun autre éducateur n'a exercé une influence comparable à la sienne sur l'enseignement dans cette partie de l'Asie.
Vers 1600, les missionnaires jésuites venus évangéliser la Chine répandirent les idées de Confucius en Occident. C'est principalement sur les philosophes des Lumières que cette influence fut sensible en Europe. Celle-ci en était alors au stade de la révolution bourgeoise et, pour combattre le despotisme et le principe du droit divin, ces penseurs cherchèrent des arguments dans la doctrine de Confucius. Sa philosophie athée, sa vision moraliste de la politique, sa conception du caractère indissociable de la politique et de l'éthique et sa théorie de l'économie qui mettait l'accent sur la production agricole remplirent d'admiration des penseurs tels que d'Holbach, Voltaire ou Quesnay, qui encensèrent Confucius, l'utilisant à leur façon pour dénoncer les abus de leur temps et attaquer le despotisme et la doctrine du droit divin, en lui prêtant leurs propres idéaux. Sous l'effet de leur prosélytisme, l'Occident connut un véritable engouement pour Confucius, très sensible encore aujourd'hui. Les colloques internationaux sur la pensée de Confucius se multiplient et non contents d'entreprendre de nouveaux travaux sur le confucianisme, les chercheurs occidentaux s'interrogent sur la modernité de sa doctrine.
Si de son vivant et en tant que pédagogue Confucius n'a pu atteindre son but, depuis sa mort, sa contribution à l'histoire de la culture et de l'enseignement en Chine et dans d'autres pays du monde lui a valu non seulement d'être vénéré comme «le premier des Sages» et «le modèle de dix mille générations» dans la société féodale chinoise, mais encore de faire l'objet ailleurs d'un respect quasi universel. Depuis l'Antiquité, de nombreux pays comparent les plus grands de leurs savants, de leurs éducateurs et de leurs penseurs à Confucius: l'éminent éducateur Ch'oe Ch'ung qui ouvrit la première école privée du royaume de Koryo passe pour «le Confucius coréen»; le penseur des Lumières français, Quesnay, a été surnommé «le Confucius de l'Europe»; le grand poète allemand Goethe était appelé «le Confucius de Weimar», le jésuite italien Matteo Ricci qui établit un parallèle entre les civilisations chinoise et occidentale, fut «le Confucius chrétien», preuve du respect et de l'admiration qu'il inspirait.
Pédagogue remarquable, Confucius est considéré dans de nombreux pays comme le
modèle des enseignants. Ce n'est pas seulement dans la Chine d'avant la libération et aujourd'hui à Taïwan que le jour anniversaire de sa naissance est jour de fête, mais aussi au Viet Nam et chez les communautés asiatiques des Etats-Unis ... Cette journée est marquée par des manifestations commémoratives et des cérémonies destinées à honorer les enseignants qui se sont particulièrement distingués afin d'encourager les maîtres à s'inspirer des vertus du grand éducateur.
Bibliographie
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Note
Tous les ouvrages mentionnés dans cette bibliographie ont paru en chinois.