Morale et politique de Socrate
Les vues de Socrate sur la religion, la morale et la politique, ses rapports avec Aristophane, son procès.
MORALE DE SOCRATE. — Le rôle de Socrate, l'un des plus grands de l'antiquité, nous offre deux choses à considérer: d'un côté sa personne, d'une éclatante originalité et d'une action si puissante sur tous ses contemporains; de l'autre, la révolution qu'il a introduite dans la science morale et politique. Socrate est d'abord un réformateur moral; il est, en outre, l'auteur d'un grand mouvement de pensée. À ces deux titres, comme penseur et comme sage, Socrate appartient à notre récit 1.
Socrate, on le sait, n'avait point d'école; il n'enseignait pas dans un lieu fermé; il ne publia point de livres. Son enseignement fut une perpétuelle conversation. Socrate était partout, sur les places publiques, dans les gymnases, sous les portiques, partout où il y avait réunion de peuple; il aimait les hommes et les recherchait. Il vivait en public. Il causait avec tout le monde et sur toute espèce de sujets. ll parlait à chacun de ses affaires, et savait toujours donner à la conversation un tour moral. Son bon sens, si juste, trouvait en toute circonstance le meilleur conseil; il réconciliait deux fières; il rappelait à son propre fils le respect d'une mère violente et importune; à un homme ruiné, il enseignait la ressource du travail, et lui apprenait à mépriser l'oisivité comme servile; à un riche, il fournissait un intendant pour le soin de ses affaires; il faisait sentir à un jeune homme présomptueux et ambitieux son ignorance des affaires publiques. Au contraire, il encourageait l'ambition d'un homme capable, mais timide et trop modeste. Enfin, il parlait peinture avec Parrhasius, sculpture avec Cliton le statuaire; il causait de rhétorique avec Aspasie, et, ce qui est un curieux trait de mœurs, il enseignait même à la courtisane de Théodora les moyens de plaire.
Socrate aimait les jeunes gens. C'était un plaisir pour lui de s'entourer d'une jeunesse curieuse et intelligente, qu'il ne corrompait pas, comme le prétendirent ses accusateurs, niais qu'il séduisait à une morale nouvelle, et à une religion plus pure que celle de la République; il ne leur enseignait pas le mépris de l'autorité paternelle, niais il leur apprenait vraisemblablement à placer la raison et la justice au-dessus de toute autorité humaine, en ayant soin d'ajouter, sans doute, que l'une des parties essentielles de la justice et de la piété est l'obéissance respectueuse aux parents, comme on le voit dans son enseignement avec Lamproclès, son fils ainé. Enfin Socrate, quoiqu'il parlât toujours d'amour, et quoique sensible comme un Grec et un artiste à la beauté physique, aimait surtout la beauté morale, et s'attachait cette jeunesse d'élite par une sympathie extraordinaire. C'est surtout à cette sympathie, nous dit Platon dans le Théagès, que Socrate dut les merveilles de son enseignement. Il est difficile aujourd'hui de se rendre compte des séductions de cette parole évanouie. Xénophon nous en a conservé la grâce, l'élégance et la simplicité: on sent que cette bonhomie mêlée d'ironie devait toucher les jeunes âmes. Mais était-ce assez pour les conquérir? Est-ce assez pour expliquer cet enthousiasme dont parle Alcibiade dans le Banquet? «En l'écoutant, les hommes, les femmes, les jeunes gens étaient saisis et transportés. Pour moi, ajoute-t-il, je sens palpiter mon cœur plus fortement que si j'étais agité de la manie dansante des Corybantes; ses paroles font couler mes larmes.» Faut-il croire que Platon ait prêté ici à Socrate son propre enthousiasme? Nous ne le pensons pas: il est plus problable que Xénophon n'a pas compris le personnage entier de Socrate, ou qu'il n'a pas su le rendre dans toute son originalité. Nous voyons dans Platon deux traits qui paraissent affaiblis dans Xénophon: l'ironie et l'enthousiasme. Alcibiade appelle Socrate «un effronté railleur», et le compare au satyre Marsyas. Il est probable que c'est à ses traits mordants que Socrate dut en grande partie les inimitiés qui le firent périr. Un de ces traits, rapporté par Xénophon, nous explique la haine de Théramène et de Critias. Socrate ne ménageait pas davantage les chefs du parti populaire. En même temps, son enthousiasme, tempéré sans doute par la mesure et la grâce, mais engendré par une foi vive dans son génie, et le sentiment ardent d'une mission divine, dut révolter les hommes médiocres et superstitieux comme signe d'un orgueil exagéré. Le fond du génie de Socrate est le bon sens, mais un bon sens à la foi aiguisé et passionné, armé de l'ironie, échauffé par l'enthousiasme.
Socrate croyait-il aux dieux du paganisme? Quelles étaient ces divinités nouvelles qu'on l'accusait d'introduire dans l'État? Si nous écoutons Xénophon, Socrate révérait les dieux de l'État. Il sacrifiait ouvertement dans sa propre maison ou sur les autels publics. Xénophon ne nous cite aucune parole injurieuse aux divinités païennes, aucune même qui témoigne d'un seul doute sur leur existence. Le dernier mot de Socrate mourant 2 semble indiquer aussi la foi au paganisme; car il est difficile d'admettre que Socrate ait voulu mentir dans la mort même. D'un autre côté, Xénophon ne cite pas non plus une seule parole de Socrate qui démontre explicitement la croyance aux dieux de l'Olympe. Tout ce que Socrate dit des dieux se peut entendre parfaitement du Dieu immatériel et unique que l'on a reconnu après lui; sa croyance à la divination et aux oracles s'explique aussi par la pensée d'une Providence particulière toujours présente, doctrine qu'il enseignait explicitement. Il sacrifiait aux dieux par respect pour la République, et d'ailleurs, il pouvait, dans sa pensée, adresser ces hommages au Dieu véritable. Il devait ainsi se servir fréquemment du nom des dieux populaires, leur laissant leurs attributions, mais toujours avec une légère nuance d'ironie dont ses disciples les plus intimes avaient sans doute le secret. D'ailleurs, dans ces Mémoires, qui étaient une sorte d'apologie, Xénophon devait naturellement éviter tout ce qui pouvait charger la mémoire de Socrate et donner raison à ses accusateurs. Dans les dialogues de Platon, Socrate parle avec plus de hardiesse. Il dit, dans le Phèdre, à propos d'une fable mythologique, «qu'il n'a pas assez de loisir pour en chercher l'explication, qu'il se borne à croire ce que croit le vulgaire, et qu'il s'occupe, non de ces choses indifférentes, mais de lui-même». Ces paroles nous montrent bien comment se comportait Socrate à l'égard de la religion populaire. Il en parlait peu, et s'il en parlait, c'était sans mépris, niais avec un demi-sourire et un léger dédain. Dans l'Eutyphron, Platon va plus loin encore. Est-ce lui-même qui parle ou le Socrate véritable? Il est difficile de le savoir; mais il estt probable que la pensée de ce petit dialogue est tout à fait socratique; et c'est une critique amère de la mythologie.
On ne peut donc nier qu'il n'y eût quelque chose de plausible dans l'accusation dirigée plus tard contre Socrate. Socrate, en effet, croyait à Dieu, mais, par cela même, il ne croyait pas aux dieux. Mais, quand on lui reprochait d'introduire de nouveaux dieux 3 dans l'État, ici sa défense était pleine de force et de raison. Ces nouveautés qu'on lui reprochait, c'étaient les révélations qu'il prétendait recevoir de son démon familier. La religion païenne reconnaissait des démons, c'est-à-dire des divinités de toutes sortes, nées du commerce des dieux avec les mortels; elle supposait la communication continuelle des dieux et des hommes: elle faisait parler les dieux par la voix des oiseaux, des sibylles, du tonnerre; Socrate, en admettant qu'un certain dieu lui parlait directement, lui donnait des conseils, lui révélait l'avenir, n'affirmait donc rien de contraire à la religion de l'État.
Qu'était-ce enfin que ce démon familier dont on a tant parlé? Socrate, qui avait, selon Plutarque, délivré la philosophie de toutes les fables et de toutes les visions, dont Pythagore et Empédocle l'avaient chargée, est-il tombé à son tour dans une superstition nouvelle? Socrate était-il un mystique, comme le pensent les uns, un monomane, un halluciné, comme quelques-uns l'ont écrit? Était-il enfin un imposteur qui jouait l'illuminisme pour tromper ses adeptes? Socrate était un personnage très complexe, dans lequel mille nuances s'unissaient sans se confondre. Ainsi, il fut certainement l'adversaire du polythéisme, mais pas assez pour qu'on puisse affirmer sans réserve qu'il n'admettait aucune puissance intermédiaire entre Dieu et l'homme. Sans doute, la raison dominait en lui, mais non sans que l'inspiration y eût aussi son rôle, et une inspiration qui, à son tour, n'était pas sans quelque mélange de douce ironie. Cette inspiration parait n'être, la plupart du temps, chez Socrate, que la voix vive et pressante de la conscience, mais quelquefois elle était quelque chose de plus: elle prenait un caractère prophétique, et enfin il était des moments où elle devenait presque de l'extase. Platon nous rapporte, dans le Banquet, que l'on vit Socrate se tenir vingt-quatre heures debout dans la même situation, livré à une méditation profonde. Il y avait donc, sans aucun doute, quelque chose de mystique dans l'âme de Socrate. Plutarque nous dit qu'il regardait comme arrogants ceux qui prétendaient avoir des visions divines; mais qu'il écoutait volontiers ceux qui avaient entendu des voix, et s'en entretenait avec eux. Le dieu de Socrate était donc une sorte de voix intérieure qui n'était d'ordinaire que la conscience, plus vive chez lui que chez les hommes de son temps, mais qui souvent devenait un avertissement mystique de l'avenir, et lui paraissait une parole de Dieu même. Ce fut le secret de la force d'âme de Socrate, de sa persévérance dans son dessein, de son courage devant la mort.
Si Socrate a été tel que nous venons de le peindre, c'est-à-dire que le représentent tous les écrivains de son temps: un modèle de patience, de tempérance, de douceur; s'il joignait à ces vertus toutes les qualités de l'homme aimable; s'il fut lié d'amitié avec tout ce qu'il y eut à Athènes de plus distingué, comment expliquer la satire injuste dont les Nuées d'Aristophane nous ont conservé le souvenir? Comment Aristophane, qui connaissait Socrate, qui s'asseyait à côté de lui, à la même table, chez des amis, comment put-il travestir sciemment un homme aussi respecté? Comment lui a-t-il prêté les subtilités les plus puériles et les maximes les plus décriées de ces mêmes sophistes que Socrate passait sa vie à combattre? C'est qu'Aristophane, nous l'avons vu, est le partisan des vieilles mœurs, de la vieille Athènes, chaque jour transformée par la démocratie et la philosophie. Il avait accablé de ses traits mordants le représentant de la démocratie athénienne, Cléon; il crut devoir frapper en même temps le représentant de la philosophie 4. En politique, Socrate et Aristophane étaient du même parti, l'un et l'autre partisans du gouvernement aristocratique, ou plutôt de l'ancienne démocratie athénienne constituée par Solon; mais en philosophie ils se séparaient. Aristophane se rattachait à cette chaîne de poètes qui avaient fondé et consacré la religion mythologique de la Grèce: il célébrait Eschyle et critiquait Euripide, complice de l'affaiblissement des croyances et des mœurs. La philosophie qui, depuis deux siècles, minait la religion populaire, dut paraître à Aristophane la cause première de la décadence. Sans distinguer entre les différents philosophes, il les considérait tous comme sophistes et leur prêtait à tous, en général, l'incrédulité de quelques-uns 5. En outre, le doute socratique, si excellent pour former l'esprit, était évidemment dangereux pour la fidélité aux vieilles mœurs, aux vieilles traditions: Aristophane pouvait le confondre facilement avec le doute sophistique. Enfin, les singularités de la personne de Socrate, sa défiance contre les poètes, dont hérita son élève Platon, les fautes de quelques-uns de ses plus illustres disciples, purent se réunir à tout le reste pour attirer sur lui les traits perçants de l'auteur des Nuées. Sans doute il n'est pas juste de compter Aristophane parmi les accusateurs de Socrate et les auteurs de sa mort, mais il faut lui laisser la responsabilité qui lui appartient. L'idée qu'il donna de Socrate ne fit que grandir avec le temps. Anytus et Mélitus n'eurent plus tard qu'à traduire dans un acte d'accusation les attaques d'Aristophane 6; ils trouvèrent la passion du peuple toute prête à les écouter.
Voici les propres termes de l'acte d'accusation, tel qu'il était conservé au temps de Diogène Laërce au greffe d'Athènes: «Mélitus, fils de Mélitus, du bourg de Pittias, accuse par serment Socrate, fils de Sophronisque, du bourg d'Alopèce: Socrate est coupable, en ce qu'il ne reconnaît pas les dieux de la République, et met à leur place des nouveautés démoniaques; il est coupable, en ce qu'il corrompt les jeunes gens. Peine de mort.» Ce qui serait plus intéressant que cet acte même, ce serait le développement des motifs qui l'accompagnait. Sur le premier chef, le rejet des dieux du polythéisme, l'accusation a dû produire des preuves, des faits, des détails qui seraient pour l'histoire de la plus grande importance, et que naturellement les apologistes se sont gardés de reproduire; sur tout le reste, l'accusation est manifestement calomnieuse.
Le sentiment de l'iniquité qu'ils commettaient fut vraisemblablement dans l'âme des juges; sans quoi on ne s'expliquerait pas que la condamnation ait eu lieu à une aussi faible majorité. Socrate en aurait pu être quitte pour une simple amende, s'il eût voulu se condamner lui-même à cette légère peine et s'humilier devant le tribunal. Mais on peut dire qu'il provoqua sa condamnation par sa fierté sublime. Non seulement il refusa de se condamner; mais avec plus d'orgueil peut-être qu'il ne convenait, il demanda d'être nourri au Prytanée jusqu'à la fin de ses jours aux frais du public. Il est difficile de nier que dans l'Apologie la fierté de Socrate ne dégénère quelque peu en jactance, et que son ironie n'ait quelque chose de blessant. C'est ce qui explique que la simple condamnation n'ait eu que cinq voix de majorité, et que la condamnation à mort en ait réuni plus de quatre-vingts. Il semble, en lisant cette défense, que Socrate ait volontairement cherché la mort. Peut-être y voyait-il un couronnement naturel de sa doctrine, et pensait-il que la vérité avait besoin de la consécration du martyre.
Une fois en prison, Socrate fut aussi simple que sublime. Il se consola de la captivité par la poésie; il composa un hymne en l'honneur d'Apollon; il traduisit en vers les fables d'Ésope. Ses amis, ses disciples venaient le visiter pendant les heures où la prison était ouverte au public. Ils le supplièrent plusieurs fois de consentir à son évasion. Criton, son plus vieil ami, avait tout préparé pour sa fuite. Socrate refusa; il voulut donner jusqu'au bout l'exemple de l'obéissance aux lois d'Athènes. Après avoir passé les derniers instants de sa vie au milieu de ses disciples en sublimes entretiens, il mourut en prononçant cette dernière parole: «Nous devons un coq à Esculape.» Il devait, en effet, un dernier hommage au dieu de la médecine, qui venait de le guérir de la vie par la mort. «Voilà, dit Platon, la fin de notre ami, de l'homme le meilleur des hommes de ce temps, le plus sage et le plus juste de tous les hommes.»
Quelque influence que l'on accorde à la personne de Socrate sur les mœurs et les idées de son temps, il ne faut pas oublier qu'il fut le fondateur d'une grande école, et le promoteur de toutes les recherches philosophiques qui se développèrent en Grèce après lui. C'est lui qui a ramené la philosophie à la morale ou à la politique, ce qui pour les anciens est la même chose 7; et qui a donné à la morale la méthode et l'autorité de la science.
La méthode socratique, si originale qu'elle a conservé son nom 8, se composait de deux procédés: l'un purement critique, qui avait pour but de confondre l'erreur, de dissiper les illusions, et d'humilier la fausse science, et qui trouvait surtout son application dans la lutte contre les sophistes; l'autre qui encourageait à la recherche de la vérité, et qui servait à la découvrir en conduisant l'esprit du connu à l'inconnu, de l'ignorance à la science. Ces deux procédés sont célèbres sous le nom d'ironie, åúñùíåßá 9; et de maieutique (ìáéåõôé÷Þ) ou art d'accoucher les esprits, art que Socrate comparait plaisamment à celui de sa mère. «Elle accouchait les corps, disait-il, et moi les esprits 10.»
On sait comment Socrate pratiquait l'ironie. Soit qu'il rencontrât un philosophe attaché à une des sectes célèbres de son temps, un sophiste, fier d'une rhétorique vaine qui lui permettait de tout soutenir et de tout combattre, un jeune homme ignorant, mais qui croit savoir, il leur appliquait à tous le même traitement: «Il n'y a pas d'ignorance plus honteuse que de croire que l'on connaît ce que l'on ne connaît pas; et il n'y a pas de bien comparable à celui d'être délivré d'une opinion fausse.» On lui a imputé ce mot: «Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien.» C'est pourquoi il cherchait à conduire son adversaire, quel qu'il fût, à la conscience de son ignorance. Il n'employait pas d'argumentation directe; il interrogeait de la manière la plus naturelle; mais par un art dont il avaitt le secret, tout en ayant l'air d'interroger toujours, il s'emparait de la discussion et la conduisait où il lui plaisait. C'est ainsi qu'il forçait ses adversaires à la contradiction, et les amenait à la confession de leur erreur. Cette méthode repose sur cette idée que l'erreur contient en elle-même sa réfutation, et porte, comme dit Platon, l'ennemi avec soi.
C'était aussi l'interrogation qui servait à conduire l'adversaire ou le disciple d'une science fausse à une science meilleure. Une fois que Socrate l'avait amené de l'affirmation au doute, et du doute à l'aveu de son ignorance, il le conduisait ensuite peu à peu à des idées plus exactes; il le faisait chercher en lui-même, et le forçait à découvrir ce qu'il cachait à son insu dans les profondeurs de son intelligence, les germes des idées générales source de tout raisonnement, et des définitions objet de la science. C'est pourquoi Aristote nous dit que Socrate fut l'inventeur de l'induction et de la définition 11.
Voilà quelle fut la méthode de Socrate. On sait aussi quel était l'esprit de sa philosophie; on sait qu'il transforma en un principe philosophique la vieille maxime du sage (ãíþèé óåáõôüí), et qu'il fit de l'homme l'objet principal de ses recherches. Que pouvons-nous savoir, disait-il, si nous nous ignorons nous-mêmes? Qu'y a-t-il de plus près de nous que nous, de plus immédiatement certain, et de plus digne d'intérêt que ce qui touche à notre propre existence, et à celle de nos semblables? Toute autre connaissance, et surtout la physique telle qu'on la pratiquait avant lui, c'est-à-dire la science universelle de la nature lui semblait vaine et même dangereuse, quoique luimême peut-être dans sa jeunesse eût été séduit par ses curieuses recherches. Sa seule science était donc la science de l'homme, qu'il confondait avec la sagesse; car la dialectique pour lui ou la science devait avoir pour résultat de nous rendre meilleurs et plus heureux 12.
Socrate n'admettait donc qu'une seule science, celle de la sagesse. Il définissait la science par la sagesse, et la sagesse par la science. Il ne voyait dans les différentes vertus que des sciences particulières: il définissait la justice, la connaissance de ce qui est juste; le courage, la connaissance de ce qui est terrible et de ce qui ne l'est pas; la piété, la connaissance du culte légitime que l'on doit aux dieux. Cette confusion de la science et de la sagesse conduisait Socrate à des conséquences qui auraient dû faire hésiter sa conscience et son bon sens. Il pensait que si la vertu est une science, le vice ne peut être qu'une ignorance: car celui qui connaît véritablement le bien ne peut rien lui préférer: quiconque discerne entre toutes les actions possibles la meilleure et la plus avantageuse, la choisit nécessairement. La méchanceté est donc involontaire 13. On comprendra facilement cette confusion, si l'on songe à l'idée que Socrate se faisait du bien et du mal. Celui qui de tous les philosonhes anciens, a eu le sentiment moral le plus pur et le plus profond, n'a jamais nettement distingué le bien et l'avantageux, ôü Üãáèüí et þöåëéìüí 14 ce qui nous explique sa théorie du vice involontaire: car il est évident que personne ne recherche volontairement ce qu'il sait lui être nuisible.
Seulement il ne faut pas oublier que ce que Socrate entend par utile, c'est ce qui est conforme à la dignité de l'âme et à la véritable liberté. L'âme est-elle libre, maîtrisée par la volupté? Si la liberté est le pouvoir de faire ce qui est digne de l'homme, n'est-ce pas une servitude que d'entretenir en nous des maîtres qui nous ravissent ce pouvoir? L'intempérance, par exemple, obscurcit l'esprit, éteint la prudence, précipite l'âme dans des actions basses et honteuses; elle tarit la source des plus pures et des meilleures voluptés; elle nous ôte le goût du beau, le plaisir de servir nos amis, notre patrie, notre famille; elle nous ôte jusqu'aux plaisirs des sens; car c'est la privation qui rend agréable la satisfaction du besoin. Enfin, l'homme intempérant refuserait d'avoir un esclave semblable à lui-même 15.
La théorie socratique de la tempérance fait paraître ici pour la première fois dans la philosophie antique ce principe qui a fait la gloire du stoïcisme: c'est que la vraie liberté consiste à se rendre maître des passions. Un autre principe que la philosophie ancienne doit encore à Socrate, et qui de lui a passé à Platon, de Platon aux stoïciens et à Cicéron, et de Cicéron à saint Augustin, c'est le principe des lois non écrites, fondement de sa théorie de la justice 16.
Qu'est-ce que la justice? Socrate la définit, la connaissance de ce qui est prescrit par les lois; mais il y a deux sortes de lois. Les unes sont celles que les citoyens font d'un commun accord dans chaque pays. La justice, dans ce premier sens, n'est que l'obéissance aux lois de la patrie; c'est une partie du patriotisme. Chez les anciens, la patrie était si étroite, la vie privée de si peu d'importance, que l'homme pouvait rapporter à la patrie son existence tout entière: plus près de chacun des citoyens, elle était une famille. Les dieux mêmes étaient pour chaque homme des concitoyens; c'étaient les dieux de la patrie qu'il adorait; et c'était encore honorer la république que de cultiver la religion. Or, les lois sont la volonté de la patrie. Aimer la patrie, c'est lui obéir, c'est obéir aux lois. Voilà la justice telle que l'ont connue et pratiquée les grands citoyens anciens. Quelques-uns cependant s'élevèrent à une idée plus haute et plus vraie: tel fut Aristide, et le nom qu'il porte dans l'histoire fut sa récompense.
Mais la théorie de la justice s'élève et s'agrandit, lorsqu'au lieu de la considérer comme l'obéissance aux lois de la cité, Socrate nous la montre réglée par des lois supérieures, lois non écrites, portées non par le caprice d'un peuple, mais par la volonté des dieux. Les premières changent suivant les cités et les Etats; les secondes prescrivent la même chose à tous les hommes, dans tous les pays. Partout la justice commande d'honorer les dieux, d'aimer et de révérer ses parents, de reconnaître les bienfaits. Partout ces lois portent avec elles la punition de celui qui les enfreint; témoignage manifeste d'un législateur suprême et invisible, quoique toujours présent. C'est le sentiment de ces lois éternelles et non écrites qui éleva Socrate si fort au-dessus de son temps. C'est elles qu'il regardait lorsqu'il résistait aux tyrans et au peuple; et, lorsqu'en mourant il refusait de désobéir aux lois qui l'opprimaient, c'étaient encore ces lois supérieures et infaillibles qui lui commandaient l'obéissance 17.
Si, dans sa théorie de la justice, Socrate a devancé ses contemporains, il est deux points où il me paraît surpasser en quelque sorte l'antiquité tout entière. Ces deux points sont: la Famille et Travail. Il a eu un sentiment admirable de la vie domestique 18; et, en cela, il faut reconnaître que Platon a été un disciple infidèle et inférieur. Socrate reconnaît l'égalité morale des deux sexes, cette égalité qui laisse subsister les différences ineffaçables voulues par la nature, et ne fait pas de la femme la rivale de l'homme sur la place publique et dans les camps. La femme, pour Socrate, c'est la mère et la ménagère; c'est elle qui gouverne la maison, qui assure les intérêts du mari, qui soigne les serviteurs, qui élève, berce et nourrit les enfants. Les traits par lesquels Socrate décrit la mère et l'épouse ne sont pas indignes des belles images de l'Écriture dans le portrait de la femme forte. Ce sentiment de la vie domestique a conduit Socrate à l'intelligence d'une vérité que l'antiquité n'a jamais comprise 19: la dignité du travail, non pas du travail intellectuel et politique, mais du travail qui fait vivre et qui nourrit.» Qui appellerons-nous sages, disait-il? Sont-ce les paresseux ou les hommes occupés d'objets utiles? Quels sont les plus justes, de ceux qui travaillent ou de ceux qui rêvent les bras croisés aux moyens de subsister?» Et comme on lui oppose que des personnes libres ne peuvent pas travailler, et que c'est là le fait des esclaves: «Eh! quoi, dit-il, parce qu'elles sont libres, pensez-vous qu'elles ne doivent faire autre chose que manger et dormir 20?» Ainsi Socrate relevait le travail de la honte et de la servilité que les anciens y attachaient: par là, il attaquait à la source, sans le savoir et sans le vouloir, le mal corrupteur de l'esclavage.
On ne peut oublier dans la philosophie morale de Socrate le principe religieux qui l'anime et qui la couronne. Les anciens philosophes n'avaient vu dans la nature qu'un composé de forces, d'éléments, de poids et de nombres; Socrate, les yeux toujours fixés sur l'homme, reconnut dans l'univers les signes de l'intelligence, la prévoyance, la prudence, la bonté 21. La vie, les rapports harmonieux des parties, la convenance universelle des moyens et des fins, tout lui attestait un Dieu sage et bon, avec la même évidence qu'un ouvrage de mécanique atteste un ouvrier et une statue un statuaire. Il reconnut non seulement Dieu, mais sa Providence, et non seulement encore cette Providence universelle qui veille sur l'ensemble de l'œuvre et conserve les lois générales des choses, mais celle qui, présente à toutes les actions particulières des créatures, voit dans le secret des cœurs, découvre les pensées mêmes qui ne s'expriment point, et parle enfin dans l'intimité de l'âme un langage clair à celui qui l'écoute et la connait 22. Socrate croyait donc qu'il v a, qu'il doit y avoir entre l'homme et Dieu une société et un concert d'hommages et de secours: Il recommandait la prière, et lui-même priait volontiers. Il permettait qu'on demandât aux dieux 23 de nous assister dans nos besoins, en laissant à leur sagesse le soin d'exaucer nos vœux, selon l'ordre et la convenance. Surtout il voulait qu'on les invoquât pour le bien de son âme 24. Ainsi la plus haute et la plus pure piété couronnait cette noble doctrine. Socrate fut, si j'ose dire, le révélateur du Dieu de l'Occident. Tandis que l'Orient tout entier, la Judée exceptée, adorait la nature sous le nom de Dieu, tandis que la religion grecque n'était encore sous une autre forme que le culte de la nature, tandis que la philosophie ou supprimait Dieu, ou le reluisait à des attributs tout abstraits, Socrate fit connaître le Dieu moral, qui depuis a été reconnu et adoré des nations civilisées. L'idée d'un Dieu moral éclaire bien, il est vrai, de loin en loin, comme une lueur fugitive, la grande poésie de Pindare, la philosophie symbolique de Pythagore, la philosophie enfin d'Anaxagore: elle était peut-être le mystère qui se cachait sous le voile des mystères de la Grèce 25, mais Socrate l'a exprimée le premier avec une telle clarté, qu'il parut l'avoir découverte.
POLITIQUE DE SOCRATE. — Le sentiment d'une justice supérieure et divine anime la politique de Socrate comme sa morale. Il n'a jamais beaucoup étudié les formes diverses de gouvernement, ni médité sur le principe de la souveraineté, on ne voit même pas qu'il se soit mêlé aux divers partis qui divisaient son pays et quoiqu'on lui ait prêté quelquefois un dessein politique, cette conjecture, qui diminue, ce semble, le personnage de Socrate, ne semble pas justifiée 26. Tout ce que nous en savons me paraît contraire à cette hypothèse. Sa vie est celle d'un grand citoyen, qui n'obéit qu'aux lois, et place la justice au-dessus de toutes choses. Ses opinions sont celles d'un sage, qui n'est d'aucun parti, et juge d'un esprit indépendant et supérieur les affaires de l'État.
Voyez-le agir. Il combat comme soldat à Delium et à Potidée: il sauve la vie d'Alcibiade et de Xénophon. À l'intérieur, il résiste aux trente tyrans 27, et il a résisté au peuple 28. Il refuse de livrer aux uns Léon de Salamine, et il refuse aux autres de participer à la condamnation des dix généraux vainqueurs aux Arginuses. Qui pourrait voir dans ces deux faits l'indice d'un système politique? Je n'y vois qu'une conscience inflexible, qui ne s'humilie devant aucune tyrannie. Il est vrai que Socrate a critiqué les institutions de la démocratie. Son bon sens, aussi fier que sa conscience, se révoltait contre la nomination des magistrats par le sort. «Quelle folie, disait-il, qu'une fève décide du choix des chefs de la république, lorsqu'on ne tire au sort ni un architecte, ni un joueur de flûte 29.» Cette critique était celle que devaient faire tous les esprits sensés. Socrate montrait ainsi la perspicacité de ses vues, et il témoignait qu'il avait une idée de la liberté supérieure à celle de son temps. Mais si Socrate discutait la démocratie, qui n'était sans doute pas inviolable, ne critiquait-il pas aussi la tyrannie avec l'ironie la plus perçante et la plus périlleuse? On connaît son apologue sanglant du bouvier, qui ramène chaque jour au bercail des vaches plus maigres et moins nombreuses. Les trente tyrans se sentirent atteints; ils lui imposèrent le silence, et Chariclès, faisant allusion à ses paroles, lui dit: «Laisse-là tes bouviers, sans quoi tu pourrais trouver du déchet dans ton bétail.» Socrate les brava, et continua de les railler en leur présence même 30. Ceux qui le condamnèrent comme ennemi du peuple avaient-ils eu le même courage? Que Socrate ait regretté la constitution de Solon, cela est possible; et véritablement, on comprend un tel regret en présence des dissensions sans nombre et des révolutions stériles qui agitèrent Athènes depuis la guerre du Péloponèse. Le règne de la constitution de Solon avait été le plus beau temps d'Athènes; et l'on pouvait croire que la chute de cette constitution avait entraîné la ruine du pays. Mais peut-on conclure des regrets de Socrate, qu'il ait réellement pris parti parmi les ennemis de la démocratie, lorsque l'on voit que c'est précisément du sein de ces ennemis qu'est sortie la première attaque dirigée contre lui? Aristophane, qui le connaissait, eût-il livré aux risées du peuple un ami politique 31?
Socrate ne fut donc d'aucun parti; lui-même n'aspira jamais à gouverner l'État. Toute son ambition était de préparer les hommes au commandement 32. Il croyait que former des hommes sages, modestes, tempérants et justes, c'était former des citoyens. C'est en ce sens seulement qu'il fut un réformateur politique. Le vrai politique, à ses yeux, n'était ni celui qui possède le sceptre, ni celui qui a été élu par les premiers venus ou désigné par le sort, ou qui s'est emparé du pouvoir par la violence, mais celui qui sait commander 33. Or, l'art de commander, c'est l'art de connaître et de choisir les hommes, de s'en faire obéir et respecter 34. C'est là un art qui ne s'apprend pas seulement sur la place publique, et qu'on n'acquiert pas en flattant le peuple, mais par l'étude de soi-même, par la pratique de la tempérance et du courage. En voulant rétablir les mœurs dans Athènes, Socrate essayait du seul moyen qui pût sauver la République; si ce moyen était impraticable, la faute n'en était pas à lui. Il donnait à la fois la leçon et l'exemple.
Socrate, au reste, ne se contentait pas de conseiller la vertu à ceux qui se préparaient à la vie politique, et il ne pensait pas, comme son disciple Platon, que les politiques dussent mépriser les intérêts positifs des États. La plupart de ses conversations politiques ont pour but de démontrer aux jeunes gens l'importance de ces intérêts, et la nécessité de former des connaissances précises par l'étude des faits 35. Glaucon veut gouverner l'État: c'est une belle tâche sans doute, mais connaît-il bien les revenus de la république, le nombre des troupes, le fort et le faible des garnisons, les besoins de la population, la quantité de blé que produit le territoire, les moyens d'exploiter les mines, etc.? Sur tout cela, Glaucon n'a que des conjectures. Mais avant de gouverner toutes les maisons d'Athènes, ne ferait-il pas mieux de relever celle de son oncle, qui menace ruine? «Je l'aurais fait, dit-il, s'il eût voulu m'écouter. — Eh quoi! réplique Socrate, vous ne pouvez persuader votre oncle et vous voulez persuader tous les Athéniens 36?» Il humiliait ainsi, par sa fine ironie, les prétentions d'une jeunesse distinguée, mais sans étude, qui apprenait à l'école des sophistes à parler de tout sans rien savoir, et qui n'ignorait pas moins l'utile que le juste et le vrai.
La politique de Socrate n'a rien de scientifique. Elle est surtout pratique et morale. Il traite des devoirs de la vie publique comme des devoirs de la vie domestique, sans s'élever à aucune théorie abstraite. C'est un réformateur des mœurs: c'est là son originalité et sa grandeur. Ce fut pour lui une véritable mission. Relever la conscience du joug de l'État, tel fut son rôle, et il n'y en a pas de plus beau dans l'antiquité. Lorsque ce rôle, poursuivi avec constance et opiniâtreté pendant trente années, le conduisit enfin devant les tribunaux populaires, rien ne fit fléchir ce sentiment intérieur, qui était chez lui si noble et si fier. Dans ce grand procès, qui mettait aux prises la conscience et l'État, il trouve, ou du moins Platon lui prête des paroles inspirées de son esprit et qui sont dignes d'un apôtre. «Le Dieu, dit-il, semble m'avoir choisi pour vous exciter et vous aiguillonner, pour gourmander chacun de vous, partout et toujours, sans vous laisser aucune relâche...» — «Si vous me disiez: Socrate, nous te renverrons absous à la condition que tu cesseras de philosopher, je vous répondrais: Athéniens, je vous honore et je vous aime; mais j'obéirai à Dieu plutôt qu'à vous 37.» Ce n'est donc pas dans quelques paroles éparses et sans portée qu'il faut chercher la politique de Socrate, c'est dans sa vie tout entière, qui n'a été qu'un long procès à l'injustice; c'est dans sa mort, qui, décrétée par la tyrannie populaire, est devenue la condamnation éclatante de toutes les tyrannies.
Socrate a été une des plus vives et des plus éclatantes images de la conscience morale; il n'a pas été seulement un philosophe, mais un héros.
Dans la science, la philosophie lui doit d'avoir trouvé son vrai principe: connais-toi toi-même, et sa vraie méthode: la critique et l'analyse; la morale lui doit quelques-uns de ses meilleurs et ses plus beaux préceptes, et la politique ce principe indestructible que la loi commune des gouvernements et des citoyens, c'est la justice. Enfin la liberté de la pensée le compte parmi ses plus grandes victimes. Il ne faut point trop gémir sur sa destinée, car la persécution et l'injustice font l'honneur et le succès des doctrines: et la vérité parmi les hommes ne se répand jamais sans douleur.
Notes
1. Le XVIIIe, siècle n'a guère vu dans Socrate que le réformateur des mœurs. Dans notre siècle, un grand critique allemand, Schleiermacher, a relevé le caractère scientifique de la philosophie de Socrate. H. Ritter l'a suivi dans cette voie. Il faudrait aujourd'hui trouver une moyenne entre ces deux points de vue, ou plutôt les concilier dans une idée commune. M. A. Fouillée, dans son ouvrage sur la Philosophie de Socrate, a peut-être exagéré le rôle spéculatif et métaphysique de Socrate. M. Boutroux nous parait plus près de la vérité dans sa dissertation sur Socrate, moraliste et croyant. (Comptes rendus de l'Académie des sciences morales et politiques).
2. «Sacrifions un coq à Esculape.» (Phédon)
3. Ce n'étaient pas précisément de nouveaux dieux qu'on lui reprochait d'introduire, mais des nouveautés démoniaques.
4. Il ne faut pas d'ailleurs oublier, pour bien comprendre la comédie des Nuées: 1° que Socrate, de son propre aveu (voy. Phédon), a commencé par se mettre à l'école des physiciens d'Ionie, avant d'avoir trouvé sa propre voie: de là les accusations de matérialisme et d'athéisme dirigées contre lui par Aristophane; 2° que la dialectique de Socrate et sa méthode critique mêlée de doute devaient avoir, aux yeux du vulgaire, une ressemblance frappante avec la sophistique; 3° qu'il y a même dans Socrate une part réelle de sophistique. Ces différents traits expliquent la confusion d'Aristophane. Mais il ne faut pas en conclure avec M. Grote, dans son ouvrage sur Platon, que Socrate ne se distingue en rien des autres sophistes.
5. C'est ainsi que parmi nous, à certaines époques, tous les philosophes ont été des socialistes ou des panthéistes. Le bon sens populaire ne distingue pas.
6. Socrate lui-même, dans son Apologie, fait ce rapprochement.
7. Quelque part que l'on fasse à la métaphysique dans la philosophie de Socrate, on ne peut nier que ce ne soit la morale qui domine dans cette philosophie; seulement il lui a donné une méthode.
8. La méthode interrogative, dans l'enseignement, s'appelle encore aujourd'hui méthode socratique.
9. C'est le mode d'interrogation de Socrate, à savoir, le persiflage dissimulé sous forme d'interrogation naïve qui a fait donner au mot ironie le sens qu'il a habituellement.
10. Platon, Théétète, 150.
11. Arist., Diét., 4, 1087, 6, 27.
12. Xén., Mém., IV, v.
13. Mém., III, 9 et IV, 7. On ne trouve pas en propres termes dans Xénophon, la célèbre maxime platonicienne, mais le fond de la pensée y est certainement.
14. Mém., III, 8.
15. Ibid., I, 5, 6; II, 1; IV, 5.
16. Ibid., IV, 3, 1
17. Tout le monde connaît les beaux vers de Sophocle (Antig. 180 sqq), où Antigone se défend d'avoir violé les décrets de Créon, en invoquant les lois non écrites.
18. Économ., VII, VIII, IX, X. Mém., II, 4.
19. Il faut faire une exception pour Hésiode, comme nous l'avons vu plus haut, p. 57.
20. Mém., II, 7.
21. Mém., I, 4; IV, 3.
22. Ibid., I, 1. Socrate croyait que les dieux connaissaient tout, paroles, actions, pensées, et qu'ils sont présents partout.
23. Socrate dit tantôt les Dieux, tantôt Dieu, et souvent aussi le
Divin.
24. Ibid., I, 3.
25. Sur les idées religieuses des Grecs, voir l'ouvrage de M. Jules
Girard : le Sentiment religieux chez les Grecs (1869).
26. Cette opinion a été soutenue par M. J. Denis dans son savant et
excellent ouvrage, Histoire des idées et des théories morales de l'antiquité (Paris, 1856). Nous regrettons de n'être pas d'accord sur ce point avec cet auteur si judicieux.
27. Mém. 1, 2.
28. Helléniq. I, 1, c. vii; Mém. I, 1,
29. Mém., I. 2. voir Recherches sur le tirage au sort, par Fustel de Coulanges (1870, Extrait de 1a Nouvelle Revue historique de droit).
30. Mém., I.2.
31. S'il était permis d'employer des expressions modernes pour caractériser des idées antiques, je dirais que Socrate était un conservateur, et Aristophane un réactionnaire.
32. Mém., I, 6.
33. Ibid., III, 9.
34. Ibid., III, 4.
35. Voy. l'entretien sur l'Art militaire, III, i ; sur la Cavalerie, ibid., 3 ; et la Conversation avec le fils de Périclès, ibid., 5.
36. lb., 6. — Voyez la spirituelle imitation qu'a faite Andrieux de ce dialogue dans ses Contes en vers:
Pour avoir eu jadis un prix de rhétorique, Glaucon se croyait fait pour le gouvernement.
37. Apol., p. 29