Enseignement de la philosophie

Georges Gusdorf
Georges Gusdorf peut être présenté comme un historien de la pensée occidentale. Ses travaux sont animés d'un esprit humaniste par lequel l'objectivité parfois aride des analyses historiques est tempérée. Dans les réflexions qu'il a menées sur l'éducation, sa préoccupation pour la vérité occupe une place centrale.
« Le professeur est là seulement pour enseigner la vérité et la recherche de la vérité. Il arrive à certains, bien sûr, de se cacher derrière leur documentation, de se contenter d'enseigner des doctrines; mais ceux qui le font sont infidèles à leur mission.

De là le caractère prestigieux et inoubliable de cette année de philosophie pour ceux qui en ont connu l'authentique privilège. Cette année-là, et cette seule année pendant toute une vie, la vérité fut leur principal souci. Mais une année, c'est beaucoup, et c'est déjà trop, aux yeux des technocrates ministériels, selon lesquels un profit seulement spirituel représente un gaspillage de rendement. L'humanité d'aujourd'hui, aux yeux des directeurs et bureaucrates de Paris, de Washington, de Pékin ou de Moscou, a besoin de kilowatts et non pas de vérité. Ce sont les techniciens qui construisent les fusées. Les philosophes sont peut-être inoffensifs, et encore ce n'est pas sûr; en tout cas, ce sont des citoyens improductifs, et les sociétés modernes ne peuvent plus se permettre ce genre de luxe. D'autant que si jamais le philosophe parvenait à la conclusion que le kilowatt ou la fusée ne sont pas les fins suprêmes de l'humanité, l'enseignement de cet irresponsable risquerait de détourner de la production les jeunes esprits qui se laisseraient prendre à leurs raisonnements captieux. "Les nations ne prospèrent pas par l'idéologie", disait déjà l'empereur Napoléon, qui s'y connaissait. »

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