Divin chocolat

Hélène Laberge
Dans le mouvement qui pousse les Québécois vers les choses fines, fromages de lait cru et restaurants gastronomiques, il y a l'apparition depuis quelques années de chocolateries. La plupart des petites villes ont la leur, dont les artisans ont été formés en France ou en Belgique. Un bon chocolat est une chose divine. Les Aztèques étaient de cet avis, eux qui en avaient fait la boisson des dieux!
Lorsque Cortez conquiert le Mexique en 1519, il conquiert également le chocolat. L'Empereur des Aztèques lui fera servir selon un rituel raffiné un breuvage noir et amer, une bouillie épaisse faite de fèves de cacao avec du piment, du gingembre, du miel, le tout bouilli et battu avec un fouet pour faire mousser, puis versé sur du maïs cuit.

C'est cet or noir (le chocolat plus que le pétrole mérite cette appellation!) qu'en 1527, Cortès rapporte en Espagne avec d'autres plantes et légumes inconnus: tomate, haricot blanc, pomme de terre, maïs, piment et tabac. Entre-temps, les Carmélites d'Oaxaca avaient fait passer le chocolat de l'amer au doux en introduisant le sucre de canne (apporté par les Espagnols dans le Nouveau Monde) et la vanille dans sa préparation. Mais ce n'est qu'au XVIIe siècle que ce chocolat deviendra la boisson obsessionnelle de l'Espagne!

Maléfique chocolat! Au Venezuela, au début du XVIIIe siècle, ce sont des esclaves importés d'Afrique ou des Antilles qui travaillaient dans les plantations. L'une d'elles à Chuao comptait 30,000 arbres et une centaine d'esclaves. La journée de travail commençait à 4 heures du matin pour se terminer au crépuscule. Toute tentative de fuite était sévèrement punie par le fouet.

Le chocolat fait son entrée en France par une porte royale: le mariage de Louis XIII en 1615, avec Anne d'Autriche, infante d'Espagne, qui raffole du chocolat épais et sirupeux tel qu'on le consomme à l'époque, et l'introduit à la Cour de France. Le goût se répand. En 1660, Marie-Thérèse, la femme de Louis XIV, en est aussi très friande:«Le roi et le chocolat sont ses deux seules passions», disaient ses contemporains.

On a beaucoup débattu des effets du chocolat. Lorsqu'il était consommé vert, sans aucune préparation, on l'accusait d'avoir «la propriété de resserrer le ventre, d'arrêter les règles, de fermer les voies de l'urine, d'obstruer le foie, [...] d'affaiblir la digestion de l'estomac, [...] de causer et d'engendrer des anxiétés, etc.» Par contre, ces effets se renversaient lorsqu'il était grillé, moulu et délayé d'un peu de bouillie de maïs: «il restaure et fait grossir, tout en donnant une sustentation saine et louable. Par ailleurs, il provoque l'urine et se trouve être un remède efficace contre toute obstruction, il aide à la digestion, réveille l'appétit, peut secourir et réparer les maux de maternité, cause la joie et donne de la force au corps.» Ces observations précises ont été faites par Juan de Cardenas dans un livre publié à Mexico en 1591.(1)

L'analyse chimique du chocolat prouve que les observations de Cardenas n'étaient pas dénuées de fondement: Il est effectivement tonique, il contient de la théobromine, qui stimule le système nerveux et facilite l'effort musculaire, de la caféine, du phenyléthylamine qui a des propriétés psychostimulantes, des vitamines A1, B1, B2, PP et du potassium, magnésium, phosphore, calcium, fer. Il est digeste: les graisses de cacao sont des graisses non saturées, qui se digèrent facilement: sa réputation de lourdeur tient évidemment aux crèmes et aux liqueurs avec lesquelles on le marie. 100 gr de chocolat au lait apportent 550 calories alors que 100 gr de viande apportent 170 calories.

C'est sous le règne de Louis XV que commence la fabrication de la confiserie au chocolat: pastilles, dragées. Jusque-là, on ne faisait que le boire. Le chocolat atteint d'autres pays: Italie, Allemagne, Autriche, Angleterre. Dès le début du XIXe, l'industrie chocolatière s'organise. Les noms des premiers industriels sont restés liés à la production actuelle: Van Houten à Amsterdam, en 1815, Cailler en Suisse en 1816, Suchard et Menier en France en 1824. En 1875: Daniel Peter et Nestlé ont l'idée de mettre du lait dans le chocolat, et Charles Kolher des noisettes.

Les chocolats commerciaux ainsi produits sont agréables. Mais il y a autant de différence entre une tablette de chocolat ordinaire et un chocolat artisanal qu'entre un vin de tous les jours et un Romanée Conti. Cette différence tient, entre autres facteurs, à la qualité des grains de cacao choisis et à la finesse de la torréfaction. Un bon artisan fait son mélange de cacaos d'Afrique ou du Brésil et y ajoute criollos, trinitarios, et arriba d'Équateur (voir article suivant). À l'heure actuelle, les amateurs recherchent le chocolat pur à 50, 60, ou 80 %.

Au cours de l'histoire, il y a eu des falsifications massives de cacao: en 1850 The Lancet révélait que «sur 70 échantillons de cacaos en poudre, 39 étaient colorés par l'ocre rouge de briques pilées et contenaient des «fécules de pomme de terre, [...] et des farines de blé ou d'orge dans des proportions de 5 à 50%.» De nos jours, qui n'a entendu parler de cette recette qui consiste à prolonger l'onctuosité du chocolat par de la paraffine!

Arrêtons-nous plutôt au goût d'un vrai chocolat: «Les senteurs du chocolat chatouillent tout d'abord la muqueuse nasale. Une fois en bouche, le chocolat continue à libérer son arôme, [...] la langue est excitée (c'est ici que commence à intervenir le goût) les bourgeons du goût sont sensibles aux quatre types de saveurs irréductibles, sucrée, salée, acide, amère, qui occupent des territoires différenciés à la surface de la langue. [...] Tout à la fois amer, sucré et acide, le chocolat, en fondant sur la langue, en stimule toutes les propriétés.»(2) Sans doute est-ce en raison de cette «harmonie gourmande», comme disait Brillat-Savarin, qu'on a attribué au chocolat tant de vertus s'appliquant aux plaisirs du corps tout autant qu'à la stimulation de l'esprit?

(1)Nikita Harwick, Histoire du chocolat, Éditions Desjonguères, Paris, 1992, p. 86.
(2)Idem, p. 240

Cueillette et transformation des fèves de cacao

Le cacaoyer est un arbre des tropiques qui donne des fruits vers la 4e année et pendant toute l’année. Son pays d’origine est le Venezuela, le Mexique, mais aujourd’hui il pousse dans tous les pays chauds. Les plus gros producteurs actuels de cacao sont le Brésil et la Côte d’Ivoire, puis le Ghana, le Nigeria, et le Cameroun.

Les premiers fruits apparaissent vers la quatrième année et l’arbre atteint sa maturité à 12 ans. Sa capacité de production se maintient jusqu’à environ 30 ans, parfois plus. Un arbre rapportant annuellement 25 fruits (appelés cabosses) est considéré comme un bon producteur. La cabosse contient de 30 à 50 fèves. Cette récolte correspond à environ 1 à 2 kilogrammes de fèves de cacao par arbre.

La plupart des auteurs classent le cacao en deux groupes: les «criollos» considéré comme produisant le meilleur cru, et les «forasteros» auxquels s’ajoutent les «trinitarios» issus du croisement des ces deux espèces.

La récolte a lieu deux fois par an, au printemps et en automne. Chaque récolte dure des mois et exige un travail considérable. La première opération consiste à tordre doucement le pédoncule à la main pour ceux qui sont accessibles, les autres sont coupés au moyen d’un couteau fixé à un long manche, opération très délicate si on ne veut pas abîmer les boutons et les fleurs de la prochaine récolte. Les fruits sont transportés vers un centre de traitement où va se produire la fermentation. Cette opération tue la fève et la débarrasse de son mucilage. La fermentation, qui dure de 1 à 7 jours, réduit l’amertume et l’astringence et surtout entraîne le développement des précurseurs de l’arôme. Leséchage a pour but de ramener le taux d’humidité des fèves fermentées de 60% à 6% environ; au dessus de cette limite, le produit ne peut se conserver sans danger.

Nettoyées ensuite sommairement, les fèves sont prêtes à être expédiées. Leur prix est fixé par diverses Bourses du cacao, à New York, Londres, Paris, Amsterdam. Arrivées à destination, elles sont ensuite rôties comme les grains de café. Le degré de torréfaction varie suivant la qualité du chocolat et l’opération doit être surveillée en permanence. La torréfaction des fèves de cacao développe l’arôme et facilite les opérations suivantes: concassage, dégermage (suppression du germe ligneux non comestible), mouture, (les fèves sortent sous forme d’une pâte qui contient environ 50% de matière grasse, 14% de matière protéiques et 4% d’amidon. )

La pâte de cacao est ensuite mélangée au sucre pour obtenir une pâte homogène, puis broyée et raffinée pour écraser les granules, opération que termine le conchage, autre sorte de mélangeur, pour donner au chocolat toute sa finesse et son onctuosité. Un dernier brassage dans une machine qui reçoit la pâte à 45 degrés, et le chocolat est prêt à être moulé et transformé au gré de l’artisan chocolatier ou de l’industrie qui le jumellera au fondant, au caramel, aux pâtes de fruit, au nougat blanc, aux liqueurs, à la praline, au gianduja, à la ganache, etc.

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