La critique créatrice: Sainte-Beuve

André Suarès
Il y a un quart de Goethe dans Sainte-Beuve. Voilà pourquoi sa critique peut être si féconde et passe de si loin la critique de journal. Non pas certes le Goethe des Lieds, ni de Faust, non pas le poète démoniaque, mais celui d’Hermann et Dorothée, des Affinités, de la Métamorphose et d’Eckermann.

Est-ce que les cinq cents portraits de Port Royal et des Causeries ne sont pas le plus vivant des romans historiques? et dans le nombre, pas une figure qui n’ait son charme ou son prix. D’ailleurs, Sainte-Beuve ne peint pas; à peine, de temps en temps, s’il grave : il dessine toujours et, parfois, quand il touche au pastel, il égale Latour. Ni roide ni appuyé, jamais académique, le dessin de Sainte-Beuve, cent fois repris d’une pointe fine et subtile, accomplit la ligne en mille petits traits, autant de touches infaillibles. La lumière même y est, ombres légères et valeurs calculées.

Là où Sainte-Beuve est de plain-pied avec son modèle, on dirait qu’il s’y égale. Il n’est inférieur qu’aux plus puissantes et plus hautes natures. Il est sans musique. Il n’atteint pas aux cimes : il ne les aime peut-être pas. En tout cas, Sainte-Beuve fait croire à la critique. Avec lui, elle est créatrice. Il fait comprendre ce qu’il comprend; il fait saisir le ressort caché de la vie intelligente. Quand il est de niveau, il est tout à l’objet. Sa politesse ou sa prudence ne l’empêche pas d’avoir beaucoup de courage. Il ne hurle pas avec les loups, et il les brave, même s’il se cache pour siffler.

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