Enseignement de la philosophie
De là le caractère prestigieux et inoubliable de cette année de philosophie pour ceux qui en ont connu l'authentique privilège. Cette année-là, et cette seule année pendant toute une vie, la vérité fut leur principal souci. Mais une année, c'est beaucoup, et c'est déjà trop, aux yeux des technocrates ministériels, selon lesquels un profit seulement spirituel représente un gaspillage de rendement. L'humanité d'aujourd'hui, aux yeux des directeurs et bureaucrates de Paris, de Washington, de Pékin ou de Moscou, a besoin de kilowatts et non pas de vérité. Ce sont les techniciens qui construisent les fusées. Les philosophes sont peut-être inoffensifs, et encore ce n'est pas sûr; en tout cas, ce sont des citoyens improductifs, et les sociétés modernes ne peuvent plus se permettre ce genre de luxe. D'autant que si jamais le philosophe parvenait à la conclusion que le kilowatt ou la fusée ne sont pas les fins suprêmes de l'humanité, l'enseignement de cet irresponsable risquerait de détourner de la production les jeunes esprits qui se laisseraient prendre à leurs raisonnements captieux. "Les nations ne prospèrent pas par l'idéologie", disait déjà l'empereur Napoléon, qui s'y connaissait. »